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L'engagement officiel des dirigeants de la société

Section II Le contenu recommandé des programmes de compliance

A- L'engagement officiel des dirigeants de la société

Le programme de compliance est un processus qui repose sur un engagement clair et public de la part des dirigeants de l'entreprise. Ils ont un rôle moteur car, à défaut, « les objectifs ne seraient ambitieux que sur le papier »232. C'est ce qu'on appelle, en anglais, le « tone from the top ».

Cette démarche ne correspond pas uniquement à leur devoir de communiquer sur le contenu de la loi auprès des salariés. Le programme de compliance correspond à la concrétisation de cet engagement ainsi qu'au concept de gouvernance d'entreprise. Certains évoquent « la cascade de la compliance »233 pour signifier que la prise de position des hauts placés dans la direction de

l'entreprise fournit l'impulsion auprès de tous les employés, lesquels vont donc se sentir engagés dans la démarche de compliance. Cette vision commune de l'organisation de la compliance renforce le bien fondé et le respect du programme. Les praticiens ajoutent qu'« il suffit […] qu'un maillon de la chaine soit défaillant pour que tout le dispositif s'écroule »234. Une étude réalisée par Bergman et

Sokol en 2015 au sujet du cartel du fret aérien a démontré que les dirigeants du groupe Lufthansa ont porté les programmes de compliance, lesquels ont donc été efficaces235.

Cécile Granier évoque cette étape en mentionnant « l'autorité morale attachée à la fonction de dirigeants »236. Sur ce point des recherches sur l'économie comportementale ont montré que

« l'être humain, par le biais de mesures ciblées, peut être encouragé, avec succès, à se comporter d'une certaine manière »237. À cet égard, l'étude réalisée en 2014 au Royaume-Uni sur les facteurs

de respect du droit de la concurrence indique que la prise de position des dirigeants concourt significativement à ce que l'entreprise se conforme au droit238. De même, un rapport de l'OFT en

2010 montrait que si les dirigeants ne s'engagent pas ou qu'ils le font de façon équivoque, le risque de non-respect s'amplifie239.

232 COLLARD (C.), DELHAYE (C.), LOOSDREGT (H-B.), ROQUILLY (C.) (dir.), op. cit., p. 24. 233 COLLARD (C.), DELHAYE (C.), LOOSDREGT (H-B.), ROQUILLY (C.) (dir.), op. cit., p. 150. 234 COLLARD (C.), DELHAYE (C.), LOOSDREGT (H-B.), ROQUILLY (C.) (dir.), op. cit., p. 153.

235 BERGMAN (H.), SOKOL (D.) (2015), « The Air Cargo Cartel: Lessons for Compliance », in BEATON-WELLS (C.), TRAN (C.) (dir.), Anti-Cartel Enforcement in a Contemporary age – Leniency religion, Oxford, Hart publishing : cité dans COMBE (E.), MONNIER-SCHLUMBERGER (C.), op. cit., p. 97.

236 GRANIER (C.), « Dirigeants, associés et compliance », in BORGA (N.), MARIN (J-C.), RODA (J-C.) (dir.), op.

cit., p. 229.

237 BESSON (V.), « L'entreprise et l'élaboration d'un programme de compliance », in BORGA (N.), MARIN (J-C.), RODA (J-C.) (dir.), op. cit., p. 201.

238 IFF Research, op. cit.

La responsabilité première des dirigeants sera de montrer aux salariés que la compliance n'est pas seulement une contrainte supplémentaire pesant sur l'entreprise, tout en leur demandant de respecter les dispositions du programme. Ils doivent appuyer l'idée selon laquelle c'est un élément avantageux d'une stratégie commerciale relevant de la responsabilité de chacun. À ce titre, Christine Lagarde, ancienne ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi affirmait que les dirigeants doivent s'adresser « à des responsables de services commerciaux, à des cadres dont l’essentiel, en tout cas une grande partie de la rémunération, est fondée sur des démarches entrepreneuriales actives et parfois agressives qu’ils engagent et [ils doivent] comprendre de quelle manière ces principes de conformité viendront non pas briser leurs élans et freiner leurs efforts, mais au contraire soutenir leur activité. »240.

