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La position des instances de l'Union européenne

Section I Un outil majoritairement mis en place en réaction à une condamnation pour

B- La position des instances de l'Union européenne

À l'origine, l'Union européenne accordait un avantage aux opérateurs établissant des programmes de compliance à la suite de la découverte d'une infraction anticoncurrentielle406.

Christophe Lemaire mentionne une « apparente bienveillance »407 de la part de la Commission

européenne de 1980 à 1996. Ainsi, en 1982, elle a pris en considération un programme de compliance comme circonstance atténuante au titre de la spontanéité de sa mise en œuvre408. En

revanche, il convient de relever que cette atténuation était accordée lorsque les opérateurs économiques avaient une démarche de coopération. D'ailleurs, c'est à propos d'une entreprise ne coopérant pas que les instances européennes ont énoncé la formule dans la décision Hercules Chemicals en 1991 et qui sera constamment reprise pas la suite, selon laquelle les programmes de compliance « ne change[nt] rien à la réalité de l'infraction »409.

Cependant, désormais, ces programmes ne jouent plus de rôle auprès des instances de l'Union européenne s'agissant de leurs défaillances ou de leurs mises en place au moment de l'infraction. À ce titre, Christophe Lemaire relève « une indifférence affirmée »410 depuis 1996. Il est

intéressant de noter que cette année correspond à l'adoption des lignes directrices relatives aux procédures de clémence. Cela s'explique par le fait que la Commission européenne faisait bénéficier l'entreprise d'une réduction d'amende moins pour l'adoption de démarche de compliance qu'au titre de sa coopération. Or, depuis, la coopération est dédommagée au titre des programmes de clémence, et non de compliance. Ce n'est que de manière subsidiaire que la compliance est prise en considération si elle amène l'entreprise à faire une demande de clémence, donc à la coopération. À ce titre, Joaquin Almunia a affirmé que l'existence de ces programmes ne justifie pas « de moduler le montant des sanctions pécuniaires, que ce soit à la baisse ou à la hausse »411. Il rappelle qu'« il

est suffisant de récompenser les entreprises qui contribuent à la découverte des cartels »412.

L'important pour la Commission européenne est le caractère dissuasif des sanctions dont les 406 Commission UE, décision du 5 juin 1991, op. cit.

407 LEMAIRE (C.), « À propos des programmes de conformité : Quels enseignements de la pratique des autorités à travers le monde ? », op. cit., p. 69.

408 Commission CE, décision du 7 décembre 1982 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE, aff. IV/30.070, National Panasonic, 382D0853, 82/853/CEE, JOCE n° L 354 du 16 décembre 1982, p. 28-35, pt. 40.

409 TPICE, 17 décembre 1991, aff. T-7/89, SA Hercules Chemicals NV contre Commission des Communautés

européennes, Rec. II p. 1711, ECLI:EU:T:1991:75, pt. 357.

410 LEMAIRE (C.), « À propos des programmes de conformité : Quels enseignements de la pratique des autorités à travers le monde ? », op. cit., p. 70.

411 OCDE, Promoting compliance with competition law, op. cit., p. 361. ; voir aussi ALMUNIA (J.), Compliance and

competition policy, op. cit.

412 ROQUILLY (C.) (dir.), La contribution des juristes et du droit à la performance de l'entreprise : management

montants sont de plus en plus importants ces dernières années comme évoqué dans la première partie.

La Commission européenne n'adopte donc plus de position en faveur de ces programmes lorsqu'une infraction au droit de la concurrence est commise. Les praticiens relèvent qu'elle a « exclu de monnayer l'adoption de programme de conformité »413. À tout le moins, Joseph Murphy

met en évidence que « les services répressifs de l’UE cherchent des informations provenant de programmes de conformité, informations qu’ils utilisent contre les entreprises afin d’établir que les infractions étaient délibérées et n’ont pas eu lieu par négligence »414. En tout état de cause, elle ne

