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4.2 Vers une étude scientifique de la compréhension du langage figuré

4.2.2 Caractéristiques des expressions figuratives

Les expressions employées au sens figuré sont très hétérogènes. Leurs caractéristiques intrinsèques influencent les processus de traitement mis en jeu, leur facilité de compréhension et les étapes développementales de leur compréhension (Caillies et Le Sourn-Bissaoui, 2006, 2008; Levorato, 1999; Levorato, Nesi, et Cacciari, 2004). Le

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développement des compétences figuratives et l'acquisition du sens conventionnel des idiomes chez les enfants entretiennent un lien étroit avec l'évolution des compétences métalinguistiques (Caillies, 2008), avec l'enrichissement des connaissances scolaires (ex. la capacité de lecture (Cain et al., 2005) et de compréhension de texte (Levorato et al., 2004).

- L’ambiguïté ou la littéralité

La plausibilité littérale se définit par la possibilité d’interpréter l’expression de façon littérale. Par exemple, dans les expressions « casser sa pipe », « montrer les dents », les acceptions littérales et figurées sont plausibles. Dans beaucoup de métaphores conventionnelles, la plausibilité littérale est très faible, voire il existe une incongruité littérale par définition (« Pierre est un géant », « Cette petite fille est une étoile »).

- La familiarité

La familiarité est définie par la fréquence par laquelle une personne rencontre un mot à l’oral ou à l’écrit et le degré par lequel le sens des mots est bien connu ou facilement compréhensible. Plusieurs travaux montrent qu'à partir de l'âge de 9-10 ans les enfants comprennent sans difficultés les expressions idiomatiques familières (Gibbs, 1987 ; Laval

et al., 2003; Le Sourn-Bissaoui, Caillies, Bernard, Deleau, et Brulé, 2012; Levorato, 1999).

- La prédictibilité

La prédictibilité correspond à la possibilité d’accéder à l’acception idiomatique de l’idiome à partir des premiers mots de l’expression. Lorsque l’idiome est de forte prédictibilité, son acception idiomatique est disponible avant la présentation du dernier mot de l’idiome (Cacciari et Tabossi, 1988).

- La compositionnalité et la transparence versus opacité

La compositionnalité réfère à la façon dont le sens de chaque mot composant l’idiome contribue au sens idiomatique (Gibbs, Nayak et Cutting, 1989). Il a été démontré que ce facteur augmente l’interférence entre le sens littéral des mots et le sens figuré global de

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l’expression. La transparence correspond à la facilité avec laquelle on peut trouver l’interprétation idiomatique à partir de l'interprétation littérale globale de la phrase. Les idiomes « jouer la comédie » ou « vider son sac » sont décomposables et transparents, alors que les idiomes « faire la manche » ou « vendre la mèche » sont opaques et non décomposables. Chez les enfants, les expressions transparentes sont mieux comprises que les expressions opaques entre l’âge de 6 ans et de 10 ans (Gibbs, 1987 ; Levorato, 1999). Caillies, Le Sourn-Bissaoui et al. (2008) montrent qu’à partir de l’âge de 5 ans, les enfants sont capables de comprendre le sens figuré des idiomes décomposables en contexte mais que les idiomes non décomposables ne sont compris qu’après l’âge de 7- 8 ans.

- La saillance

La saillance d’une acception est définie par son degré de familiarité, sa fréquence et par son caractère conventionnel (Giora, 1997). L’expression « tomber dans la gueule du loup » possède une saillance figurée tandis que l’expression « se casser le nez » possède une saillance littérale. Les expressions ironiques ou sarcastiques ont une saillance littérale (ex. « Quel beau temps pour aller au pique-nique ! » lors d’un temps pluvieux). La saillance de l’acception figurative des métaphores conventionnelles est élevée car les motifs métaphoriques qui les composent sont usuels, alors qu’elle est faible pour les métaphores poétiques qui reposent sur des associations nouvelles.

