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4.3.1 La question de la dichotomie sens figuré vs sens littéral au sein des modèles cognitifs du traitement du langage figuré

a) Dans le domaine des métaphores

La problématique de la métaphore s’articule autour de deux questions centrales (Iakimova, 2003 ; Coutté, Le Gall, et Iakimova, 2012). La première question concerne l’identification ou la reconnaissance de la métaphore, c’est-à-dire, qu’est-ce qui fait qu’une expression comme « Paul est un lion » déclenche une interprétation figurative ? La seconde question est celle des processus d’accès ou de la construction de la signification métaphorique. Elle concerne la description des mécanismes cognitifs et cérébraux qui permettent l’interprétation métaphorique ainsi que l'examen de leurs caractéristiques spécifiques éventuelles relatifs au traitement des métaphores par rapport au traitement du langage littéral.

Une partie des modèles cognitifs de traitement des métaphores s’ancre dans des traditions philosophiques et sémantiques selon lesquelles la question de l’identification de la métaphore est essentiellement envisagée à partir de la tension créée entre l’opposition du sens littéral et du sens figuré ou à partir de la question de la « déviance » métaphorique. En particulier, c’est de cette « déviance », que proviendrait la valeur informative plus ou moins grande des métaphores et sans déviance, il n’y aurait pas d’apport cognitif inventif

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dans le processus métaphorique. Des recherches empiriques ont alimenté cette approche en montrant que l’accès au sens des métaphores nécessite un temps de compréhension plus long que celui des phrases littérales. A la base de ces travaux, il a été considéré que l’accès au sens des métaphores est un processus cognitif tardif qui nécessite une condition de déclenchement préalable, par exemple au travers d’une étape de rejet du sens littéral (Searle, 1982).

Les approches sémantico-pragmatiques développées par l’avènement du cognitivisme et de la philosophie du langage (Grice, 1979) vont nuancer cette conception des métaphores. Bien qu’ils reconnaissent que l’identification d’une métaphore repose sur la déviance métaphorique, les représentants de cette approche considèrent que l’accès au sens des métaphores s’effectue sur un mode pragmatique, c’est-à-dire qu'il dépend du contexte et des usages des métaphores dans la langue.

Enfin d’autres modèles cognitifs issues des courants pragmatiques remettent en cause la déviance et le statut particulier de la métaphore. En effet, selon ces auteurs, il n’existe pas d’identification spéciale de la métaphore, ni d’étape interprétative particulière mobilisée pour sa compréhension. Selon Moeschler (1991), « les énoncés métaphoriques, comme

tous les tropes, ne constituent pas des cas marqués ou déviants d’usage du langage : ils sont au contraire les cas normaux, les usages ordinaires du langage ».

Plusieurs travaux expérimentaux ont montré que l’accès au sens métaphorique ne nécessite pas de condition de déclenchement particulier et qu’il engage « la même

machinerie cognitive » que l’accès au sens littéral. Par exemple, dans une étude princeps

sur la question, Gluckberg, Gildea et Bookin (1982) apportent une confirmation empirique à cette hypothèse grâce au paradigme expérimental classique, « le Stroop – like » paradigme. Dans ce paradigme, les participants doivent décider si un énoncé à un sens littéral (littéralité). Il a été montré que lorsque les énoncés étaient des métaphores, le

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jugement de la littéralité était plus long que lorsque les énoncés étaient des expressions littérales. Les auteurs concluent que le rallongement du temps de réponse serait dû à l’interférence provoquée par l’activation automatique et irrépressible du sens figuré dès la première étape du traitement des énoncés métaphoriques. En effet, selon une théorie influente de la compréhension des métaphores - la théorie de l'intégration conceptuelle (« conceptual blending theory ») de Gentner et Wolff, (1997) - il n'y a pas de différence de nature entre les processus de traitement métaphorique et littéral, mais il n'y a pas non plus une équivalence stricte entre ces processus. Le traitement des éléments métaphoriques dans le discours augmente la difficulté du traitement cognitif en raison de la tension plus grande entre les concepts qui composent une métaphore et de la nécessité de conduire une recherche extensive en mémoire sémantique en vue d'établir une intégration conceptuelle entre des domaines distincts. Cette conception a été étayée sur des résultats de recherches utilisant des méthodes d'imagerie cérébrale sensibles au décours temporels des opérations mentales de l'ordre de la milliseconde (Coulson et Van Petten, 2002).

