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Les grands courants dans l’éthique de la gestion des ressources humaines

2. Chapitre 2 : État des connaissances et approches théoriques

2.2. L’éthique et la gestion du personnel

2.2.1. Les grands courants dans l’éthique de la gestion des ressources humaines

Des revues critiques de la littérature se sont appliquées à relever les grands courants sur lesquels se sont forgées les théories actuelles de ce champ de recherche (Greenwood, 2002; Hireche et Mourabet, 2007). Les auteurs ont présenté les grandes catégories de cadres conceptuels sur lesquels les études portant sur l’éthique dans la gestion des ressources humaines prennent appui. À partir des classifications faites par les auteurs susmentionnés, les grandes doctrines en philosophie et en psychologie morales, les cadres théoriques développés par les chercheurs dans le courant de l’éthique organisationnelle, de même que quelques exemples d’études faites dans chacun des courants en éthique de la gestion des ressources humaines seront présentés.

2.2.1.1. Les grandes doctrines en philosophie et en psychologie morales

On peut décrire les fondements de la philosophie morale suivant trois grands courants distincts : la téléologie, la déontologie et l’utilitarisme (Langlois, 1997). La téléologie est l’éthique de la vertu d’Aristote. C’est une perspective qui considère l’éthique comme une quête de sagesse. L’exercice des vertus est considéré comme correspondant au Bien parce qu’elles visent l’épanouissement de la nature humaine. Dans le champ de l’éthique organisationnelle, les chercheurs s’appuyant sur l’éthique de la vertu s’intéressent aux caractéristiques et aux qualités du cadre éthique (Hireche et El Mourabet, 2007).

65 La perspective déontologique est associée à Kant (1993) et stipule qu’une action est bonne ou mauvaise, peu importe ses conséquences. Ce qui détermine le bien et le mal, c’est la conformité de l’action à la loi morale. Contrairement à Aristote, Kant affirme que l’éthique se préoccupe des devoirs et des obligations qui incombent aux individus dans la vie commune, avant de se préoccuper du bonheur personnel (Langlois, 1997). Selon Francis (1996), Kant a créé un système de moralité selon lequel les devoirs moraux ne viennent pas de l’extérieur de l’homme, mais sont créés par lui en tant qu’être raisonnable. Éthique prônant le respect de la justice, les droits sont considérés comme des règles normatives qui s’appliquent de façon rationnelle à toutes les situations et à tous les individus sans exception (Kelemen et Peltonen, 2001).

L’autre courant ayant contribué au fondement de la philosophie morale est l’utilitarisme, qui se veut une philosophie basée sur les conséquences des actions. Développé principalement par Bentham (1748-1832) et Mills (1806-1873) (Kelemen et Peltonen, 2001), l’utilitarisme cherche à orienter les choix éthiques vers ceux présentant les moindres conséquences pour le plus grand nombre possible. Autrement dit, c’est une quête de la justice pour la plus grande majorité d’hommes (Langlois, 1997). S’intéressant au raisonnement éthique qui guide les cadres, Fritsche et Becker (1994) ont trouvé que la grande majorité d’entre eux utilisent un style utilitariste pour résoudre leurs dilemmes éthiques et évaluent les comportements de leurs employés en termes de conséquences sociales.

Afin de mieux comprendre les orientations éthiques dans les prises de décision, certaines études en éthique de la gestion des ressources humaines ont analysé la perception de harcèlement sexuel au travail au regard de l’orientation éthique de l’individu (Keyton et Rhodes, 1997), ou encore l’utilisation du mensonge dans l’entreprise (Takala et Urpilainen, 1999) et la prise de décision managériale lorsqu’il y a des licenciements à mettre en œuvre dans le cadre d’une restructuration (Lamsa et Takala, 2000). Clayton et Doyle (1996) ont pour leur part analysé les vertus et les limites du pouvoir d’agir sous les angles moraux des perspectives déontologiques et téléologiques (Kelemen et Peltonen, 2001). Dans une approche plus normative, Greenwood (2002) s’est intéressé aux caractéristiques éthiques des pratiques de gestion des ressources humaines. Selon Greenwood (2002), la grande

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majorité des travaux portant sur l’éthique dans la gestion des ressources humaines se sont inspirés de l’éthique kantienne ou de l’éthique utilitariste dans le courant de la philosophie morale ou sur l’approche de justice et d’équité en psychologie morale.

