• Aucun résultat trouvé

Synthèse et hypothèses théoriques – Partie 2.2

2.3 Angoisses et défenses chez l’enfant

2.3.1.2 Formes de l’angoisse

2.3.1.2.1 De la question du nombre et de la variété des angoisses

Le modèle structural de la personnalité (Bergeret, 1972, 1974) considère trois types d’angoisses particulières : l’angoisse de castration (structure névrotique), l’angoisse de morcellement (structure psychotique) et l’angoisse de perte d’objet (états-limites).

Concernant plus particulièrement la clinique infantile, Lustin (1972), dans l’ouvrage dirigé

85 par Bergeret, s’appuie sur les travaux d’un certain nombre d’auteurs pour décrire différents types d’angoisses : angoisse de la naissance (Rank, 1928 ; Bergeret & Houser, 2004), angoisse de base amorphe (Greenacre, 1971), angoisse de séparation ou angoisse primaire (Bowlby, 1962), angoisse anale liée à un risque de perte d’objet, angoisse au stade phallique, angoisse de perte ou encore angoisse de castration. Nous pouvons par ailleurs ajouter à ces différents types d’angoisses celles qui concernent la période la plus en amont c’est-à-dire la période fœtale (Delassus, 2001, 2005 ; Bergeret & Houser, 2004 ; Bergeret, Soulé & Golse, 2006).

Dans l’optique kleinienne, ce sont principalement l’angoisse persécutive liée à la position schizo-paranoïde et l’angoisse dépressive liée à la position du même nom qui sont mises en avant en lien avec les processus à l’œuvre au sein de chacune de ces positions. L’auteure évoque aussi les angoisses de dévoration ou encore les angoisses primaires nommées

« angoisses d’anéantissements » (1952) en lien avec la dynamique intrication/désintrication de la pulsion de mort. L’angoisse est ainsi, pour Klein, la résultante du travail de la pulsion de mort au sein de l’appareil psychique. Notons que Lustin (1972) souligne la convergence et le rapprochement que l’on peut effectuer entre l’angoisse dépressive telle qu’elle est décrite par Klein et l’angoisse du huitième mois théorisée par Spitz (1968).

Pour sa part, Dolto reprend en majorité les grands types d’angoisses formulés par Freud au cours de ses travaux même si elle insiste sur l’angoisse de viol chez la fille qu’elle considère véritablement comme le pendant de l’angoisse de castration ressentie par le garçon (1939, 1982). Outre sa correspondance avec l’angoisse de castration, l’auteure insiste sur le fait que le garçon est aussi concerné par l’angoisse de viol. Ainsi, garçons et filles sont en mesure d’éprouver, de manière et d’intensité différente, angoisse de castration et angoisse de viol.

Dans le modèle qu’il propose pour décrire la dynamique projection/introjection qui fonde la fonction α, Bion (1962b) propose de nommer « terreur sans nom » l’angoisse qui est introjectée par le bébé suite au non-traitement des éléments β par l’objet maternel qui en avait la charge. Cette angoisse peut être rapprochée des « agonies primitives » évoquées par Winnicott (1974) comme résultant d’un état de non-intégration psychique.

Nous pouvons ajouter pêle-mêle, aux différentes formes d’angoisses que nous venons de décrire, les angoisses de destruction, de fusion, de vidange, d’éclatement ; les angoisses

86

catastrophiques, de chute sans fin, d’intrusion ; les angoisses morales ou surmoïques. Nous pourrions ici poursuivre cette liste comprenant toutes sortes d’angoisses détaillées dans les travaux de nombreux auteurs. Nous souhaitions souligner ici la grande diversité des angoisses décrites chez l’enfant, que celles-ci soient considérées comme précoces, archaïques, immatures, primitives ou comme élaborées et secondarisées.

2.3.1.2.2 De la question de la nature des angoisses

La question de la nature des angoisses et des critères en permettant le regroupement demeure largement et étroitement liée à la précédente au sens où il s’agit ici d’analyser les divers modes d’organisation adoptés et défendus par certains auteurs au sujet des différentes formes d’angoisse. Nous pouvons mettre en avant plusieurs dimensions qui organisent et structurent les relations entre les différents types d’angoisse rencontrés chez l’enfant au cours de son développement.

