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L A CONCEPTION EST UNE ACTIVITE DISTRIBUEE

Éric Blanco

3. L A CONCEPTION EST UNE ACTIVITE DISTRIBUEE

3.1. Approche informatique

La distribution dans la conception semble être un résultat acquis dans les recherches actuelles sur la conception. Les travaux sur les nouveaux outils d'aide à la conception mettent l'accent sur les possibilités offertes par les nouvelles technologies qui autorisent l'accès des multiples acteurs aux données concernant le produit. Mais il nous semble utile de revenir sur la notion de distribution car ce terme est non univoque.

La distribution est souvent abordée à partir de la notion de métier. Les métiers renvoient aux connaissances qui sont mobilisées par les acteurs et aux représentations spécifiques du produit dont a besoin chaque métier. Les travaux sur les modèles produits proposent des plates-formes capables de faire communiquer et de maintenir une cohérence entre des représentations multi-vues du produit [Tichkiewitch et al 96]. Les multiples acteurs de la conception doivent pouvoir s'échanger des données hétérogènes. Dans cette problématique se développent des travaux sur les formats d'échange (norme STEP par exemple) qui tentent de standardiser les modes de description des différents types de données.

Cet aspect de la distribution pose de réels problèmes dans les entreprises tant la diversité des types de données manipulées est importante. Le développement actuel des systèmes de gestion de données techniques tente de répondre en partie à ces aspects.

La notion de distribution renvoie souvent aussi à une distribution spatiale. Le développement des technologies de l'information autorise en effet le partage de données à distance. Pourtant certaines entreprises ont fait le choix de l'unité de lieu par la mise en place de plateaux projet. Cette unité de lieu est toute relative étant donné la multiplication des intervenants dans la conception à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise. Le développement

d'outils permettant le travail collaboratif à distance semble nécessaire et est déjà engagé.

3.2 Approche socio-technique

Outre cette approche technique et informatique de la distribution un autre niveau d'analyse plus socio-technique montre que les questions posées par la distribution sont diverses. Il ne s'agit pas seulement de problèmes de compatibilité de données mais aussi d'échelle de grandeur, de logiques d'actions qui sont portées par les différents acteurs.

Chacun des acteurs que l'on peut identifier est porteur d'enjeux et de contraintes relatifs à la conception de ce produit. Le mythe du concepteur unique (l'inventeur) ne tiens pas longtemps à l'épreuve de la réalité du fonctionnement d'un bureau d'études. Moisdon et Weil (92) décrivent les interactions entre les techniciens comme l'activité d'un réseau hypercommunicant. Ils qualifient ce fonctionnement d'« adhocratie technicienne » qui est faite d'ajustements mutuels largement informels. Les chercheurs en gestion notamment s'intéressent aux modèles d'organisation de la conception qui structurent cette distribution. En effet, si l'activité de conception est une activité collective, c'est une activité organisée qui met en œuvre différents registres de coordination.

Midler (97) nous présente l'évolution des modèles dominants et leurs principes de régulation, depuis l'inventeur schumpétérien jusqu'aux nouvelles logiques projets autour de la notion d'ingénierie concourante. Ces modèles proposent différentes gestions de la distribution et consacrent le rôle de différents acteurs :

• l'inventeur-entrepreneur dans le modèle entrepreneurial,

• le maître d'ouvrage, le maître d'œuvre et les entreprises de réalisation dans le modèle de l'ingénierie des grands projets,

• les métiers et les directions fonctionnelles dans le modèle de la grande entreprise fonctionnelle,

• le chef de projet dans le modèle de l'ingénierie concourante.

Les dimensions organisationnelles de l'entreprise ne sont pas les seuls éléments qui structurent la distribution dans la conception.

Le découpage du produit est tout aussi important. Ce partage de la conception peut être réalisé autour des éléments structurants du produit mais aussi autour de fonctions complètes du produits ou encore autour des technologies clés.

Les stratégies de partage de la conception évoluent elles aussi, restructurant ainsi l'activité de conception autour d'équipes fonctionnelles, par exemple, qui ont en charge des sous-ensembles complets.

La conception fait apparaître de nombreux acteurs qui se différencient de par leur connaissances mais aussi par leur logique d'action, et leur rapport au produit.

Bucciarelli (94) développe la notion d'« object world » pour décrire la diversité des approches qu'il rencontre dans la conception de systèmes pluri-technologiques. Il nous montre que les différents spécialistes n'utilisent pas les mêmes systèmes symboliques ; les mêmes représentations du produit, les mêmes instruments… Ainsi ce qui différencie selon lui chacun des acteurs de la conception ce sont les différentes connaissances qu'ils mobilisent dans la conception du produit. Mais cette vision cognitive et individuelle ne nous permet pas d'explorer complètement les dynamiques collectives de l'action de conception et laisse de côté les instruments des concepteurs.

Aussi pour analyser cette dimension collective, il apparaît important d'inclure à la fois les objets et outils que manipulent les concepteurs ainsi que la logique d'action dans laquelle ils les utilisent.

Le concept de « monde » de la conception proposé par Mer est un outil d'analyse pour caractériser les différents acteurs collectifs de la conception.

« Un monde de la conception est un ensemble hétérogène regroupant des entités qui peuvent être des outils, des objets des personnes qui développent la même logique d'action, relèvent de la même échelle de grandeur et partagent des connaissances collectives. » (Mer 98).

Il nous permet de nous dégager des services ou des métiers de l'entreprise pour ainsi analyser la dynamique d'évolution de ces entités.

On peut ainsi décrire que ce qui rend difficile la coordination entre hommes d'études et hommes de fabrication. Ce sont non seulement des connaissances et des règles d'action différentes, mais aussi deux logiques d'action pas toujours compatibles.

Une logique de court terme des hommes de la production qui doivent « sortir les pièces » et une logique de long terme et de projection des hommes d'études qui travaillent sur le futur produit.

On retrouve dans ce concept de monde autant les dimensions cognitives de l'action de conception que les logiques d'action et les valeurs qui font que ce collectif d'entités hétérogènes représentent à un instant donné un ensemble cohérent.

Ces acteurs et ces mondes doivent se coordonner pour concevoir. Dans l'évolution des méthodologies de conception ce sont les modes de coordination qui sont remis en question. La coordination des tâches dans les organisations séquentielle permet d'assurer la cohérences d'actions préalablement distinguées. L'intégration nécessaire est rendue possible par la recomposition des résultats des différentes tâches. Cette coordination s'appuie sur des dispositifs de gestion (hiérarchie, contrats, standardisation, planification, contrôle etc…).

Avec la réduction des délais de conception, il n'est plus possible d'attendre les résultats des différents acteurs pour les recomposer. Cela impose de mettre en œuvre à certains moments clés du processus un nouveau type de coordination : la coopération.

Dans la coopération c'est l'action même qui est commune ou conjointe. Ce ne sont pas seulement des résultats qui sont mis en commun mais les ressources et les savoirs nécessaires pour y parvenir. Cette coopération est présente dans les pratiques des acteurs techniques mais elle est souvent informelle et non reconnue. Un des enjeux comme le montre Laureillard est de l'instituer et de l'instrumenter pour permettre aux acteurs d'engager une démarche réflexive sur leurs pratiques.