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Chapitre 1 : Problématique, objectifs et portrait général

1.3 Quelques éléments du problème

1.3.5 La question de genre

Les relations de genre façonnent la division du travail, l’accès aux ressources et la prise de décision au sein du ménage paysan péruvien. De plus en plus, les ménages des Andes péruviennes ont connu une transformation économique, ce qui leur permet de ne plus dépendre uniquement de l’agriculture de subsistance (Forstner, 2013). Ces changements ont eu une influence sur les relations de genre traditionnellement basées sur la complémentarité et l’interdépendance des hommes et des femmes. La culture andine contemporaine est caractérisée par l’inégalité entre les sexes face à l’évaluation du travail des femmes dans les processus économiques et sociaux. Notamment, les femmes ne sont pas payées pour leur contribution au niveau domestique et agricole, ou beaucoup moins, tandis que les hommes le sont généralement au niveau agricole (Forstner, 2013). En Amérique latine, l’époux est généralement à la tête du ménage par défaut (Andersen et al., 2017). Seulement 19,1% des ménages sont menés par des femmes au Pérou en 2008. Ce pourcentage est de 14,1% en zone rurale et de 23,2% en zone urbaine. De plus, les ménages ayant des femmes comme meneuses ont des revenus moindres (Andersen et al., 2017).

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D’ailleurs, les ménages ayant un meneur plus jeune sont plus vulnérables puisqu’ils n’ont pas accumulé autant de capital humain, physique et social que les ménages ayant des meneurs plus âgés. Par contre, les ménages ayant des femmes comme meneuses sont plus résilients aux intempéries (Ibid). Avec l’insertion des femmes comme travailleuses rémunérées, ces dernières sont responsables quasi exclusivement de prendre soin de leur famille en plus de leurs nouvelles responsabilités. Dans le même ordre d’idées, les femmes gagnent en moyenne 30,3% moins que leurs homologues masculins (MINAM et MIMP, 2017).

Une domination de 500 ans d’élite hispanophone centrée sur les hommes peut en partie expliquer les inégalités entre les hommes et les femmes (Valdivia et al., 2013). Par exemple, les programmes gouvernementaux ne travaillaient qu’avec les hommes, les femmes ne parlent que rarement lors de réunions communautaires, les décisions publiques sont prises par les hommes, les jeunes filles sont plus enclines à ne pas aller à l’école et la violence domestique envers les femmes est encore une grave réalité (Valdivia et al., 2013). L’accès à l’éducation est essentiel pour permettre aux femmes comme aux hommes de prendre de meilleures décisions et d’être mieux informés sur les marchés et les autres opportunités. Les ménages les plus instruits sont souvent ceux avec les meilleurs revenus. Notamment, les changements économiques et politiques du pays ont grandement aidé les femmes péruviennes. Les femmes ont une participation accrue aux marchés. En effet, elles sont devenues les principales responsables de la gestion des ressources et de la commercialisation des produits ménagers au Pérou (Valdivia et al., 2013).

Les femmes et leurs réseaux peuvent être importants pour définir l’utilisation des terres et l’utilisation des ressources (Abizaid, 2015). En effet, même si les hommes semblent dominer ces sphères, les femmes ont leur importance dans la mobilisation des ressources productives des sociétés agraires traditionnelles péruviennes (Ibid). Leur principal rôle est donc de mobiliser le travail masculin à travers leurs réseaux sociaux et de miser sur le partage coopératif du travail agricole.

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Or, des inégalités sont présentes dans l’utilisation du temps et lors de la répartition des tâches productives entre les hommes et les femmes (Villalba et al., 2013). En d’autres mots, les fonctions ménagères sont strictement réservées aux femmes. Comparativement à d’autres pays d’Amérique latine, les femmes péruviennes semblent toutefois avoir une plus grande autonomie économique, ce qui améliore d’autres sphères de leur vie (Villalba et al., 2013). En effet, les hommes comme les femmes peuvent hériter de terres et d’animaux et les femmes prédominent dans le commerce à petite échelle (Valdivia et al., 2013). D’ailleurs, les femmes aymaras, groupes autochtones d’Amérique du Sud, sont les gardiennes des terres, messagères des connaissances traditionnelles et les responsables de l’élevage et de la gestion du bétail dans les villages indigènes (MINAM et MIMP, 2017). Elles peuvent ainsi jouer un rôle clé dans le processus des mesures d’adaptation aux changements climatiques.

