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Chapitre 6 : Impacts des changements climatiques

6.2 Réalité des coopératives et des professionnels

À Catac, une tendance générale est ressortie du groupe de discussion quant aux impacts les plus nuisibles aux rendements agricoles. Les impacts des changements climatiques sont variés. Toutefois, l’impact le plus dommageable selon les participants est l’accroissement des périodes de gel. Habituellement, les périodes de sécheresse (de juin à octobre) sont accompagnées de périodes de gel. Cette année, la communauté a aussi expérimenté des pluies intenses, qui ont entraîné des inondations. La plupart des rivières, qui prennent leur source de la fonte des glaciers, dont la rivière Santa, sont sorties de leurs lits cette année. Les zones habituellement inondées ont d’ailleurs été identifiées par un porte-parole sur la carte participative réalisée à la quatrième partie du questionnaire (annexe 3) lors du groupe de discussion (figure 31). Catac Pata est la zone ayant le plus gros risque d’inondation de la communauté. Les participants notent que ces impacts entraînent une diminution de la production de lait et une augmentation des maladies auprès du bétail. Les bœufs ont de plus en plus de parasites et de plus en plus de problèmes respiratoires. Cette année, 5% des animaux sont morts, les décès ont surtout été observés auprès des agneaux s’entend le groupe. Du côté de la pomme de terre, l’accroissement des périodes de gel augmente l’apparition de la maladie rancha. Les pommes de terre affectées par la maladie ne poussent pas, mais plutôt elles pourrissent nous expliquent un membre de la communauté. Au-delà des changements climatiques, le président de la communauté a aussi mentionné que le sol de la communauté paysanne est contaminé par les déchets des municipalités et que les activités des entreprises minières de la région affectent la qualité du sol pour l’agriculture. Tous ces impacts entraînent de mauvaises conditions pour la productivité et la qualité des cultures. En conséquence, comme facteur sociologique, les jeunes migrent de plus en plus pour aller s’installer en ville. Il semblerait que les jeunes délaissent les cultures traditionnelles et les produits locaux selon le président. À Catac, il n’y a aucune école ou institut pour former les jeunes en agriculture. Conséquemment de plusieurs facteurs,

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plusieurs terres sont abandonnées. La relève absente, les compagnies privées et/ou financières commencent à récupérer une partie des terres agricoles nous expliquent les participants. Encore une fois, le président de la communauté mentionne l’absence totale d’aide technique et financière du gouvernement.

Figure 31: Cartographie participative, Catac

Pour ce qui est de la partie de la cartographie participative, elle a été difficile d’amorce. Au départ, les participants n’étaient pas certains de connaître l’emplacement géographique des éléments demandés. Toutefois, un leader du groupe a finalement bien représenté les éléments clés de toute la communauté paysanne de Catac. Comme illustré sur la figure 31, les vagues rouges et bleues représentent les zones d’inondations qui se font de part et d’autre de toutes les rivières, soit la rivière Santa, Pastoruri, Quesqui et Querococha. La rivière Santa est de loin la plus importante de Catac et elle prend sa source dans un lac

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glaciaire de la région. Ainsi, les inondations surviennent surtout lors de la fonte glaciaire et non seulement lors de forte précipitation nous explique le porte-parole. Quant aux zones enclines aux sécheresses, représentées par un soleil rouge, les participants se sont entendus pour identifier Catac et Catac pata (figure 31). Les participants ont aussi identifié les zones enclines aux maladies, soit principalement celles abritant les pâturages. Ainsi, Cotosh et Catac ont des petits insectes en rouge qui leurs sont attribués sur la carte pour illustrer la présence de maladies. Jatumpa, la zone visitée lors du 23 mai, est munie de systèmes d’irrigation (figure 32). Il est aussi possible d’observer que les cultures se trouvent principalement à Jatumpa et Catac papa. Toutes les autres zones sont dédiées aux pâturages naturels, où il y a rotation des ovins. À Catac et à Jatumpa, on y retrouve des étables et des pâturages délimités par des clôtures. Quant aux différents villages, ils sont illustrés à l’aide de petites maisons. Nous nous sommes assurés que la carte représente bien la manière dont la communauté perçoit son environnement en la validant avec cette dernière.