les considère pas comme étant un facteur à prendre en compte dans l'individualisation de la peine, et ce malgré les demandes de nombreux requérants. La Commission européenne rappelle à plusieurs reprises qu'elle « accueille favorablement les mesures prises par les entreprises en vue d'éviter des infractions ultérieures liées aux ententes, de telles mesures ne peuvent changer la réalité des infractions et la nécessité de les sanctionner [et le] simple fait que, dans certaines de ses décisions précédentes, la Commission ait pris en considération de telles mesures en tant que circonstances atténuantes ne signifie pas qu'elle est tenue de faire de même dans chaque affaire »415. Dans ses

lignes directrices, elle affirme clairement que « la simple existence d’un programme de conformité ne sera pas considérée comme une circonstance atténuante [… ni] comme une circonstance aggravante »416.

Lors d'une conférence en 2018, le président de la Cour de justice de l'Union européenne Koen Lenaerts a expliqué que la Commission européenne serait même désormais d'avantage encline à considérer ce programme comme une circonstance aggravante417. D'ailleurs, l'existence d'un

programme de compliance non respecté a déjà été considéré comme une circonstance aggravante, 413 TEMPLE-BOYER (S.), et MAROLLEAU (L.), De l’intérêt pour une entreprise d’adopter un programme de

conformité (partie 2), http://www.templeboyer-legal.fr/publication-25797-de-l-interet-pour-une-entreprise-d- adopter-un-programme-de-conformite-partie-ii-avril-2012.html, p. 2.

414 OCDE, Promoting compliance with competition law, op. cit., p. 305.

415 Commission CE, décision C (2007) 512 final du 21 février 2007 relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE, aff. COMP/E-1/38.823, Ascenseurs et escaliers mécaniques, JOCE 2008 n° C 75 du 26 mars 2008, p. 19, cons. 754. ; TPICE, 29 avril 2004, aff. jointes T-236/01, T-239/01, T-244/01 to T-246/01, T-251/01 et T- 242/01, Tokai Carbon Co. Ltd and Others v Commission, Rec. 2004 II p. 1181, ECLI:EU:T:2004:118, § 343. ; TPICE, 17 décembre 1991, aff. T-7/89, Hercules Chemicals v Commission, R e c . 1991 II p. 1711, ECLI:EU:T:1991:75, § 357. ; TPICE, 14 mai 1998, aff. T-352/94, Mo och Domsjö v Commission, Rec. II p. 1989, ECLI:EU:T:1998:103, § 417 et 419. ; TPICE, 14 mai 1998, aff. T-319/94, Fiskeby Board c/ Commission, Rec. II, p. 1331, ECLI:EU:T:1998:95, pt. 82 ; T r i b . UE, 17 décembre 2014, aff. T-72/09, Pilkington Group, ECLI:EU:T:2014:1094.

416 Commission UE, Compliance matters, What companies can do better to respect EU competition rules, op. cit., p. 19-20.

417 FRISON-ROCHE (M-A.), « Dans la conférence inaugurale du 2 mars 2018, Koen Lenaerts fait vivre l'Europe de la compliance », op. cit.

en 1998, par la Commission européenne dans la décision British Sugar418. Cette entreprise s'est vue imposer une augmentation de 75% du montant de son amende au titre de l'initiation d'une entente anticoncurrentielle seulement quatre mois après avoir adopté un programme de compliance comme engagement suite à un abus de position dominante. Nous ne sommes pas à l'abri qu'une telle situation se représente avec une aggravation de sanction de la même ampleur.

Le Tribunal de premières instances de l'Union européenne va également dans ce sens avec une jurisprudence constante qui affirme, notamment dans l'arrêt Schinler en 2011, que « l'adoption d'un programme de mise en conformité par l'entreprise concernée n'oblige pas la Commission à octroyer une réduction de l'amende en raison de cette circonstance »419 car il « ne change rien à la

réalité de l'infraction constatée »420. Encore récemment dans l'arrêt Silec en juillet 2018, le Tribunal

a rappelé que la compliance n'a pas d'effet sur le montant de la sanction en droit de l'Union européenne421. La Cour de justice ne fait qu'approuver ces positions422.

