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Chapitre 1 : La violence mise en mots

1.1 La tentation de la violence

1.1.2. d La question de la répression

La réponse policière et pénale doit également être évoquée pour compléter le panorama médiatique construit autour de la violence révolutionnaire, même si cette dimension est finalement beaucoup moins présente que l'exercice de la violence en lui-même. Dans le cas des GARI l'existence médiatique française est finalement plutôt courte puisqu'elle se concentre sur l'année 1974. Si cinq séries d'arrestations sont opérées en mai, juillet, septembre, octobre et décembre 1974 en direction de militants ou de soutiens présumés des GARI – dont neuf d'entre eux sont inculpés par la Cour de sûreté de l'État –, elles sont peu médiatisées. La triple arrestation du 5 décembre 1974 à Paris fait l'objet de quelques articles. Raymond Delgado, Jean-Marc Rouillan et Floreal Cuadrado sont en effet arrêtés « au cours d'une opération "coup de poing"320 » dans le XIXe

arrondissement alors qu'ils se trouvent à bord d'un véhicule dans lequel des armes et des explosifs sont découverts. Le Monde les présente alors comme des « convoyeurs d'armes321 » et posent la

question de leur responsabilité dans l'enlèvement du responsable de la Banque de Bilbao à Paris six

318France Soir, 9 juillet 1977. L'article s'accompagne des visages des victimes légendés : « M. Hhodr Kannou,

"journaliste syrien", tué le 13 novembre 1972 ; M. Mahmoud Hamchari, représentant de l'O.L.P., tué le 8 décembre 1972 ; M. Basil al Kubaisi, professeur à l'université de Beyrouth, de nationalité irakienne, tué le 6 avril 1973 ; M. Mohamed Boudia, militant palestinien de nationalité algérienne, tué le 28 juin 1973 ; Dr Outel Bono, opposant tchadien, tué le 28 août 1973 ; le colonel Ramon Trabal, attaché militaire de l'Uruguay, tué le 19 décembre 1974 ; M. Ismail Erez, de l'Armée secrète arménienne, tué le 24 octobre 1975 ; M. Joaquin Zenteno Anaya, ambassadeur de Bolivie en France, tué le 11 mai 1976. » Le journal amalgame l'ensemble de ces assassinats, sans en préciser – quand ils sont connus ou suspectés – les auteurs. Leur nationalité étrangère est présentée comme le seul point commun, sans préciser les liens entretenus par plusieurs d'entre eux avec les organisations palestiniennes.

319En ce sens, nous ne rejoignons pas totalement l'analyse de Michelle Zancarini-Fournel qui estime que « les meurtres

programmés entre 1974 et 1977 n’ont pas été constitués en événement, peut-être parce que la plupart concernaient des étrangers, mais aussi parce qu’ils n’ont pas été relayés publiquement, ni par les organes d’information, ni dans des réseaux militants ». Voir Michelle Zancarini-Fournel, « 1968, deux rives atlantiques revisitées en 2008 », Nuevo Mundo

Mundos Nuevos, Materiales de seminarios, 2008, En ligne : http://nuevomundo.revues.org/40793. Ces attentats bénéficient en effet d'une réelle couverture médiatique, figurant en premières pages de la presse quotidienne.

320Le Monde, 7 décembre 1974. 321Ibid.

mois auparavant en raison de la découverte d' « une photocopie de la carte d'identité du banquier espagnol322 » dans leur véhicule. Le nom de ces trois hommes n'a jusqu'alors jamais été mentionné

par la presse quotidienne nationale. Le Monde indique seulement leur âge, sans indiquer que Dominique Morvan est en réalité le pseudonyme de Jean-Marc Rouillan323 :

« Les trois personnes, MM. Floréal Cuadrado, vingt-huit ans ; Raymond Delgado, vingt-cinq ans, et Dominique Morvan, vingt-trois ans, ont déclaré qu'ils avaient seulement pour mission de convoyer le véhicule jusqu'au carrefour des Gobelins, sans sembler connaître la nature du chargement ni le "commanditaire" de l'opération324. »