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Crédit photo : Camille Robitaille-Bérubé, 23 mai 2018

Les membres de la communauté paysanne de Catac se sont entendus pour dire qu’avant il y avait très peu d’aléas climatiques. Maintenant, le phénomène est beaucoup plus fréquent. Les sécheresses comme les inondations sont fréquentes. Lors de période de sécheresse, les membres ont droit entre trois et douze heures d’irrigation une fois tous les vingt jours selon la grandeur du terrain. Le gouvernement national a la propriété exclusive de l’eau et la responsabilité de la gérer. Il autorise son utilisation moyennant des paiements appropriés d’un tarif de l’eau (Comisión Técnica Multisectorial, 2004). Ainsi, la communauté a une quantité d’eau allouée et par la suite, elle se divise la ressource selon les besoins et la grandeur du terrain de chacun.

Les jours sont plus chauds, mais à l’inverse les soirs et les nuits sont plus froids. Il y a dix ans, les semences et les récoltes s’effectuaient à la même période de l’année. Maintenant, les périodes de gel et la variabilité des saisons complexifient la tâche. De juin à juillet, le gel détruit les cultures. Tous ces éléments apparaissent au tableau 24, lorsque nous avons demandé au groupe d’identifier des événements clés au cours de l’année, à la cinquième partie du questionnaire (annexe 3). Cette étape a été plus difficile d’amorce, mais au final, la majorité des participants ont lancé des mois précis pour chaque événement amené (saisons sèches, préparation des terres, récoltes, etc.). Les membres de la communauté ont mentionné qu’il n’y avait plus de constance dans l’apparition des saisons. Il y a quinze ans, l’hiver s’étendait de mai à août et l’été commençait en septembre nous confie un membre plus âgé. Pour la même échelle de temps, la période des pluies était aux mois de mars et avril tandis qu’aujourd’hui au mois de mai, les précipitations en pluie sont encore fortes (tableau 24). Ayant des pluies plus tard dans l’année, l’eau a tendance à geler, ce qui nuit fortement aux récoltes s’accordent les participants. Pour ce qui est des périodes sèches, elles sont de juin à octobre. Quant aux maladies saisonnières, lors de pluies et de temps froids, de mars à septembre, la présence de parasites augmente. Seulement 10% de la

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communauté a un travail fixe, les autres sont donc très vulnérables aux instabilités climatiques nous racontent-ils.

Tableau 24: Calendrier d’événements, Catac

Événements J F M A M J J A S O N D Hiver      Été          Saisons sèches      Préparation des terres    Plantation    Récolte    Saisons humides (pluies)    Période des aléas climatiques        Période des maladies saisonnières       Légende :  Seulement maintenant  Avant et maintenant Huarmey

À la coopérative de Huarmey, lorsque nous les avons interrogés sur les impacts les plus nuisibles pour leurs rendements agricoles, les membres se sont dits autant affectés par les inondations que les sécheresses. Toutefois, les participants des deux groupes de discussion rencontrés lors de la première visite sur le terrain affirment que les sécheresses sont

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l’impact le plus nuisible. Considérant que les précipitations sont quasi inexistantes, le coût de l’eau augmente lors de périodes de sécheresse. Des réservoirs d’eau sont installés, mais les membres doivent payer pour avoir accès à cette eau nous explique un membre. Les gestionnaires (comité) de la coopérative donne accès à la ressource aux membres ayant la culture en sollicitant le plus, l’eau n’est pas distribuée à tour de rôle.