Selon (Sperber et Wilson, 2002), en situation de communication naturelle (par exemple, en présence d’un interlocuteur), le processus de compréhension du langage (métaphorique ou littéral) est toujours un processus inférentiel qui consiste à aller du sens linguistique (véhiculé par les mots ou le contenu propositionnel de la phrase) au sens voulu par le locuteur, en tenant compte du contexte de la communication (Sperber et Wilson, 2002). La compréhension des métaphores sollicite la capacité de traiter de manière inférentielle le contexte mais aussi celle de percevoir l’intention communicative du locuteur au-delà de la stricte information linguistique véhiculée par le contexte immédiat. Ces processus seraient particulièrement sollicités dans le cas de la compréhension de métaphores nouvelles. L’effet de sens de ces métaphores peut rester inaccessible si l’intentionnalité communicative du locuteur n’est pas perçue (Sperber et Wilson, 2002).

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4.3.2 La question des processus cérébraux de traitement du langage figuré

L’hypothèse selon laquelle le traitement des métaphores mobilise de façon dominante l’hémisphère droit et que toute anomalie du fonctionnement de cette hémisphère perturberait la compréhension du langage figuré, a longtemps dominé la littérature sur les bases cérébrales du traitement de la métaphore (revue Kacinik et Chiarello, 2007). Cependant, bien que cette hypothèse soit étayée par des cas cliniques et des recherches empiriques, elle a été fortement nuancée suite à l’accumulation de résultats empiriques contradictoires, montrant par exemple, que pour certains types de métaphores, c’est l’hémisphère gauche qui serait mobilisée de façon dominante (revue Giora 2007). Ahrens et collaborateurs (2007) montrent que le réseau cérébral mobilisé par cette tâche est largement distribué et que son activation est bilatérale (c’est-à-dire, qu’elle implique les deux hémisphères cérébraux de façon similaire).

Le fonctionnement cérébral que sous-tend la compréhension des métaphores dépend d’une multitude de facteurs qui interagissent de façon dynamique dans le traitement du sens (voir (Schmidt et Seger, 2010).

Selon l’hypothèse de la saillance relative (Giora, 1997), la contribution de chaque hémisphère dans le traitement du langage figuré obéit au principe de la saillance : le sens saillant de l’idiome serait traité de façon dominante par l’hémisphère gauche et le sens non saillant serait traité de façon dominante par l’hémisphère droit. Le contexte pourrait aussi moduler le degré de saillance (Giora, 2003). L’hémisphère gauche serait plus sensible au traitement du contexte comparé à l’hémisphère droit (Franzmeier, Hutton, et Ferstl, 2012) Dans une tentative d’intégration des données issues de plusieurs modèles cognitifs et cérébraux, et à l’appui de leurs résultats expérimentaux, Bambini, Gentili, Ricciardi,

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Bertinetto, et Pietrini. (2011) proposent une décomposition neurofonctionnelle des réseaux cérébraux mobilisés dans le traitement des métaphores et ceci en fonction de la nature des opérations cognitives engagées dans ce traitement :

- Activation des régions frontales gauches et droites :

Un premier réseau d’activation des régions frontales gauche et droite serait activé en fonction de la nature du traitement conceptuel (par exemple, l’activation des connaissances sémantiques, l’intégration conceptuelle, la mobilisation d’opérations sémantiques associatives, la catégorisation, etc.).

- Activation des régions cingulaires bilatérales et des lobes frontaux :

Un second réseau d’activation des régions cingulaires bilatérales et des lobes frontaux serait mobilisé en fonction de la nature des processus attentionnels (par exemple, de l’intervention de processus de sélection d’une acception en fonction du contexte et/ou d’inhibition des acceptions alternatives éventuelles, l’effort d’intégration des connaissances relevant du contexte local mais aussi des connaissances individuelles culturelles) mais aussi en fonction des processus émotionnels fortement engagés par la compréhension de certaines métaphores (voir Kövecses, 2008).

- Activation des régions préfrontales médiales et des régions bilatérales du sillon temporal supérieur :

Un troisième réseau d’activation des régions préfrontales médiales et des régions bilatérales du sillon temporal supérieur serait activé lorsque des informations liées à l’accès à l’intentionnalité d’autrui (ex. l’accès au vouloir dire du locuteur ou de son intentionnalité communicative) sont fortement mobilisées, par exemple pour la compréhension des métaphores non familières.

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4.4

La

compréhension

du

langage

figuré

dans les

troubles