La couverture médiatique est donc relativement faible, nettement inférieure à celles des actions imputées aux GARI, en dépit du déferrement devant la Cour de sûreté de l'État de neuf interpellés, notamment pour destruction d'édifices, vols, entreprise individuelle ou collective tendant à porter atteinte à la sûreté de l'État325. Les différentes formes de soutien initiées autour des inculpés des

GARI – réunion publique ou édition de brochures par exemple – ne connaissent pas d'écho médiatique. En juin 1976, Libération évoque les « pieds nickelés326 » des GARI dont Michel

Poniatowski se félicite de l'arrestation :

« C'est un phénomène assez nouveau qu'il va falloir connaître, pénétrer et contre lequel il va falloir réagir. Cela peut demander des mois ou un an et demi, mais nous y arriverons. Nous démantèlerons ces différentes organisations terroristes. Certaines d'ailleurs sont déjà désorganisées : c'est le cas des anarchistes des GARI327. »

Le quotidien au losange rouge salue pourtant l'engagement et la sincérité militante de trois membres des GARI incarcérés :

« Michel Camilleri, Mario Ines-Torres, Jean-Marc Rouillan sont toujours incarcérés à la prison de la santé. On a trop tendance à l'oublier et à penser que le franquisme est un mauvais souvenir ; eux, le franquisme, ils l'ont combattu en son temps à leur manière et aujourd'hui ils payent les pots cassés328. »

L'article se poursuit par la citation de larges extraits d'une lettre adressée au juge Piat dans laquelle ils souhaitent que la motivation politique de leurs actes soit consignée dans le dossier d'instruction, indiquant que « la relation entre l'idéologie révolutionnaire qui nous anime et les faits instruits est une relation de cause à effet329 ». En dehors de Libération qui occupe une place à part

322Ibid.

323Voir le témoignage de Jean-Marc Rouillan, De mémoire (1). Les jours du début : un automne à Toulouse et De

mémoire (2). Le deuil de l'innocence : un jour de septembre 1973 à Barcelone, Marseille, Agone, 2007 et 2009.

324Ibid.

325Dossier g.a.r.i., op. cit., p. 4-5. 326Libération, 2 juin 1976. 327Ibid.

328Ibid. 329Ibid.

de quotidien militant dans le paysage médiatique, la presse quotidienne nationale reste donc relativement discrète sur la période postérieure aux actions violentes revendiquées par les GARI, nettement moins spectaculaire.

Les BI constituent quant à elles une exception puisque aucune personne n'a jamais été condamnée pour les différents attentats revendiqués par le groupe qui n'a donc jamais été démantelé, bien que des arrestations visant des ressortissants iraniens aient eu lieu en novembre 1976 suite à la tentative d'assassinat du diplomate Homayoun Keykavoussi. La seule personne identifiée pour son appartenance aux BI est Jean-Denis Lhomme. Christophe Bourseiller le présente comme le fondateur et dirigeant du groupe, interlocuteur anonyme de l'entretien publié par

Libération le 1er juillet 1976 dont l'identité aurait été révélée après son suicide quelques jours plus

tard330. L'existence médiatique des BI se limite donc à sa période d'activités clandestines, les

puisque les attentats demeurent non élucidés.

Le cas des NAPAP s'avère distinct puisque l'organisation est visée par plusieurs arrestations. Dès l'annonce de l'assassinat de Jean-Antoine Tramoni, un suspect est rapidement identifié par les enquêteurs : l'attitude louche, repérée par une patrouille de policiers sur les lieux du crime quelques semaines auparavant désigne Christian Harbulot. Cet étudiant parisien en histoire, présenté comme « un jeune homme connu comme "militant gauchiste"331 » demeure introuvable et ordre est donné

« à toutes les polices d'appréhender Christian Harbulot (25 ans)332 ». Dans un entretien publié en

1997, Christian Harbulot est présenté comme « un des animateurs de la mouvance dure issue de l’appareil militaire de la Gauche Prolétarienne, et représentant l’ultime sursaut radical du mouvement maoïste333 » . Alors que « l'enquête s'oriente, en effet, résolument vers les milieux de

l'extrême gauche334 », le jeune homme demeure introuvable. Des arrestations suivies d'inculpations

ont cependant lieu au début du mois d'avril 1977. « Rafle dans les milieux maoïstes. Meurtre de Tramoni : deux complices arrêtés335 » titre alors en première page France Soir, précisant que « l'un

d'entre eux reconnaît avoir fourni l'arme du crime336 ». Le Figaro précise d'ailleurs que « l'un des

gauchistes arrêtés, Henri Savouillan, 32 ans, employé à la RATP, a déclaré qu'il avait lui-même

330Christophe Bourseiller, Les maoïstes..., op. cit., p. 360-366. 331Le Monde, 26 mars 1977.