Les températures de nuit et de jour l’été ont augmenté. L’asperge nécessite des températures tempérées. Un membre raconte même qu’en 2017, il y a eu 30% de perte en raison des fortes variations climatiques. Avec les inondations, de nouvelles maladies apparaissent tout comme des mouches de fruits et des rats. Il y a dix ans, il n’y avait aucune maladie pour la culture de l’asperge. Maintenant, les agriculteurs et agricultrices essayent de ne pas trop planter d’arbres à proximité de la culture pour ne pas attirer les insectes. Néanmoins, il s’agit d’une réalité qui peut être associée aux monocultures aussi. Ils ont même installé des pièges à insectes dans les champs (figure 33). De plus, en visitant les terres d’un membre de la coopérative, nous avons vu qu’ils brûlent les restes de culture pour éviter la propagation de maladies (figure 34).

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Figure 34: Feuillage d'asperge qui est brûlé, Huarmey Crédit photo : Camille Robitaille-Bérubé, 24 mai 2018

Lorsque nous leur avons demandé quels impacts ont ces aléas, les participants de Huarmey ont dit que les changements climatiques ont des impacts très négatifs sur leur qualité de vie, surtout pour ce qui est de l’aspect économique. En effet, les coûts de production sont élevés, mais le prix de vente de l’asperge diminue. Ils connaissent des pertes de productions et ils n’arrivent plus à couvrir le prix de la semence de la plus grande campagne de récolte (il y a deux campagnes par année, une petite et une plus grande détaillées plus loin).

Par la suite, après avoir expliqué que nous souhaitions réaliser une carte de la coopérative, à la quatrième partie du questionnaire (annexe 3), les participants ont désigné un porte- parole qui s’est entendu avec les autres quant aux zones inondables et sèches illustrées à l’aide de pointillés rouges pour les premières et de soleils rouges pour les deuxièmes (figure 35). En fait, elles sont les mêmes, une zone peu autant être victime d’inondations que de

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que sécheresses. L’asperge, illustrée en vert, est cultivée sur tout le pourtour de la rivière Huarmey, ce qui la rend très vulnérable aux inondations (figure 36). Il arrive aussi que la rivière Huarmey s’assèche complètement, phénomène illustré par les traits verticaux rouges. Toutes les zones de la région sont autant vulnérables aux impacts des changements climatiques selon les membres de la coopérative. Comme illustré à la figure 35, les villes du district sont toutes situées en bordure de la rivière Huarmey et entourées de montagnes arides. Cependant, les vallées plus au nord de Huarmey seraient plus affectées par la sécheresse selon les membres de la coopérative.

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Figure 36: Les terres autour de la rivière Huarmey, Huarmey Crédit photo : Camille Robitaille-Bérubé, 24 mai 2018

À l’étape de réaliser un calendrier saisonnier, à la cinquième partie du questionnaire (annexe 3), les membres de la coopérative ont mentionné que le cycle de production n’est plus le même. Ce dernier était stable il y a cinq ans, mais aujourd’hui il ne l’est plus, c’est- à-dire que le cycle de production est allongé ou raccourcit. L’été devrait normalement finir en mars, mais depuis les trois dernières années il y a un mois de décalage. La saison estivale peut être retardée ou devancée par des périodes de froid ou de chaleur. Le chamboulement du cycle des saisons est d’ailleurs un des effets qui peut être occasionné par les changements climatiques. Quant à la petite récolte d’asperge, elle se fait d’avril à mai, tandis que la grosse récolte de septembre à octobre (tableau 25). La saison sèche s’étend de mai à août (hiver). Il n’y a aucune saison de pluie, mais les inondations surviennent lors de la fonte des glaciers vers le mois de mars s’entendent-ils. La période la plus froide est

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de juin à août. Pour ce qui est des maladies, elles sont présentes toute l’année, mais surtout lors des mois plus chauds. Pour ce qui est de la préparation des terres, elle se fait seulement une fois tous les dix ans pour la culture de l’asperge, ce qui correspond au cycle de vie de la culture. Une personne mentionne aussi le phénomène El Niño comme venant créer des perturbations climatiques. Le phénomène survient tous les 10 ans et il modifie le cours des rivières entraînant inondations ou sécheresses de part et d’autre de la rivière Huarmey. En 2017, Huarmey a connu une grosse inondation affectant les cultures et toute la ville nous rappellent plusieurs fois les participants. À la figure 37, il est possible de voir que les plants d’asperges ont tous été emportés par la rivière et qu’il ne reste plus rien lors du séjour sur le terrain. À l’arrière-plan de l’image, il est aussi possible de voir jusqu’où le niveau de l’eau a monté. Selon les participants, la force et la fréquence du phénomène El Niño n’ont pas changé. Toujours selon eux, la vulnérabilité des membres de la coopérative dépend de leur préparation au phénomène.

