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Les incitations des autorités de concurrence

Section I La progressive apparition de la compliance en droit de la concurrence

B- Les différentes incitations par le biais d'outils de soft law

1) Les incitations des autorités de concurrence

La Commission européenne, longtemps réticente à l'égard de tels programmes, a publié un document intitulé « Compliance matter – What companies can do better to respect EU competition rules » en 2011129 et en 2013130. En France, l'ADLC les a longtemps promut dans son document-

127 SAUVE (J-M.), op. cit., p. 48.

128 Règlement (CE) n° 1/2003, op. cit., § 38.

129 Commission UE, Compliance matters – What compagnies can do better to respect UE competition rules, 2011. 130 Commission UE, Compliance matters – What compagnies can do better to respect UE competition rules, 2013.

cadre du 12 février 2012 sur les programmes de conformité aux règles de concurrence131. Toutefois,

ce document a été rendu caduc par un communiqué du 19 octobre 2017132. Ce point sera discuté

ultérieurement.

Cette prise en compte n'est pas propre à l'Europe, ni aussi récente qu'il puisse y paraître. En effet, les premiers programmes de compliance ont été rapidement encouragés dès leur mise en place a u x États-Unis et au Canada. Les premières recommandations relatives à des programmes de conformité au droit de la concurrence ont été établies, selon Christophe Lemaire, par le Bureau de la concurrence Canadien en 1993133. Les programmes de compliance de ces deux pays sont, en

quelque sorte, doublement encouragés car ils reposent sur une dualité des ordres juridiques appliquant les règles antitrust. De la sorte, ces programmes sont explicités par les autorités de poursuites, à savoir la division Antitrust du Department of Justice (DoJ) et ses mémorandums134 aux

États-Unis ainsi que par le Bureau de la concurrence et son bulletin au Canada135. Ils sont également

pris en compte aux niveaux des juridictions pénales et civiles. Aux États-Unis, la base des recommandations est contenue dans les US Sentencing Guidelines136. C'est ainsi que pendant

longtemps, dans l'Union européenne, face aux sanctions imposées par les autorités étrangères, lorsque les entreprises souhaitaient mettre en place un programme de compliance, elles n'avaient à leur disposition que des textes étrangers. Toutefois, ces textes pouvaient ne pas correspondre aux spécificités juridiques européennes et à ses contraintes. De plus, les entreprises ont besoin de conseils pratiques. Il était important que ces dernières aient un référentiel officiel et de savoir la position des autorités de concurrence européennes par rapport à ces démarches de compliance.

Il est possible de citer d'autres exemples. Au Royaume-Uni, l'OFT a publié des lignes directrices sur les programmes de compliance137. À titre d'information, il faut noter que, depuis le 1er

avril 2014138, l'OFT et la Commission de la concurrence sont remplacées par la Competition and

Markets Authority (l'Autorité de la concurrence et des marchés). Pour finir cette liste, non exhaustive, l'autorité de concurrence brésilienne a également adopté des lignes directrices en 2016139.

131 ADLC, Document-cadre du 10 février 2012, op. cit.

132 ADLC, Communiqué du 19 octobre 2017 relatif à la procédure de transaction et aux programmes de conformité. 133 LEMAIRE (C.), « À propos des programmes de conformité : Quels enseignements de la pratique des autorités à

travers le monde ? », op. cit., p. 66.

134 US Departement of Justice – Office of the Deputy Attorney General, Memorandum, Subject : Principles of

Federal Prosecution of Business Organisations, August 28, 2008.

135 Bureau de la concurrence, Bulletin – Les programmes de conformité d'entreprise, 2015 (dernière version modifiée), disponible sur : https://www.ic.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/03927.ht ml.

136 U.S. Sentencing Commission, Guidelines Manual, Chapter 8 Sentencing of organizations. 137 OFT, How your business can achieve compliance with competition law, Guidance, juin 2011.

138 En vertu de la loi de 2013 sur les entreprises et la réforme réglementaire : The Enterprise and Regulatory Reform Act 2013.

De plus en plus d'autorités de concurrence au sein de l'Union européenne, mais également dans le monde, mettent en avant l'utilité de ces outils préventifs qui sont à la disposition des entreprises. Certains ont pu appréhender les programmes de compliance comme « une extension des missions du régulateur sectoriel »140. En réalité, il y a là une convergence entre les intérêts de ces

autorités et ceux des entreprises. En effet, parmi les moyens dont disposent les régulateurs pour réaliser leur mission, le programme de compliance en est indéniablement un élément141. Les

entreprises qui en mettent en œuvre poursuivent le même objectif concurrentiel que l'autorité. Le rôle de cette dernière ne se limite plus à intervenir ex post, une fois que l'infraction est commise pour y mettre fin en la sanctionnant. Son rôle est d'inviter les entreprises à s'auto-dissuader d'enfreindre les règles de concurrence142. À ce titre, Bruno Lasserre évoque que « la conformité

permet de démultiplier l’effort de pédagogie et de surveillance, en faisant des firmes des alliées de la politique de concurrence et de la construction d’une économie concurrentielle »143.

L'entreprise, quant à elle, signale qu'elle est attachée à ses mêmes valeurs et confirme sa volonté de les respecter. Il est vrai qu'aucun acteur ne paraît mieux à même de réguler son activité que l'entreprise elle-même144. De ce fait, selon Marie-Anne Frison-Roche, les programmes de

compliance font partis d'un « changement général de paradigme »145 modifiant le rapport à la règle

de droit de l'ex post vers l'ex ante. Cela est particulièrement notable en droit de la concurrence. Les autorités de concurrence, ayant des ressources limitées, ont ainsi la possibilité de réduire les coûts engendrés par l'application des règles ex post si les entreprises améliorent le respect de ces règles ex ante. Les autorités peuvent se consacrer davantage aux affaires les plus importantes où la pédagogie n'est plus d'un grand recours. De plus, une approche fondée sur la prévention contribue à une plus grande coopération avec les autorités de concurrence en ce qui concerne la détermination des comportements anticoncurrentiels.

C'est une démarche qui est née au sein des entreprises qui se sont auto-régulées par la prescription des comportements à adopter ou non. C'est véritablement sur la base des recommandations des autorités de régulation concurrentielle que les opérateurs économiques s'engagent à prévenir activement les pratiques anticoncurrentielles.

140 DE VAUPLANE (H.), « Une nouvelle géopolitique de la norme » , i n GARAPON (A.), Deals de justice: Le

marché américain de l’obéissance mondialisée, Paris, PUF, 2013, 200 pages.

141 MASCRET (C.), « Les enseignements de l'Autorité de la Concurrence en matière d'abus de position dominante pour des pratiques visant à retarder l'entrée sur le marché d'un médicament générique », LPA, 2014, n° 221, p. 3. 142 ZIVY (F.), « Témoignage », Rev. Conc. consom., 2008, n° 158, p. 76.

143 LASSERRE (B.), « Pourquoi s'investir dans la conformité? », op. cit.

144 TROCHON (J-Y.), « L'avénement des programmes d'autorégulation au sein des entreprises », op. cit., p. 673. 145 FRISON-ROCHE (M-A.), « Dans la conférence inaugurale du 2 mars 2018, Koen Lenaerts fait vivre l'Europe de