La réticence de la Commission européenne vient notamment de la critique du « role des avocats qui apprendraient à leurs clients comment passer entre les mailles du filet réglementaire »423. Elle veut s'assurer que les entreprises s'engagent réellement dans une culture de

la conformité et non qu'elles en fassent une stratégie s'agissant des sanctions pécuniaires, comme il peut ressortir de l'analyse de ce qu'il se passe dans d'autres pays. Le terme de conformité est ici employé de manière volontaire. La Commission européenne semble vouloir assurer le respect des règles par les entreprises, mais pas une démarche de compliance. Il suffit de prendre le nom français de la brochure de la Commission européenne : « Le respect des règles, ça compte » dans laquelle elle explique surtout les règles à respecter et en dit peu sur les process internes. Elle paraît y être assez indifférente, à l'inverse d'autres autorités de concurrence, quand bien même elle est ouverte aux logiques de soft law et d'autorégulation. Plutôt qu'une logique d'échange, elle est davantage en faveur de la promotion des règles de concurrence par les pouvoirs publics pour les entreprises. Toutefois, les avocats Dan Roskis et Sarah Jaffar affirment qu'« alors que les groupes d'entreprises adoptent une démarche commune à l'ensemble de leurs filiales européennes, voire mondiales […] il

418 Commission CE, décision 1999/210/CE du 14 octobre 1998, aff. IV/F-3/33.709, British Sugar plc, JOCE n° L 76/1 du 22 mars 1999, p. 1, pt. 208.

419 Trib. UE, 13 juillet 2011, aff. T-138/07, Schindler Holding Ltd et autres contre Commission européenne, Rec. 2011 II p. 4819, ECLI:EU:T:2011:362, pt. 282. ; TPICE, 12 décembre 2007, aff. jointes T-101/05, T-111/05,

BASF et UCB/Commission, Rec. 2007 II p. 4949, ECLI:EU:T:2007:380, pt. 52.

420 TPICE, 13 juillet 2011, aff. T-138/07, ibid. ; TPICE, 8 octobre 2008, aff. T-73/04, Le Carbone-Lorraine contre

Commission des Communautés européennes, Rec. 2008 II p. 2661, ECLI:EU:T:2008:416, pt. 143.

421 Trib. UE, 12 juill. 2018, aff. T-438/14, Silec, ECLI:EU:T:2018:447, pt. 72.

422 CJCE, 28 juin 2005, aff. jointes C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P, C-206/02 P, C-207/02 P, C-208/02 P et C- 213/02 P, Dansk Rørindustri et a. c/ Commission, Rec. 2005 I p. 5425, ECLI:EU:C:2005:408, pt. 373, concl. Tizzano.

est permis de regretter que la Commission ne joue pas un role moteur dans ce domaine »424.

Néanmoins, il convient de relever que, dans sa décision Google du 18 juillet 2018, la Commission européenne a prescrit une obligation de compliance à cet opérateur économique en lui imposant de s'organiser afin que ni la concurrence, ni l'innovation ne soient écrasées425. La

Commission a enjoint à Google d'arrêter, sous 90 jours, et de ne plus adopter ces pratiques ayant des effets restrictifs de concurrence et elle affirme : « The Commission will monitor Google's compliance closely and Google is under an obligation to keep the Commission informed of how it will comply with its obligations »426. Pour la Commission c'est de la seule responsabilité de Google.

Marie-Anne Frison-Roche a analysé cette décision en concluant que « l'avenir du Droit est dans l'Ex Ante, dans l'internalisation des règles dans les entreprises, et dans le Droit de la Compliance »427.

De nombreuses contributions continuent de plaider en faveur de l'établissement d'une telle circonstance atténuante, comme ce fut le cas pendant un temps devant l'ADLC. Il serait question de récompenser les efforts de l'entreprise d'avoir mis en place des dispositifs de compliance du fait de la minimisation des pratiques anticoncurrentielles que cela est susceptible d'entrainer.