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Sur cette question, voir également dans cet ouvrage l’article de P Béguin.

Françoise Darses

11 Sur cette question, voir également dans cet ouvrage l’article de P Béguin.

les situations de co-conception et développer les activités méta- fonctionnelles.

6.1. Co-concevoir : une situation de synchronisation cognitive

Deux types de situations de coopération, inégalement délicates à accompagner, sont à l’œuvre dans les organisations en ingénierie concourante : les situations de conception distribuée et les situations de co-conception (Darses & Falzon, 1996).

Dans les situations de conception distribuée, les acteurs du process sont simultanément - mais non conjointement - engagés à coopérer ; ils accomplissent des tâches préalablement allouées et poursuivent donc des buts (ou du moins des sous-buts) qui leur sont propres, bien qu’ils aient évidemment pour objectif de participer le plus efficacement possible à la résolution collective du problème. Comme l’analyse Zarifian (1996, page 15), « cette version faible de la coopération repose sur une meilleure coordination des actes de travail (...) ; [il faut] faire en sorte que les actions soient mieux liées entre elles. (...) On maintient un travail séparé et divisé (...) mais on vise à améliorer les passages de relais et les dialogues entre ces travaux séparés ».

Ce sont donc des problèmes de synchronisation opératoire qui se trouvent au cœur de ces situations (Amalberti & al., 1992 ; Falzon, 1994a ; Darses & Falzon, 1996) : il faut gérer l’interdépendance temporelle entre les buts et les tâches des opérateurs, et synchroniser le déclenchement, l’arrêt, la simultanéité, le séquencement, le rythme des actions à réaliser entre les partenaires de l’activité collective. La dimension fondamentale est donc ici le temps : pas nécessairement le temps objectif (c’est-à-dire celui de l’horloge), mais le temps du système (par exemple, entreprendre l’action quand la machine affichera telle valeur) ou le temps du partenaire (par exemple, entreprendre l’action quand le partenaire commencera telle action).

Assister cette forme « faible » de coopération se déclinera donc plutôt comme la recherche de meilleurs moyens méthodologiques de coordination (Schmidt & Simone, 1996). Ces phases de conception distribuée préservent le principe de séparation des tâches et des responsabilités des organisations classiques des projets de conception (Zarifian, op. cit.), et ne posent pas de difficultés conceptuelles majeures. Là où l’affaire se corse, c’est que ces phases de conception distribuée sont entrecoupées de réunions d’avancement du projet, au cours desquelles sont confrontés, débattus et rendus cohérents les travaux de

chaque équipe (Barthes, 1995). Ces phases de mise en commun, qu’on appellera phases de co-conception, engendrent une forte coopération dont l’assistance est délicate.

C’est surtout dans ces phases de co-conception qu’achoppe l’organisation en ingénierie concourante. Là, les partenaires de la conception développent la solution conjointement : ils partagent un but identique et contribuent à son atteinte grâce à leurs compétences spécifiques, ceci avec des contraintes très fortes de coopération directe pour garantir le succès de la résolution du problème. Il s’agit pour eux de construire ce que Zarifian dénomme « un espace d’intersubjectivité », ou ce que Terssac & Chabaud (1990) appellent le « référentiel opératif commun ». Cet espace s’élabore par des processus de synchronisation cognitive (Amalberti & al., 1992 ; Falzon, 1994a ; Darses & Falzon, 1996). Quels sont-ils ? Nos études (Darses & Falzon, 1994 ; Darses & Falzon, 1996 ; Darses & Sauvagnac, 1997a & b) dont nous ne rappelons ici que les résultats principaux donnent les premières indications de la façon dont cette synchronisation se réalise.

Une des premières caractéristiques de la synchronisation cognitive repose sur la dynamique même de la synchronisation : celle-ci est à l’initiative et à la charge de tous les acteurs, et non le résultat d’un effort de cohérence produit par le seul chef de projet comme on l’imagine souvent. Du point de vue organisationnel, on doit donc encourager tous les acteurs à émettre des propositions, indépendamment de leur fonction ou de leur niveau d’expertise. On a noté que, dans la mesure où les relations entre personnes sont confiantes, c’est très spontanément que participent aux débats tous les acteurs du process, quand bien même diffère leur niveau d’expertise. Comme on le verra plus loin, une telle dynamique de synchronisation cognitive est tout à fait intéressante à exploiter pour favoriser l’innovation technologique.

Les concepteurs doivent se synchroniser sur deux points : les objets qu’ils traitent et les actions qui sont opérées sur ces objets. On pense souvent que les objets traités par les collectifs de concepteurs sont surtout des propositions de solutions : mais en réalité, l’évaluation des solutions tient une très grande place dans les débats. Ces évaluations de solutions ne sont pas seulement critiques : elles sont aussi l’expression d’enrichissements ou d’alternatives constructives, élargissant ainsi les divers champs d’application de la solution considérée.

Les évaluations de solutions donnent surtout l’opportunité aux partenaires de justifier les contraintes qu’ils ont privilégiées et d’argumenter leurs points de vue ; ce faisant, on favorise la formulation et la décompilation

de critères de choix. Des savoirs implicites (à la fois des savoirs d’usage et des savoirs généraux sur les objets techniques) sont ainsi explicités et transmis aux acteurs du processus. On a noté (Darses & Sauvagnac, 1997a) que ces situations de « décompilation » des contraintes sont idéales pour faire le lien entre les points de vue fonctionnels sur la solution (points de vue qui ne sont pas toujours bien saisis par tous les participants) et les points de vue plus techniques, structurels, qui sont beaucoup plus accessibles aux acteurs de la conception, et donc, plus aisément débattus. À notre avis, c’est ici que se réalise la construction des savoirs intermédiaires et c’est un des moyens de promouvoir les apprentissages croisés (Hatchuel, 1994).

Le travail collectif de synchronisation cognitive porte également sur la définition des buts à poursuivre : il faut bien sûr s’assurer que les buts d’action à court terme sont en accord, et il faut aussi faire en sorte que les hypothèses de travail et les objectifs à long terme soient connus de tous. Avoir connaissance d’éléments du problème qui paraissent d’évidence n’est pas une question banale : il est fréquent de constater à quel point les acteurs d’un processus de conception sont peu informés des objectifs des uns et des autres. C’est pourquoi il est nécessaire de systématiser la communication au travers de structures organisationnelles appropriées.

6.2. Instaurer les activités méta-fonctionnelles

De nouveaux principes d’organisation doivent être érigés pour faire face à deux limites auxquelles est actuellement confrontée la pratique actuelle de l’ingénierie concourante (Moisdon & Weill) : les projets ne peuvent être les seuls lieux de construction des connaissances, et il faut prendre en charge la dynamique des connaissances en dehors des projets ; (ii) les contraintes de délais du projet et de garantie de réussite se heurtent aux potentialités d’innovation : les acteurs ont tendance à limiter les incertitudes que comporteraient des solutions innovantes et à adopter une attitude prudente en n’utilisant que les solutions déjà éprouvées.

Il faut donc mettre en place des structures pour gérer les connaissances,

capitaliser les savoirs et promouvoir l’innovation12. Sur la base de travaux

développés en ergonomie cognitive (Falzon, 1994b ; Karsenty, 1995 ; Falzon & al, 1996 ; Leblond, 1996 ; Falzon & al, 1997), nous pensons que ces structures doivent s’appuyer sur les qualités des activités méta- fonctionnelles spontanément développées par dans les activités professionnelles.