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b 1974-1975 : le renouveau des pratiques violentes

Chapitre 2 : Le miroir de la radicalisation ouest-allemande

2.1 Une radicalisation spectaculaire

2.1.2. b 1974-1975 : le renouveau des pratiques violentes

Après deux années d'interruption, les attentats reprennent en 1974, au lendemain de la mort d'Holger Meins au 53e jour de sa grève de la faim. Si la presse française s'est peu intéressée aux

trois grèves de la faim menées en 1973 par une quarantaine de détenus auxquels « les autorités judiciaires […] refusent le statut de prisonnier politique499 », afin de protester contre leurs

conditions de détention, l'assassinat du juge Günter von Drenckmann, président du tribunal de grande instance de Berlin-Ouest, le 10 novembre 1974 change la donne. Le Monde et Le Figaro sont les deux titres à relater de manière régulière les événements de l'automne 1974 en RFA. Pour ce dernier, le lien est évident : « L'étincelle a jailli samedi […]. M. von Drenckmann représente la Justice, et c'est pourquoi il est choisi pour cible […]. L'attentat a été revendiqué par la "Fraction de l'Armée rouge", enseigne officielle de la bande à Baader. Il s'agit donc bien d'une action de représailles après la mort de Meins500. » L'assassinat du magistrat est présenté comme un degré

supplémentaire dans l'action violente de la RAF puisque l'organisation n'a jusqu'alors jamais fait de victime personnellement ciblée et « les responsables de l'ordre public redoutent une "nouvelle vague de terreur"501 » car « l'indignation et la mobilisation policière qui ont suivi le meurtre de von

Drenkmann […] rappellent l'atmosphère des années 71-72, quand toutes les polices poursuivaient la

498Il s'agit, par ordre alphabétique de : Axel Achterath, Roland Augustin, Andreas Baader, Ingeborg Barz, Bernard

Braun, Heinz Brockmann, Gudrun Ensslin, Albert Fichte, Katarine Hammerschmidt, Siegfried Hausner, Klaus Jünschke, Rosemarie Keser, Ulrike Meinhof, Holger Meins, Brigitte Mohnhaupt, Irmgard Möller, Jan-Carl Raspe, Ralf Reinders et Ilse Stachowiack. Anne Steiner et Loïc Debray, RAF. Guérilla urbaine en Europe occidentale, op. cit., p. 238.

499Daniel Vernet, Le Monde, 12 novembre 1974. 500Baudoin Bollaert, Le Figaro, 12 novembre 1974. 501Daniel Vernet, Le Monde, 14 novembre 1974.

"bande à Baader"502 » . Le Figaro partage cette crainte puisqu'il affirme : « La "Fraction Armée

rouge" fait peur. Sa devise : "Lancer des bombes pour les faire éclater dans la conscience des masses". Ses objectifs : "Abattre la société actuelle par la guérilla urbaine", réveillent d'inquiétants échos503. » La RAF est ainsi définie comme « une variante anarchiste et terroriste de l'extrême

gauche, la seule qui ait réussi à s'imposer en RFA504 », résultant « du refus de l'échec de la

contestation505 ».

Une autre étape est franchie en février 1975 qui, si elle n'est pas l'œuvre de la RAF, est cependant amalgamée par une partie de la presse française, d'autant que la revendication de cette nouvelle action concerne l'organisation. Le 27 février 1975, Peter Lorenz, candidat de l'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne (Christlich-Demokratische Union Deutschlands, CDU) aux élections municipales à Berlin-Ouest, est enlevé. Le lendemain, L'Humanité est le premier journal à annoncer l'événement et explicite les revendications des ravisseurs qui concernent notamment des militants de la RAF détenus. Le Monde précise le soir même :

« Les ravisseurs de M. Peter Lorenz, président de la C.D.U.-Ouest berlinoise viennent de préciser leurs exigences dans une lettre adressée au bureau de l'agence de presse allemande C.P.A. Ils entendent obtenir :

« 1. La libération de l'ex-avocat Horst Mahler, cofondateur du groupe Baader-Meinhoff [sic], de Verena Becker, Gabriele Kroecher-Tiedeman, Rolf Pohle, Ina Siepman et Rolf Heissler, qui doivent être transférés à Berlin-Ouest par avion dans les quarante-huit heures […].