La principale propriété animale chez les femmes agropastorales est le mouton, tandis que chez les femmes pastorales, elles possèdent surtout des lamas ou des alpagas (Ibid). Toutefois, ce sont les hommes qui possèdent les bovins laitiers. Ce fait s’explique par leur facilité à accéder aux capitaux et la valeur des entreprises laitières. Cependant, les femmes représentent une quantité importante de main-d’œuvre, elles sélectionnent et conservent les semences puis elles vendent également les cultures vivrières (Ibid). De plus, celles faisant partie des organisations agricoles sont plus portées à posséder des terres comparativement aux femmes du reste du pays : 26% des femmes dans les coopératives agricoles versus 16% des femmes dans tout le pays (Gumucio et al., 2016). En zone rurale et urbaine, les femmes sont responsables de presque toutes les décisions reliées à la maison. Toutefois, en 2013, 32,3% des femmes de 14 ans et plus n’avaient pas de revenus propres, presque trois fois plus que les hommes (12,2%) (Ibid). Cette tendance est encore plus forte en zone rurale où 48,3% des femmes n’ont pas de revenus propres contre 14,1% des hommes. Pour la même année, une partie des femmes adultes sont analphabètes (31,7%) en comparaison à 9,3% des hommes adultes. L’écart est plus grand entre les personnes avec une langue maternelle native (quechua, aymara ou amazonienne). En 2013, 28,6%

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des femmes qui parlent une langue indigène sont analphabètes comparativement à 6,9% des hommes (MINAM et MIMP, 2017).

Ainsi, bien qu’il existe peu de littérature concernant les différentes vulnérabilités entre les sexes face aux changements climatiques (Djoudi et al., 2016 ; Andersen et al., 2017), la documentation actuelle suggère que les femmes dans les milieux ruraux des pays en développement seraient les plus vulnérables aux impacts des changements climatiques puisqu’elles sont responsables des activités les plus sensibles au climat (agriculture, collecte de l’eau et du bois de chauffage) (Andersen et al., 2017). Il existe aussi des différences entre les sexes en matière d’accès à l’eau, aux terres et aux ressources. Cette situation est due à la division du travail entre les sexes, c’est-à-dire que la gestion des ressources naturelles est principalement dédiée aux femmes (Andersen et al., 2017). En cas de catastrophes ou de stress, les femmes sont plus vulnérables que les hommes. En effet, ces derniers vont avoir tendance à migrer à la recherche de travail en laissant derrière eux les femmes. Celles-ci voient ainsi leur charge de travail augmenter, ce qui rend difficile la poursuite de leurs activités génératrices de profits (Ibid). Dans ce contexte, les ménages qui consacrent une part importante de leur revenu à la nourriture peuvent être particulièrement vulnérables aux hausses des prix des aliments provoqués par les changements climatiques (Ibid).

Selon une étude de Reyes (2002), les inégalités entre les sexes se caractériseraient par une distribution et une consommation de nourriture inférieure pour les femmes notamment lors d’événements naturels extrêmes tel qu’El Niño par exemple. Une malnutrition généralisée s’en suivrait car elle entraîne un accès plus difficile aux ressources. Puisque la fréquence, l’intensité et la durée du phénomène El Niño vont augmenter avec les changements climatiques (GIEC, 2012), il appert que les défis de santé publique liés à la malnutrition et aux maladies infectieuses pourraient augmenter. La précarité des conditions de vie des femmes est donc à surveiller. Les femmes disposent de peu de ressources pour comprendre et prévoir les changements climatiques à l’échelle de leur milieu. Elles sont vues comme

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des mères passives qui ne sont pas toujours incluses dans les réformes des processus agricoles, alors qu’elles devraient être vues comme des travailleuses actives (Forstner, 2013). Il a d’ailleurs été démontré que les changements climatiques ont augmenté la vulnérabilité des femmes Aymaras du Pérou puisqu’elles doivent passer plus de temps à travailler pour supporter les cultures et le bétail (Valdivia et al., 2013). Les irrégularités dans les températures et les précipitations entraînent une dégradation des sols, des forêts et des cultures menant à une diminution de la production et de la capacité agricole (Reyes, 2002). Dans ce contexte, les hommes optent parfois pour la migration afin de se trouver des emplois. La charge de travail pour compenser les pertes de ressources agricoles, encore plus importante qu’elle l’était, repose alors entièrement sur les femmes (Ibid). En résumé, les femmes sont plus vulnérables que les hommes et cette tendance s’accroît lorsqu’il s’agit de femmes indigènes.