L'avocate Julie Catala Marty affirme que le programme de compliance peut constituer un facteur de solidarité, de cohérence entre les salariés. Cela présente un avantage pour les PME. En effet, les dirigeants de ces PME étant plus proches de leurs salariés, cette démarche de compliance se diffuse en quelque sorte plus facilement. Pour les grandes multinationales, à défaut de pouvoir interpeller les employés en personne, cela implique un investissement plus lourd.

Cet engagement du haut de l'entreprise est particulièrement significatif lorsqu'on sait que les infractions aux règles de concurrence sont majoritairement le fait des cadres dirigeants241. Par

ailleurs, l'entreprise gagne à communiquer sur cette démarche car de plus en plus d'entreprises cherchent à s'associer avec des entreprises responsables de certaines valeurs éthiques.

Cet engagement de la part des dirigeants n'est pas propre aux conditions mises en place par la France et est notamment mis en avant dans les documents de l'OCDE ainsi que ceux des différentes autorités de concurrence dans l'Union européenne et ailleurs. À titre d'illustration, Brent Snyder explique, à propos du droit antitrust américain, « a compliance program must be combined with a real commitment by senior management to be truly effective »242. Toutefois, Philippe Poels,

spécialiste dans la mise en place de programme de compliance, met en avant que ce tone from the top est « mal compris en français »243. En effet, il est essentiel que l'engagement pris par les

dirigeants ne se réduise pas à un simple discours de lancement du programme de compliance. L'enjeu pour les dirigeants est de donner l'impulsion à la compliance afin que ces sujets fassent 240 LAGARDE (C.), « L’avenir de la politique de concurrence française », op. cit., § 8.

241 MURPHY (J.), « Promouvoir la conformité aux règles de concurrence : les programmes de conformité ont-ils un rôle à jouer ? », op. cit., p. 288.

242 SNYDER (B.), op. cit., p. 2. : un programme de conformité doit être combiné à un engagement réel de la haute direction pour être vraiment efficace.

partis de la vie quotidienne de l'entreprise et que chaque salarié se sente concerné. De plus, il faut pouvoir être en mesure de prouver l'engagement des dirigeants en cas d'enquête des autorités étrangères. In fine, la compliance doit devenir quelque chose de naturel, comme pourrait l'être l'établissement de la comptabilité par exemple. À ce sujet, les études indiquent que, si le management ne se sent pas concerné au quotidien, alors le niveau opérationnel ne se sentira pas concerné non plus.

Cécile Granier relève que, curieusement, les associés ne participent pas à la diffusion de la compliance. Elle note que ces derniers « ne semblent pas eux-mêmes se positionner comme comme des acteurs de la compliance »244 et les recherches en la matière, tout comme le document-cadre de

2012 de l'ADLC ne les mentionnent que comme des destinataires des informations en la matière. Cette absence est curieuse car, de par leurs investissements, ces derniers peuvent influer sur la démarche de compliance. Cécile Granier explique qu'en empêchant les associés de peser sur la compliance, « les dirigeants s'inscrivent alors dans une logique d'autolimitation »245 et en font leur

affaire. Cependant, c'est oublier que cette démarche peut être risquée, notamment au vu des positionnement des actionnaires aux États-Unis. En effet, dans plusieurs affaires, des actionnaires ont reproché à des dirigeants « d'avoir tenu un discours lénifiant sur la compliance […] pour masquer des agissements illicites »246. À titre d'illustration, dans l'affaire Barovic, après que les

autorités européennes de concurrence ont dénoncé publiquement le comportement du groupe Microsoft, les actionnaires minoritaires de cette entreprise ont saisi les tribunaux américains247.

C'est donc toujours la direction générale qui lance le programme de compliance. Dans cette démarche, le dirigeant est accompagné des personnes en charge de la compliance, plus communément appelé les compliance officers.