Tableau 25: Calendrier d’événements, Huarmey

Événements J F M A M J J A S O N D Hiver      Été          Petite récolte   Grande récolte   Saisons sèches     Plantation    Récolte     Période des aléas climatiques     Périodes de maladies             Légende :

122  Seulement maintenant

 Avant et maintenant

Figure 37: Une terre qui a été affectée par l'inondation de 2017, Huarmey Crédit photo : Camille Robitaille-Bérubé, 24 mai 2018

Lorsque nous leur avons demandé ce qu’ils s’attendent de rencontrer dans le futur, les participants de Huarmey ont dit craindre des impacts climatiques plus forts dans les années à venir. Ils ont peur de souffrir encore plus de vagues de chaleur et de froid. Plus précisément, ils redoutent les sécheresses plus sévères. Ils sont dans une vallée entre des montagnes, ils ont donc des possibilités de migrations très limitées. Leur seule option est donc de prier selon eux. Les membres de la coopérative voient l’asperge comme une culture relativement flexible. Par le fait même, ils disent ne pas avoir à songer à changer de culture. Il est ainsi possible d’en déduire que l’asperge confère des bénéfices.

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Au tableau suivant, il est possible de comparer les impacts des changements climatiques qui touchent chacune des deux coopératives.

Tableau 26: Comparaison des impacts des changements climatiques touchant les deux coopératives

Coopératives Impacts les plus

nuisibles

Impacts cultures/élevage

Zones plus à risques Fréquence des aléas

Catac -Gels -Inondations -Diminution production lait -Augmentation des maladies (bétails et cultures) -Diminution rendements -Plus de constance dans

les saisons

-Pourtour rivière -Zones pâturages -Catac et Catac papa

-Accrue

Huarmey -Sécheresses

-Inondations

-Nouvelles maladies -Diminution rendements

-Plus de constance dans les saisons

-Pourtour rivière -Vallées plus au nord

124 Professionnels

Selon les experts (tableau 17), la Sierra fond plus rapidement depuis les 10 à 15 dernières années. Toutefois, les preuves des changements climatiques sont palpables depuis plus de 60 ans au Pérou et l’une de ces preuves est la fonte incontestée des glaciers à Ancash. Cette fonte qui s’évaluerait à 40% de la superficie des glaciers. Leurs perceptions sont que les changements climatiques sont maintenant une évidence nationale. Les activités humaines comme la déforestation et les activités minières exacerbent les changements des écosystèmes. Selon certains, la régression glaciaire serait le résultat le plus important auquel le Pérou ferait face. Les changements dans les écosystèmes hydrologiques sont aussi importants. Par exemple, depuis 20 ans, il est interdit de marcher dans certains sentiers du glacier Pastoruri (près de Catac) pour ne pas amplifier la fonte des glaces nous mentionne un expert. Depuis 1980, suite aux nombreux débordements des lacs et rivières de Ancash, le gouvernement a déployé une équipe de sécurité et de contrôle des fontes des glaciers. Cette équipe technique est toujours en action. De 1965 à 2010, la température a augmenté de 0,6°C. En plus de ces écarts marqués des températures, les experts observent davantage de maladies dans les cultures, de hauts taux d’humidité, une présence accrue des sécheresses et une variation marquée des saisons. Les aléas varient beaucoup d’une région à l’autre. Les pluies peuvent augmenter comme elles peuvent diminuer. Ces phénomènes sont surtout observables depuis les années 1999 au Pérou.

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