332France Soir, 27 mars 1977.

333« Vu de l'intérieur, entretien avec Christian Harbulot », recueilli par Catherine Bertho Lavenir, Cahiers de médiologie,

n° 13, 2002. En ligne : www.mediologie.org/collection/13_terrorisme/harbulot.pdf. Spécialiste d'intelligence

stratégique, Christian Harbulot dirige alors la récente École de guerre économique (1997) qu'il a co-fondé avec le général Jean Pichot Duclos, rattachée à une école de commerce parisienne, l'École Supérieure Libre des Sciences Commerciales Appliquées (ESLSCA).

334Le Monde, 26 mars 1977.

335Jean-Marie Texier et Lucien Pichon, France Soir, 3 avril 1977. 336Ibid.

fourni à son ami Harbulot, le pistolet du crime. Il l'avait fait, a-t-il ajouté, en connaissance de cause337 ». Une fois encore, Libération offre le plus de détails sur ces événements, d'autant que deux

des inculpés ont des liens avec le journal comme l'article consacré aux « trois inculpations dans l'affaire Tramoni338 » l'explique :

« Elles ont été inculpées de "complicité d'homicide volontaire sur la personne de Jean Antoine Tramoni". Actuellement incarcérés à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, Henri Savouillan, 32 ans, Egbert Slaghuin, 28 ans et Maurice Marais, 30 ans, seront vraisemblablement entendus dans le courant de la semaine par le juge d'instruction chargé du dossier.

« Deux des inculpés ne sont pas pour nous des inconnus. Henri Savouillan, conducteur de train à la RATP, est le mari de Nicole, journaliste à Libération, elle-même gardée à vue pendant 24 heures. Quant à Maurice Marais, il a été photo-graveur au journal jusqu'en 1974339. »

Par la suite, la situation des membres présumés des NAPAP est évoquée par Libération par la publication d'une lettre de Frédéric Oriach (1er août 1977) et à l'occasion d'une grève de la faim à

l'automne 1977 : « Détenus à la Santé et à Fleury Mérogis. Onze "politiques" refusent de s'alimenter340. » Cette démarche vise à dénoncer l'absence de visite « pour les sympathisants

NAPAP341 », situation pourtant classique dans le cas d'une instruction en cours, qui plus est pour des

faits de cette nature. L'arrestation de Christian Harbulot, en décembre 1977, après près de dix mois de cavale, est finalement peu évoquée par la presse nationale, tout comme sa libération suite au non- lieu rendu en novembre 1978.

Il apparaît donc que les éléments relatifs aux poursuites engagées après les attentats revendiqués par les GARI, les BI ou les NAPAP sont nettement moins présents dans la presse quotidienne nationale que les attentats eux-mêmes. De plus, les noms et sigles de ces organisations sont davantage cités que l'identité des personnes poursuivies dans le cadre des enquêtes. Il semble donc que l'existence médiatique de la violence révolutionnaire se concentre sur le temps court de l'événement, quelle que soit l'organisation incriminée ou la cible visée. Les différentes manifestations de la violence révolutionnaire peuvent ainsi être considérées, sur le plan médiatique, comme des faits divers répétés, manifestations du « désordre qui suscite une demande de sens342 »,

événements dont le récit factuel s'avère finalement lacunaire. Le récit médiatique les inscrit cependant dans une continuité qui tend, au moins en partie, à considérer la violence comme une

337Le Figaro, 4 avril 1977. 338Libération, 3 avril 1977. 339Ibid.

340Libération, 4 octobre 1977. 341Ibid.

donnée de l'expression révolutionnaire de la décennie 1970.