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Une logique complémentaire de la responsabilité sociale des entreprises et de

Section I – La culture de la concurrence par la compliance au droit de la concurrence : une

A- Une logique complémentaire de la responsabilité sociale des entreprises et de

Ces démarches de compliance au droit de la concurrence constituent la continuité des exigences d'éthiques et de responsabilité sociale des entreprises (RSE), c'est-à-dire ce « mouvement de moralisation des affaires […] fruit de la mondialisation »664. Pour rappel, la RSE s'établit, selon

l’Organisation internationale de normalisation, autour de sept thèmes : les droits de l’homme, l’environnement, les relations et les conditions de travail, la gouvernance de l’organisation, les 664 DRAI (E.), « Responsabilité sociétale des entreprises : un mouvement créateur de valeur », LPA, 2008, n° 54, p. 4.

bonnes pratiques dans les affaires, les questions relatives aux consommateurs et l’engagement sociétal665. La Commission européenne a, en 2011, publié une communication sur la stratégie de

l'Union européenne sur la RSE pour la période 2011-2014 dans laquelle elle définit la RSE comme « un concept qui désigne l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes »666.

Elle reconnaît qu'en contrepartie des engagements financiers, la RSE implique la compétitivité durable des entreprises en contrepartie des engagements financiers. Michel Doucin, qui était à l'époque ambassadeur français chargé de la bioéthique et de la responsabilité sociale des entreprises, a affirmé que « les autorités européennes voient désormais la RSE comme une réponse à la crise et comme un outil de régulation des entreprises »667. Le lien avec la compliance est évident : ces deux

phénomènes ont le même objectif et reposent, selon Jean-Yves Trochon, sur « l'engagement du monde des affaires de conduire ses affaires de manière responsable, notamment par la souscription d'engagements volontaires »668. Jean-Bernard Auby explique que la compliance, comme la RSE et

la corporate gouvernance, « installe au sein du fonctionnement de l'entreprise l'écho des règles étatiques, de manière à limiter le risque de se placer dans une position qui apparaitrait comme les violant »669.

La RSE entretient également des liens forts avec l'éthique des affaires. En effet, l'éthique peut être définie, selon le dictionnaire de vocabulaire juridique de Gérard Cornu, comme un « ensemble de principes et valeurs guidant des comportements sociaux et professionnels, et inspirant des règles déontologiques (codes de bonne conduite, de déontologie ou de bonnes pratiques) ou juridiques »670. De nombreux auteurs évoquent la dimension éthique de la compliance

car les risques que peut rencontrer l'entreprise sont juridiques mais aussi éthiques671. À ce titre, il est

intéressant de relever que les Federal Sentencing Guidelines ont fait l'objet d'une révision en 2004 afin qu'apparaissent systématiquement la notion « effective compliance and ethics program »672.

Selon Anne Riley, le programme de compliance doit amener les salariés de l'entreprise à adhérer à

665 Norme ISO 26000 : 2010, établie par l’Organisation internationale de normalisation.

666 Commission UE, communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l'UE pour la période 2011-2014 », Bruxelles, 25 octobre 2011, COM(2011) 681 final, p. 4.

667 SMEE (V.), « La Commission européenne publie sa nouvelle stratégie sur la RSE », interview de Michel Doucin,

Novethic, 2011, https://www.novethic.fr/actualite/entreprise-responsable/isr-rse/la-commission-europeenne-publie- sa-nouvelle-strategie-sur-la-rse-135805.html.

668 TROCHON (J-Y.), « L'avénement des programmes d'autorégulation au sein des entreprises », op. cit., p. 3. 669 AUBY (J-L.), « Le dialogue de la norme étatique et de la compliance », op. cit., p. 104.

670 CORNU (G.) (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2014, 10è éd., p. 421. 671 BREEN (E.), GUTIERREZ-CRESPIN (A.), op. cit., p. 108.

un comportement éthique de marché concurrentiel673.

Les praticiens comme Emmanuel Breen et Antoinette Gutierrez-Crespin relèvent que « l'éthique et la compliance vont de pair, tout en restant distinguées dans l'organigramme de l'entreprise »674.