« 2. L'annulation de tous les verdicts prononcés dans le cadre des manifestations qui ont suivi la mort de Holger Meins, anarchiste qui a succombé à une grève de la faim, et de l'assassinat du juge Guenter von Drenkmann, président de la cour d'appel de Berlin- Ouest506. »

Le Figaro précise d'ailleurs que cet enlèvement n'est pas le fait de la RAF : « C'est bien un

commando anarchiste qui a frappé : Peter Lorenz […] est l'otage – c'est maintenant officiel – du Mouvement du 2 juin 1967. L'agence de presse D.P.A. […] a reçu vendredi matin une photographie de l'homme politique assis sur un lit, et portant autour du cou une pancarte indiquant la "raison sociale" de ses ravisseurs507. » Le journal précise l'origine historique de cette nouvelle organisation

et cite ses cinq points de revendication. Le Monde indique en outre que « ce mouvement, qualifié d' "anarchiste", regroupe des extrémistes de gauche ayant rompu avec la bande à Baader508 ». Les

502Ibid.

503Baudoin Bollaert, Le Figaro, 12 novembre 1974. 504Henri Ménudier, Le Figaro, 15 novembre 1974. 505Ibid.

506Daniel Vernet, Le Monde, 1er mars 1975. 507Baudoin Bollaert, Le Figaro, 1er mars 1975. 508Le Monde, 2 mars 1975.

autorités ouest-allemandes accèdent à leurs revendications et cinq prisonniers sont libérés – à l'exception de Horst Mahler qui, après avoir pris ses distances avec la RAF, s'est désolidarisé de cette action509 – ce que seul Libération – dont la parution est alors irrégulière – salue, tout en

confondant le Mouvement du 2 Juin et la RAF :

« Quoi qu'il en soit, cette opération est pour le groupe Baader-Meinhof une première victoire, victoire contre le gouvernement ouest-allemand, victoire vis-à-vis de toute la gauche allemande qui n'a cessé de les condamner, victoire enfin contre une indifférence qui n'avaient pu ébranler les 142 jours de grève de la faim des militants détenus et la mort d'Holger Meins510. »

Les « cinq anarchistes libérés511 » s'envolent alors pour Aden, capitale de la République

démocratique populaire du Yémen, jeune république marxiste fondée en 1970, alors que Peter Lorenz est libéré par ses ravisseurs. Libération se démarque encore du reste de la presse quotidienne en publiant la déclaration des cinq ex-prisonniers, confortant ainsi sa position de porte- voix de l'extrême gauche : « Nous saluons les camarades en Allemagne, ceux qui sont en liberté et ceux qui sont en prison. Nous mettrons toute notre énergie pour qu'eux aussi voient se lever bientôt un jour aussi merveilleux qu'aujourd'hui512. » Si cet enlèvement n'est pas le fait de la RAF, la presse

s'accorde cependant pour le relier aux activités de l'organisation car, comme le précise le journal, « il faut aussi saluer cette victoire, car c'en est une. La joie des cinq camarades libérés et libres à Aden, c'est la revanche d'Holger Meins513 ». L'enlèvement de Peter Lorenz est donc rattaché par la

presse française aux activités de la RAF.

Le cas d'Holger Meins est exploité à d'autres reprises comme celui du premier prisonnier-martyr de la RAF. Son nom est ainsi choisi pour baptiser le commando qui occupe l'ambassade de RFA à Stockholm, retenant en otage son personnel. La revendication du commando Holger Meins : « Obtenir la libération des membres du groupe Baader-Meinhof actuellement détenus en Allemagne514 », c'est-à-dire vingt-six personnes, ainsi que la mise à sa disposition d'un avion de

ligne et d'une rançon. Le précédent coup de force du Mouvement du 2 Juin pour obtenir la libération de prisonniers est présenté comme un mauvais encouragement pour les organisations clandestines puisqu'il a validé le principe d'otage comme monnaie d'échange pour accéder à des revendications. La prise d'otages est d'autant plus spectaculaire qu'elle se déroule dans un lieu public et en dehors du territoire ouest-allemand. La situation évoque celle de la prise en otage de

509Anne Steiner et Loïc Debray, RAF. Guérilla urbaine en Europe occidentale, op. cit., p. 26. 510Libération, 4 mars 1975.