Dans le domaine de la psychologie morale, c’est la théorie du développement moral cognitif de Kohlberg (1969) qui a le plus influencé les études sur l’éthique dans la gestion des ressources humaines (Hireche et El Mourabet, 2007). Il s’agit d’une éthique fondée principalement sur le critère de la justice. Kohlberg (1969) présente un processus de prise de décision éthique relative aux stades de développement moral de l’individu, afin d’éclairer le raisonnement que suit un individu lorsqu’il affronte un problème éthique. Ainsi, selon Hireche et El Mourabet (2007) certaines études cherchent à analyser le lien entre le niveau de développement moral et la propension à vivre des conflits au travail (Mason et Mudrak, 1997), la probabilité de rester dans l’entreprise (Sims et Keon, 1997) ou le fait de tenir ses promesses dans le travail (Oakley et Lynch, 2000).

Très peu référée dans le domaine de l’éthique des ressources humaines, la théorie de Carol Gilligan (1982) a permis de remettre en question l’universalité du critère de justice en mettant de l’avant l’éthique du « care » qui s’appuie sur le critère de la sollicitude pour guider la prise de décision éthique pour certaines personnes, dans certains contextes culturels, sociaux et économiques (French et Weis, 2000). L’éthique du « care » se préoccupe d’abord du bien-être d’autrui et de soi et repose sur la compréhension des responsabilités et des rapports humains, plutôt que sur le respect des règles et des normes qui fondent l’éthique de la justice de Kohlberg (Gilligan, 1982).

2.2.1.2. Les cadres théoriques développés en éthique organisationnelle

Parce que les théories classiques en philosophie et en psychologie morales sont critiquées d’être abstraites et difficilement applicables dans des situations concrètes telles que celles que l’on retrouve dans le monde du travail, les chercheurs en éthique organisationnelle ont développé différentes théories plus faciles d’accès et plus opérationnelles (Greenwood, 2002). Hireche et El Mourabet (2007) définissent ce champ de recherche selon trois grands courants : les théories s’inscrivant dans une perspective collective de l’éthique, celles

67 intégrant des caractéristiques individuelles et collectives et la théorie des parties prenantes (stakeholder theory).

Dans le courant de la perspective collective de l’éthique, on retrouve des chercheurs tels que Jackall (1988); Posner et Schmidt (1987); Trevino (1996); Victor et Cullen (1988). Des concepts clés tels que la dimension éthique dans la culture organisationnelle et le climat éthique sont utilisés. Dans ce courant, on cherche à expliquer les facteurs situationnels et contextuels qui influencent le processus de raisonnement éthique des individus, plutôt que de porter attention aux variables individuelles. Par exemple, la recherche de Jackall (1988) consistait à étudier comment les règles de la bureaucratie façonnent la conscience morale des cadres et guident leurs conduites éthiques en organisation. Sa vaste étude de terrain dans de grandes entreprises américaines a aussi montré comment les cadres tendent à reléguer la responsabilité des décisions et des actions vers le bas, ce qui rajoute de la pression sur les cadres de niveau hiérarchique inférieur. Ces derniers sentent alors qu’ils doivent agir pour protéger l'entreprise, leurs patrons et eux-mêmes dans le processus. Très populaire dans le domaine de l’éthique en gestion des ressources humaines, la théorie du climat éthique de Victor et Cullen (1988) cherche à trouver, à l’aide d’un questionnaire, les perceptions dominantes des pratiques et des procédures éthiques dans une organisation. Les théories intégrant les variables individuelles et collectives cherchent à modéliser les processus de prise de décision éthique en contexte organisationnel. Sont associés à ce courant des chercheurs tels que Cavanagh, Moberg et Velasquez (1995), Ferrell et Gresham (1985), Hunt et Vitell (1986), Jones (1991). Entrent également dans ce courant les théories portant sur le leadership éthique (Brown, Trevino et Harrison, 2005; Trevino, Hartman et Brown, 2000; Trevino, Brown et Hartman, 2003). Selon Brown et al. (2005), le leadership éthique peut être défini comme la démonstration de conduites normatives appropriées à travers les actions personnelles et les relations interpersonnelles, et la promotion de telles conduites auprès des membres de l’organisation par les communications, le renforcement et les prises de décision. Suivant Brown et Trevino (2006), le leadership éthique est influencé par le contexte situationnel et certaines caractéristiques individuelles. Ce type de théorie prend souvent appui sur des théories en psychologie sociale, notamment la théorie de l’apprentissage social de Bandura (1977). Un exemple récent d’une recherche dans ce