Ces derniers, dans un article recensant les bonnes pratiques en matière de compliance, relèvent celle qui consiste à associer et à combiner compliance et éthique. Par le référencement de la façon dont l'entreprise doit se conduire, la compliance au droit de la concurrence est liée à l'éthique des affaires.

Historiquement, l'éthique est apparue avant la compliance, au sein des entreprises françaises en tout cas. Dès lors, la compliance en constitue également le prolongement logique. Elles deviennent toutes deux des éléments de politique interne à part entière au sein de l'entreprise. En effet, des auteurs expliquent que « l’irruption de la justice américaine dans la répression des entreprises françaises a […] conduit les entreprises à envisager les problèmes en termes de conformité au droit autant que d’éthique »675 car le niveau de risque a augmenté. Marie-Anne Frison-Roche, qui a

beaucoup écrit sur cette thématique de la compliance, affirme qu'« il ne s'agit plus seulement d'ambitions économiques, mais aussi d'ambitions éthiques »676. Lorsqu'elle prend des décisions,

l'entreprise se doit donc d'adopter des pratiques concurrentielles éthiques, ce que les programmes de compliance permettent, en principe, de faire systématiquement.

La CNUCED insiste sur le fait que, plus que de sensibiliser au droit de la concurrence, ces programmes doivent inculquer une culture organisationnelle au sein de l'entreprise, en particulier en matière éthique. En effet, selon elle, « une culture éthique bien enracinée contribue grandement à favoriser et à renforcer le respect du droit de la concurrence car elle guide les décisions des salariés et les aide à faire le bon choix »677. À défaut, les programmes pourraient rester lettre morte.

Nous reviendrons sur cette notion de culture dans la partie suivante.

L'éthique renvoie à la conscience de la personne de ce qui est juste, au delà de la « simple » observance des règles. Comme la compliance, il s'agit d'une démarche proactive internalisant les règles générales que sont l'interdiction des abus de positions dominantes et des ententes illégales en les mettant au profit de la libre concurrence afin de bâtir la crédibilité de l'entreprise. Il y a de nombreux enjeux aujourd'hui à être vue comme une entreprise éthique par le biais de ces 673 OCDE, Promoting compliance with competition law, op. cit., p. 376.

674 BREEN (E.), GUTIERREZ-CRESPIN (A.), loc. cit. 675 BREEN (E.), GUTIERREZ-CRESPIN (A.), op. cit., p. 113.

676 FRISON-ROCHE (M-A.), « Du Droit de la Régulation au Droit de la Compliance », op. cit., p. 8.

677 CNUCED, Renforcement des capacités du secteur privé en matière de respect des règles de la concurrence, op.

mécanismes de compliance. C'est ainsi que de nombreux programmes de compliance au droit de la concurrence comportent des chartes éthiques. Cependant, il faut noter que certaines proclamations de bonnes intentions éthiques - comme « nous nous efforçons de prospérer équitablement et honorablement »678 - n'engagent en réalité à rien affirme le professeur de droit Vincent Rebeyrol.

Selon lui, la charte constitue « un outil privilégié de diffusion d'une véritable « culture de compliance » » en ce qu'elle permet aux salariés de l'entreprise de connaître les règles applicables en matière de concurrence, et de montrer que ce n'est pas seulement l'affaire des juristes d'entreprise mais de tous. Il s'agit pour les entreprises, comme le résume les professeurs Xavier Boucobza et Yves-Marie Serinet, de « promouvoir une démarche de « sureté éthique » et de « management des risques » qui s'inscrit dans une politique globale de compliance et d'affirmation de leur responsabilité sociétale »679. En tout état de cause, les acteurs du marché ont transformé leur façon

d'appliquer le droit de la concurrence.

Cette continuité entre la RSE, l'éthique et la compliance a été nécessaire car M. DeClerq affirme que « si les valeurs existent, mais que l’on n’œuvre pas à la conformité, leur pérennité est compromise »680.