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Quid de la différence entre les cultures américaine et européenne

Section I – La culture de la concurrence par la compliance au droit de la concurrence : une

B- Quid de la différence entre les cultures américaine et européenne

Antoine Gaudemet explique que la compliance a d'abord touché les États-Unis en raison d'une différence culturelle avec l'Union européenne. En effet, la garantie du bon fonctionnement du marché par les entreprises elles-mêmes est placé au centre des préoccupations de la philosophie politique américaine752. De plus, le système américain repose sur une logique de coopération entre

les autorités et le secteur privé qui luttent ensemble contre les comportements anticoncurrentiels. Or, en France notamment, l'accent a longtemps été mis sur l'intervention de l'État dans l'économie et qui sanctionne les manquements par le biais d'un système légal. En outre, traditionnellement, la culture du secret professionnel, du secret des affaires prime, et non cette logique de transparence. C'est pourquoi, pour certaines personnes, sur le plan culturel, plus particulièrement en France en tout cas, la compliance constitue tout de même une révolution en ce qu'il s'agit d'un concept qui n'est pas d'origine européenne.

Les principales différences entre les deux côtés de l'Atlantique tiennent à l'approche de la compliance elle-même ainsi qu'à celle de la concurrence. On citera, à titre d'exemple, la non- 750 OCDE, Promoting compliance with competition law, op. cit., p. 375.

751 OCDE, Promoting compliance with competition law, op. cit., p. 332. 752 GAUDEMET (A.), « Introduction », op. cit., p. 10.

reconnaissance d'un legal privilege aux juristes internes aux entreprises, ainsi que les mécanismes d'alerte qui s'opposent à la culture française du silence et du secret. Sur ce point, Emmanuel Breen et Antoinette Gutierrez-Crespin attirent l'attention des entreprises sur un possible écueil qui est « qu’une ancienne culture du secret soit remplacée par une forme de discours convenu de la compliance »753. Ce discours risque de ne pas être effectif car « personne n’ose faire un pas de coté

et donner véritablement son avis sur tel ou tel problème ou tel ou tel aspect du programme »754. Or,

de nombreux praticiens estiment qu'il est temps de « placer le droit français et ses juristes sur un pied d'égalité avec les autres systèmes juridiques […] des grandes démocraties »755. Cela leur paraît

nécessaire pour établir la culture de la concurrence par la compliance. C'est pourquoi la présidente de l'AFJE a invité, lors d'une conférence, le gouvernement français à prendre ses responsabilités afin que les juristes d'entreprises puissent obtenir les moyens de mettre en œuvre ce système de compliance en leur permettant d'avoir la confidentialité de leurs avis et correspondances afin d'éviter l'auto-incrimination. D'ailleurs, il est évident que sans cela, la compliance sert davantage les intérêts des autorités de concurrence. D'autres estiment que pour renforcer la culture de la concurrence, il faut reconnaître que les programmes de compliance sont un circonstance atténuante.

De plus, ce qui explique que la culture de concurrence peut paraitre plus avancée en Amérique que dans l'Union européenne est le fait que le droit antitrust américain repose en grande partie sur le droit pénal, c'est-à-dire qu'un comportement anticoncurrentiel s'apparente à un crime. Or, dans l'Union, le droit de la concurrence est d'origine civil ou administratif. En Amérique, les entreprises sont donc davantage soucieuses de mettre en œuvre des plans de prévention de ces infractions via la compliance.

Toutefois, on perçoit, notamment avec l'introduction de la loi Sapin II que c'est l'inverse qui tend à se produire, à savoir une modification de la culture française et européenne pour correspondre à la logique de la compliance américaine.

Selon de nombreux auteurs en la matière, il y a un objectif marqué des États-Unis dans la diffusion des programmes de compliance au droit antitrust. Cet objectif est résumé par Jean- Christophe Roda : l'« exportation à l'étranger d'un savoir-faire et d'une manière de penser les méthode de controle [...], le but est en réalité d'imposer une manière de faire de la compliance « à l'américaine » […] sous couvert de coopération internationale »756. En ce qui concerne le droit la

753 BREEN (E.), GUTIERREZ-CRESPIN (A.), op. cit., p. 112. 754 Ibid.

755 DEDIEU (D.), FEUGERE (W.), LANCRI (M.), MOSSE (M.), TROCHON (J-Y.), WINCKLER (A.), op. cit., p. 18.

concurrence, il serait question de renforcer cette culture de concurrence que les Américains ont d'ores et déjà instauré comme étant une valeur commune. Pour rappel, la culture de la concurrence a pris naissance en Amérique puis s'est exportée au sein des filiales européennes des entreprises américaines. C'est pourquoi, Joëlle Simon explique que « les principales difficultés des entreprises […] européennes tiennent au fait que les programmes de conformité […] sont une création américaine importée sans que l'on ait en même temps incorporé l'ensemble du dispositif qui permet aux programmes de fonctionner correctement »757. En effet, si le programme de compliance n'est

pas adapté aux spécificités de l'Europe, ces différences culturelles peuvent conduire à moins d'efficacité du programme car tous les éléments du cadre de compliance ne sont pas établis. Cependant, il ne faut pas oublier que la culture européenne de la concurrence, introduite plus tard, a su marquer certaines spécificités, à défaut de quoi elle aurait été inefficace, voire rejetée par les acteurs. Comme l'a relevé Catherine Prieto, cette culture « a pu servir l'identité européenne »758 en

étant, non pas une fin en soi comme aux États-Unis, mais un moyen au service de la construction du marché unique regroupant des langues et des cultures différentes.

De plus, tout comme il est nécessaire de personnaliser les programmes de compliance, il peut être dangereux de transposer purement et simplement ces techniques venant d'autres pays sans les adapter à la façon de faire des affaires.

Au vu de l'importance que prend le « phénomène compliance », il serait judicieux que l'Union européenne s'en empare pour marquer son influence dans cette matière éminemment anglo- saxonne.

C- Du renforcement de la culture européenne de la concurrence à l'émergence d'une possible