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Chapitre 2 : Le miroir de la radicalisation ouest-allemande

2.1 Une radicalisation spectaculaire

2.1.1. b Un groupe personnalisé

Rapidement, la presse s'accorde pour présenter cette organisation sous le syntagme réducteur de « bande à Baader » ou, plus rarement de « groupe Baader-Meinhof ». Si, dans la presse allemande, la traduction littérale employée est plutôt celle de « groupe », la presse française lui préfère celle de « bande » qui rappelle la « bande à Bonnot » du début du siècle. Le parallèle est d'autant plus logique que les militants de la RAF sont systématiquement présentés, entre 1970 et 1972, comme des anarchistes bien qu'un tel positionnement politique n'ait pas été exprimé stricto sensu, et ce, dans l'ensemble de la presse française. La personnification de l'organisation autour de l'évadé et de la journaliste est nette. Ainsi, « l'insaisissable "bande à Baader"460 » rassemble un « groupe de

guérilleros d'extrême gauche461 », qui justifie l'organisation d'une « vaste chasse à l'homme contre

les "anarchistes" de la "bande à Baader"462 », un « groupe d'une trentaine de "desperados" qui, sous

prétexte d'action politique anarchiste, a commis une série de crimes allant de la tentative de meurtre à l'incendie volontaire, en passant par le chantage, les cambriolages de banques et les vols d'automobiles463 ». Cette « bande "Baader-Meinhof"464 » et ceux qui sont présentés comme ses

dirigeants inquiètent d'autant plus qu'ils sont introuvables depuis mai 1970 alors que les attentats à la bombe revendiqués sous la signature de la RAF se multiplient. Et pour le journaliste du Monde, « le fait que depuis près de deux ans les principaux membres de la "bande à Baader" aient toujours échappé aux pièges qu'on leur tendait montre assez que les extrémistes ont perfectionné leur stratégie de "guérilla urbaine"465 ». Au printemps 1972, il apparaît donc nettement qu' « arrêter les

459Jean-Paul Picaper, Le Monde, 10 octobre 1970. 460J.W., Le Monde, 18 juillet 1971.

461Ibid.

462AFP, Le Figaro, 17 juillet 1971. 463Ibid.

464Le Monde, 24 octobre 1971. 465Jean Wetz, Le Monde, 21 mai 1972.

attentats de groupes anarchistes [constitue la] tâche la plus urgente du gouvernement de Bonn466 »,

d'autant que « tout indique que cette action terroriste ne fait que commencer467 ». La première

quinzaine du mois de juin est marquée par l'arrestation de ceux que la presse présente comme les fondateurs de l'organisation qui « sont depuis 1968 des ennemis jurés de la société468 ». Le 2 juin

1972, de nombreux articles sont ainsi publiés, centrés autour d'Andreas Baader, arrêté en compagnie d'Holger Meins et Jan-Carl Raspe à Francfort, mais dont l'identité est rarement citée. L'Humanité annonce ainsi que « Andreas Baader, chef du groupe anarchiste "Baader-Meinhof", que la police recherchait en vain depuis 2 ans, a été arrêté jeudi, vers 7 heures du matin, en compagnie de trois de ses partisans dans une maison située au centre de Francfort469 ». En dernière page, Le Figaro se

réjouit de l'arrestation d' « Andreas Baader, l'ennemi public N° 1 d'Allemagne fédérale, capturé à Francfort avec deux complices470 », ce qui signifie que « la "bande à Baader" qui semait la terreur

en Allemagne depuis deux ans et avait intensifié sa guérilla urbaine depuis trois semaines, a été aujourd'hui décapitée471 ». À cette occasion, le journal publie un article rétrospectif titré « "La

Fraction armée rouge" ou les desperados du gauchisme allemand472 » :

« Calquée sur le modèle des Tupamaros uruguayens, la bande, qui s'intitule "Fraction Armée rouge", est née de la retombée du grand mouvement de mai 1968.

« […] Lorsque l'année suivante, l'enthousiasme retomba, la jeune gauche éclata en une multitude de fractions rivales. L'ordre bourgeois reprenait le dessus. La tendance la plus radicale ne voulut pas admettre de voir son beau rêve ainsi lui échapper. Pour elle, l'heure de la guérilla urbaine avait sonné.

« Après un stage chez les feddayine palestiniens, la bande regagna l'Allemagne et commença une série d'agressions qui fit dire à un haut-fonctionnaire de Bonn : "Depuis la guerre, nous n'avons pas eu un tel groupe de desperados473." »

L'arrestation d'Andreas Baader et de ces complices est d'autant plus saluée qu'elle coïncide avec l'attentat meurtrier commis par une organisation aux racines idéologiques proches, l'Armée rouge japonaise le 30 mai contre l'aéroport israélien de Lod, causant la mort de vingt-six personnes, dont dix-sept pèlerins baptistes portoricains474. Les deux organisations ont en outre bénéficié du soutien

logistique des mouvements palestiniens, ce qui permet à la fois de souligner le danger que représentent les contacts et échanges internationaux opérés par des organisations violentes autour de la question palestinienne, et de saluer la réussite des enquêteurs allemands. Six jours plus tard, c'est

466Henri de Kergorlay, Le Figaro, 26 mai 1972. 467Ibid.

468Ibid.

469L'Humanité, 2 juin 1972.

470Henri de Kergorlay, Le Figaro, 2 juin 1972. 471Ibid.

472Édouard Thevenon, Le Figaro, 2 juin 1972. 473Ibid.

au tour de Gudrun Ensslin « étudiante considérée comme l'une des militantes les plus actives du groupe "Baader-Meinhoff" [sic]475 » d'être arrêtée à Hambourg. Le lendemain, les arrestations à

Berlin de Brigitte Monhaupt et Bernhard Braun sont peu commentées par la presse française. En revanche, l'arrestation d'Ulrike Meinhof, « la femme la plus recherchée d'Allemagne […] égérie de la "bande à Baader"476 », dans la banlieue de Hanovre le 15 juin 1972 donne lieu, comme dans le cas

d'Andreas Baader deux semaines auparavant, à de nombreux articles. Elle est à la fois présentée comme sa « complice477 » et la « n° 2 du groupe anarchiste "Baader-Meinhof"478 » dont l'arrestation,

en compagnie – non précisée – de Gerhard Müller, laisse espérer la neutralisation de l'organisation, complétée par celles de Irmgard Möller, Klaus Jünschke et Jörg Lang en juillet 1972. Pour la presse française, l'incarcération d'Andreas Baader et des membres du commando qui a conduit son évasion est donc synonyme de la fin, ou au moins de la suspension, des activités violentes de la RAF.