- L’hypothèse de la saillance relative de Giora (1997)

Selon cette hypothèse, seuls les idiomes les plus saillants (familiers, fréquents, conventionnels et prototypiques) sont codés en tant qu’unité dans le lexique mental. Cela signifie qu’un idiome à saillance figurée suscite l’activation prioritairement du sens figuré plutôt que du sens littéral. Inversement, un idiome à saillance littérale suscite l’activation prioritaire du sens littéral plutôt que du sens figuré. Il est important de noter que le modèle de la saillance relative ne prend pas en compte le contexte. En 2002, Giora révisera son

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modèle à partir de cette dernière critique en distinguant deux mécanismes qui fonctionneraient en parallèle. Un mécanisme d’accès lexical où le sens saillant s’activerait de façon prioritaire par rapport au sens non saillant. Puis un mécanisme de traitement contextuel où le contexte phrastique serait soumis à la saillance de l’expression. Ce modèle a été validé par une étude de Giora et Fein (1999), qui portait sur le rôle de la suppression dans la compréhension du langage figuré. Les auteurs ont utilisé des idiomes familiers et non familiers dans une tâche où il fallait compléter l’expression présentée sans son dernier mot. Le participant devait compléter le mot cible par le premier mot qui lui venait à l’esprit. Les résultats montrent qu’avec des idiomes familiers présentés dans un contexte idiomatique, seul le sens saillant s’active (le sens figuré). Cependant, dans un contexte littéral, les deux sens vont être activés. En présence d’idiomes peu familiers, le sens littéral est exclusivement activé dans un contexte littéral. Cependant avec des idiomes peu familiers en contexte figuré, le sens littéral et le sens figuré sont activés.

- Facteurs associés à la compréhension du langage figuré chez l’enfant

L’étude de Levorato et al. (2004) montre que bien plus que la capacité de décodage des mots impliquée dans la lecture, la capacité de compréhension de texte est essentielle pour comprendre les expressions idiomatiques. La compréhension de texte est une activité complexe qui est sous-tendue par 1) les capacités d’inférences en prenant en compte le contexte ; 2) la sélection du sens pertinent du mots parmi plusieurs autres sens ; 3) la capacité de suspendre, voire de supprimer, les significations contextuellement inappropriées ; 4) la capacité à surveiller sa propre compréhension de texte tout au long de la lecture (cités par Levorato et al., 2004). Ainsi, Levorato et al. (2004) ont conduit 3 expériences chez des groupes d’enfants d’âges différents (7.6 ans vs 9.6 ans). Les résultats ont montré que 1) la capacité de compréhension des idiomes familiers ambigus dans un contexte phrastique est liée à la capacité de compréhension de texte et à l’âge des enfants ;

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2) un contexte ambigu induit plus d’interprétations littérales chez les plus jeunes enfants et ceux qui ont de moins bonnes capacités de compréhension de texte ; 3) les difficultés de compréhension des idiomes chez les enfants qui avaient de faibles capacités de compréhension de texte s’améliorent lorsque leurs capacités de compréhension augmentent.

Caillies et Le Sourn-Bissaoui. (2008) s’interrogent sur les capacités verbales et les capacités de théorie de l’esprit dans la compréhension du langage figuré. Puisque l’enfant a besoin de comprendre que la représentation mentale d’une personne peut différer de celle d’une autre personne et aussi de comprendre qu’une interprétation littérale peut être une fausse représentation, une fausse croyance. La résolution de l’ambiguïté, nécessaire à la compréhension des expressions idiomatiques (lorsque celles-ci peuvent avoir à la fois un sens littéral et un sens figuré), devrait donc faire appel aux compétences dans le domaine de la théorie de l’esprit. Caillies et Le Sourn-Bissaoui (2008) ont réalisé une tâche de compréhension d’idiomes ambigus ayant comme caractéristiques d’être familiers, décomposables et avec une plausibilité littérale, en faisant l’hypothèse d’un effet développemental sur la compréhension des idiomes (les idiomes décomposables devraient être plus faciles et compris plus tôt que les idiomes non décomposables). Associées à cette tâche, plusieurs épreuves de TdE (fausses croyances de 1er et 2nd ordre) ont été réalisées. Les résultats de Caillies et Le Sourn-Bissaoui (2008) montrent qu’à partir de la dernière année de maternelle (l’âge de 5 ans), les enfants sont capables de comprendre le sens figuré des idiomes (décomposables) en contexte et qu’il faut attendre que les enfants soient en CE1 (7- 8 ans) pour comprendre le sens figuré des idiomes non décomposables. De plus, la capacité de compréhension des idiomes décomposables ne serait pas associée aux capacités de TdE. Cependant, les capacités de TdE seraient un prédicteur significatif de la compréhension des idiomes non décomposables. Ainsi, la TdE n’est pas nécessaire pour

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extraire le sens figuré d’une expression décomposable mais elle favorise la compréhension des idiomes non décomposables en contexte.