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L’adaptation du programme de compliance à l'entreprise

Section II Le contenu recommandé des programmes de compliance

B- L’adaptation du programme de compliance à l'entreprise

Quelle que soit la méthode employée, les autorités de concurrence insistent toutes sur le fait que le programme de compliance doit être adapté à l'entreprise qui le met en place. Aucune autorité de concurrence dans le monde n'a établi un programme standard pouvant s'appliquer à toutes les entreprises. En effet, chaque secteur concurrentiel, chaque activé économique et chaque entreprise fonctionne de manière différente. De la sorte, les praticiens affirment qu'un programme de compliance doit coller à la réalité des entreprises.

L'avocate Virginie Lefebvre-Dutilleul met en garde sur le fait de « prendre au hasard deux ou trois programmes d'entreprises du secteur, en faire une compilation, et apposer son logo peut s'avérer très contreproductif »223. Le risque serait que l'entreprise n'internalise pas efficacement les règles de

concurrence. L'investissement, même s'il sera moindre que si l'entreprise avait mis en place des mesures individualisées, ne servirait donc pas à grand chose. De plus, les dispositifs de compliance n'étant généralement pas limités au droit de la concurrence, ce manque de moyen pourrait se faire ressentir sur d'autres domaines.

Bénédicte Querenet-Hahn conseille aux opérateurs de « regarder ce que font les concurrents »224 lors de la mise en place de ces programmes pour s'en inspirer ou même pour

amener son dirigeant à le faire. Toutefois, le piège est qu'il ne faut pas se contenter de cela. La reproduction d'un programme consacré à la gestion des risques que les entreprises du même secteur rencontre aurait certes, selon des auteurs, un effet pédagogique permettant de mieux comprendre la portée de certains risques. Néanmoins, ils avertissent sur le fait que les salariés n'auraient « la vraie mesure [ni] du risque de leur entreprise [...ni] sur ce qui doit vraiment être traités et, par suite, de vraiment se protéger »225.

Il est donc important que le programme de compliance soit « sur mesure »226 pour être

efficace, c'est-à-dire personnalisé à la réalité et aux besoins de l'entreprise tout en permettant un dynamisme commercial pour rester compétitive. Le programme de compliance doit être aménagé en fonction de l'organisation de l'entreprise, à la façon dont l'entreprise prend ses décisions, aux produits et/ou aux services qu'elle vend et sur quels marchés et de son éventuelle présence à

223 LEFEBVRE-DUTILLEUL (V.), « La conformité, droit vivant », i n ROQUILLY (C.) (dir.), La contribution des

juristes et du droit à la performance de l'entreprise : management juridique et culture juridique d'entreprise, Paris,

Joly Edition.

224 QUERENET-HAHN (B.), Organiser, déployer et diffuser le programme de Compliance, Colloque organisé par l'AFJE, mars 2017, https://www.youtube.com/watch?v=cc5ZF_6ctwg, 29 min 10.

225 COLLARD (C.), DELHAYE (C.), LOOSDREGT (H-B.), ROQUILLY (C.) (dir.), op. cit., p. 235.

226 CARBONNEL M, « Les programmes de conformité au droit de la concurrence (seconde partie – mise en œuvre et pertinence des programme de mise en conformité) », Revue concurrentialiste, 2013.

l'international. En outre, toutes les problématiques liées au droit de la concurrence ne seront pas forcément traitées. Par exemple, si l'entreprise n'est pas en position dominante, le programme ne portera pas sur la prévention des risques d'abus d'éviction. En revanche, Vincent Rebeyrol explique qu'une entreprise condamnée pour abus de position dominante a tout intérêt à adopter une démarche de compliance pour se prévenir d'une nouvelle condamnation. Il prend ainsi l'exemple, dans « une grande entreprise, condamnée deux fois pour abus de position dominante, […] anticipant une troisième condamnation [qui] risquerait d'être fatale à l'entreprise, le choix avait été fait de consacrer une charte spécifique au respect des règles de concurrence... l'idée étant de se focaliser sur un risque essentiel pour assurer pleinement l'efficacité du message auprès des salariés »227.

Avant que le document-cadre de 2012 de l'ADLC, le cabinet Europe Economics avait réalisé pour le Conseil de la concurrence à l'époque, devenu aujourd'hui l'Autorité de la concurrence, une étude sur l'état des lieux et les perspectives de ces programmes. Celle-ci a mis en évidence que « la robustesse d'un programme de conformité dépend ainsi de sa capacité à s’adapter et à évoluer au fil du temps et des changements introduits »228. L'existence d'un opérateur économique a

effectivement vocation à évoluer et n'est pas linéaire. De la sorte, Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi en 2009 avait affirmé que « le principe de conformité, de compliance, suppose une démarche volontariste, une compréhension et une appropriation des mécanismes [… qui suppose l'] adaptation aux circonstances et à la culture de l’entreprise [et qui] sont les deux fondamentaux du succès d’une politique de compliance »229. C'est la raison pour

laquelle les autorités de concurrences ne donnent pas de formule prête à l'emploi. Toutefois, elles décrivent les objectifs généraux que doivent poursuivre les entreprises dans l'élaboration des programmes de compliance et une sorte d'encadrement minimal que nous verrons par la suite.

Par ailleurs, il est intéressant de relever que cette démarche d'adaptation de la compliance à l'entreprise et à ces risques n'est pas propre au domaine de la concurrence. À titre d'illustration, c'est également ce qui est mis en avant dans les lignes directrices du Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC) français, ainsi que dans le UK Bribery Act et le Foreign Corrupt Practices Act. Cela s'explique par le fait que les démarches de compliance ne sont généralement pas limitées à un seul domaine du droit et englobeent plusieurs thématiques. En tout état de cause, comme le souligne 227 REBEYROL (V.), « La compliance : le rôle de la charte éthique », inBORGA (N.), MARIN (J-C.), RODA (J-C.)

(dir.), op. cit., p. 122.

228 Europe Economics, op. cit., p. 5.

deux auteurs qui ont analysé les bonnes pratiques de concurrence en France, « à chaque « business model » son propre système de compliance »230.

La personnalisation du programme passe par l'établissement des liens entre les différents risques encourus. Les programmes de compliance préventif ne comportent pas seulement des codes internes.