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courant est celui d’Umphress, Bingham et Mitchell, (2010), qui s’appuie sur les théories de l’identité sociale et de l’échange social. Cette recherche examine la relation entre l’identification de l’individu à son organisation et la conduite d’un comportement non éthique fait au nom de la compagnie, selon des variables individuelles. Un autre exemple récent est l’étude de Valentine et Hollingworth (2012) portant sur le processus de prise de décision éthique en fonction de l’intensité morale de la situation et le raisonnement éthique individuel.

Enfin, un troisième courant de l’éthique organisationnelle dans la gestion des ressources humaines présenté par Hireche et El Mourabet (2007), comme par Greenwood (2002), est celui des parties prenantes. La « stakeholder theory » de Freeman (1984) où l’on considère que la finalité de l’entreprise n’est plus uniquement de maximiser les profits, mais doit tenter de satisfaire équitablement les intérêts des différentes parties prenantes de l’entreprise. Dans ce courant, l’entreprise est considérée comme étant responsable vis-à-vis de ses partenaires, incluant les travailleurs. Pour Greenwood et De Cieri (2005), les entreprises sont responsables de respecter les droits des travailleurs et les cadres doivent agir dans l’intérêt des employés et les faire participer aux processus de prise de décision. De nature surtout normative, cette théorie cherche à fonder sur des principes les raisons morales faisant en sorte que les cadres devraient tenir compte des intérêts des travailleurs et des autres partenaires de façon équitable, et ce, sans en retirer des bénéfices apparents pour l’organisation (Hireche et El Mourabet, 2007). La recherche de Cludts (1999) sur la participation des employés à la prise de décision qui les touchent directement est un bon exemple des types d’études qui sont réalisées dans ce courant.

La conclusion d’Hireche et El Mourabet (2007) et de Greenwood (2002) est qu’il y a un manque important d’études faites dans ce domaine. Pour Greenwood (2002), l’évaluation éthique de la gestion des ressources humaines est basée sur deux idées principales : celle selon laquelle un individu ou une organisation doit traiter les individus avec respect et l’autre, qui veut qu’un individu ou une organisation n’aient pas le droit d’interférer avec la liberté d’une personne. Pour l’auteure, la gestion des ressources humaines, dans ses formes variées, échoue à cette évaluation, notamment parce que toutes les organisations utilisent, de façon plus ou moins directe, des individus comme moyens pour arriver à leurs fins. Pour

69 elle, le mot management est un euphémisme pour parler du mot « use », soit utilisation de l’autre. Aussi, la gestion des ressources humaines est particulièrement en retard sur les questions de l’égalité et de l’équité sous-entendant que tout le monde a droit à sa liberté et à son bien-être de façon égale (Greenwood, 2002).

De plus, les études sur l’éthique de la gestion des ressources humaines, par le recours fréquent à des questionnaires fermés et à des scénarios, plutôt qu’à des situations réelles, contribuent à limiter les connaissances en les enfermant dans des schémas de pensée préétablis (Hireche et El Mourabet, 2007). Par conséquent, Clegg, Kornberger et Rhodes (2007) soutiennent qu’il est largement répandu empiriquement que l’action la plus commune prise par les organisations pour faire face à la question éthique est le développement et l’implantation de règles éthiques à travers des codes de conduite et des énoncés de valeurs (Jackson, 2000; Kjonstad et Willmott, 1995; Stevens, 1994; ten Bos, 1994; Warren, 1993), comme c’est le cas pour les théories du leadership en matière d’éthique, qui sont principalement prescriptives. Pour Hireche et El Mourabet (2007), il est nécessaire de faire davantage de recherches qualitatives dans le domaine de l’éthique de la gestion des ressources humaines afin de mieux comprendre les enjeux éthiques et d’étudier en profondeur les concepts éthiques, tout en tenant compte des contextes situationnels.

2.2.2. Les conduites éthiques des cadres à l’interface du sujet libre et