511L'Humanité, 10 mars 1975. 512Libération, 5 mars 1975. 513M. K., Libération, 6 mars 1975. 514Le Monde, 25 avril 1975.

membres de l'équipe israélienne lors des Jeux olympiques de Munich en juin 1972. Au-delà de la cruelle symbolique – des Juifs israéliens séquestrés sur le territoire allemand – figure parmi les revendications du groupe palestinien Septembre noir la demande de libération de militants d'organisations révolutionnaires dont Andreas Baader et Ulrike Meinhof. L'issue sanglante de cette prise d'otages – dix-sept victimes dont onze athlètes israéliens – marque profondément l'opinion allemande, les autorités ouest-allemandes souhaitant éviter la répétition d'un tel scénario515.

Cette fois donc, les autorités refusent de céder au commando Holger Meins qui décide alors d'exécuter les attachés militaire et économique de l'ambassade avant de faire exploser le bâtiment.

Le Figaro annonce alors en première page : « Horreur à Stockholm : la "bande à Baader" fait sauter

l'ambassade de la RFA516. » La consternation domine dans la presse française qui salue l' « attitude

de fermeté517 » adoptée par Bonn. La police suédoise arrête alors six membres du commando, le

septième étant tué au cours de l'assaut. La presse ne s'attarde pas sur leur identité : Ulrich Wessel mort, Karl-Heinz Dellwo, Siegfried Hausner518, Hanna Krabbe, Bernard Roessner, Lutz Taufer sont

expulsés vers la RFA. Le « tragique bilan de la prise d'otages de Stockholm519 » est, pour reprendre

la terminologie du quotidien communiste, à attribuer à « des anarchistes ouest-allemands520 », des

« terroristes ouest-allemands521 ». Le quotidien insiste d'autant plus sur le terme « anarchiste » pour

mettre à distance une organisation qui prétend agir dans une perspective révolutionnaire de lutte des classes que l'événement qui domine l'actualité communiste est la mort du sénateur Jacques Duclos, dirigeant du PCF et fervent gardien de l'orthodoxie communiste. Cette prise d'otages sanglante vient confirmer les craintes exprimées précédemment au sujet d'une reconstitution de la RAF qui, en dépit de l'incarcération de ses membres fondateurs, demeure baptisée des noms d'Ulrike Meinhof et surtout d'Andreas Baader. La fermeté et le refus du chantage des autorités allemandes sont d'autant plus salués que la « libération des détenus aurait amené une reconstitution de la bande Baader- Meinhof522 » et, comme l'affirme le chancelier Helmut Schmidt, aurait « représenté une menace

aggravée pour la société. Le gouvernement répondra à d'autres provocations avec la même détermination, en allant jusqu'à la limite de ce qui est permis par l'État constitutionnel523 ». Voix

515Kay Schiller et Christopher Young, The 1972 Munich Olympics and the Making of Modern Germany, Berkeley/Los

Angeles, University of California Press, 2010, p. 187-220.

516Le Figaro, 25 avril 1975.

517Daniel Vernet, Le Monde, 26 avril 1975.

518Recherché depuis 1972 et donc considéré comme un militant de la « première génération » de la RAF, il décède à la

prison de Stammheim le 4 mai 1975 des suites de ses blessures.

519L'Humanité, 26 avril 1975. 520L'Humanité, 25 avril 1975. 521Ibid.

522Daniel Vernet, Le Monde, 26 avril 1975.

isolée, Libération ne condamne pas la prise d'otages dont elle se désole non pas tant de son caractère sanglant, mais du non-aboutissement des revendications et des conséquences pour les détenus dont la libération était demandée : « L'opération du "commando Holger Meins" a échoué. Les 26 prisonniers politiques dont ils demandaient la libération resteront en prison, dans des conditions certainement plus dures que récemment524. »

Les activités violentes de la RAF s'interrompent ensuite à nouveau pendant deux années. D'autres attentats ont néanmoins lieu, à l'image de celui revendiqué par les RZ le 1er juin 1976

contre le club des officiers du quartier général des forces américaines à Francfort, blessant seize ressortissants américains. La base américaine Lindsay, située près de Wiesbaden, dans la Hesse, est elle aussi visée par un attentat à l'explosif, « revendiqué par une "Cellule révolutionnaire Ulrike Meinhof"525 » qui se solde par des dégâts matériels. La période est cependant nettement dominée

par des événements de nature judiciaire et pénitentiaire avec, notamment, la mort d'Ulrike Meinhof en mai 1976.