En psychopathologie adulte, Bergeret (1972, 1972) relie les différents types d’angoisses aux organisations psychopathologiques au sein desquelles elles s’avèrent dominantes. C’est assez classiquement la démarche privilégiée par un certain nombre d’auteurs en psychopathologie infantile car elle permet de prendre en compte à la fois la perspective génétique et la dimension d’organisation de la personnalité. Ainsi, les différents types d’angoisses sont référés à une période développementale ainsi qu’a une organisation psychopathologique.

Prenons pour exemple la classification proposée par Lang (1979)60 et reprise par Golse (2008), classification qui distingue : les angoisses archaïques (d’anéantissement, de fusion, de destruction…) renvoyant aux psychoses infantiles, les angoisses de suspension (vidage, éclatement) qui ont trait aux dysthymies graves, les angoisses de séparation ou d’abandon qui concernent les états dépressifs ou pré-névrotiques, l’angoisse de castration qui implique a minima le travail œdipien, l’angoisse surmoïque qui aboutit, si internalisation des instances interdictrices il y a, à l’angoisse existentielle. Ainsi, l’angoisse est rattachée au registre psychopathologique au sein duquel elle s’exprime préférentiellement. On retrouve ce lien étroit entre angoisse et registre psychopathologique au sein de certains modèles interprétatifs proposés dans le champ de la psychologie projective, particulièrement à l’épreuve de Rorschach (Chabert, 1983). À ce propos, citons Rausch de Traubenberg et Boizou (1977) qui

60Nous reprenons ici les élaborations de Lang (1979) telles qu’elles sont présentées par Golse (2008) au sein de l’ouvrage sous sa direction : Le développement affectif et intellectuel de l’enfant.

87 décrivent les angoisses paradigmatiques des enfants psychotiques et névrotiques tout en soulignant malgré tout, au sujet de l’analyse de l’angoisse et du reste des éléments référant à la personnalité que « Si, dans une optique schématisée, certains recoupements sont possibles, la spécificité et la variété des réactions de l’enfant ne permettent guère de déductions systématisées » (p.99).

Dans une autre optique, nous pouvons évoquer la position de Roman (2009) qui, dans son ouvrage dédié au Rorschach chez l’enfant et l’adolescent, articule les différents types d’angoisse à l’organisation pulsionnelle sous-jacente et inhérente au développement psychoaffectif.

D’autres auteurs comme Lustin (1972) proposent une catégorisation des différents types d’angoisses en fonction d’une hiérarchie allant du plus élaboré au plus archaïque : angoisse mentalisée et consciente, angoisse peu mentalisée et inconsciente, angoisse induite et partagée. On ne peut que constater la nécessité, pour un certain nombre d’auteurs, d’adopter une position hiérarchique favorisant la situation des angoisses sur un continuum allant du plus archaïque au plus élaboré.

Nous souhaitons enfin aborder deux conceptions qui nous paraissent des plus essentielles concernant l’analyse des angoisses auxquelles est confronté l’enfant au cours de son développement. Ces deux positions nous semblent des plus pertinentes de par le fait qu’elles prennent en compte l’importante labilité des angoisses chez l’enfant.

Évoquons d’abord les vues de Ferrant (2007) qui reprend le deuxième modèle freudien de l’angoisse et souligne particulièrement l’idée de Freud (1926) selon laquelle l’angoisse est la réactualisation d’une expérience douloureuse de déplaisir déjà vécue et ressentie par le bébé.

L’angoisse étant ainsi formalisée par le fait que le bébé redoute la réactualisation d’une des expériences douloureuses déjà expérimentées. Reprenant le modèle de la fonction α développée par Bion (1957, 1962a, 1962b), il insiste sur la fonction contenante de l’entourage concernant les angoisses qui peuvent frapper l’appareil psychique du bébé. Pour l’auteur, un enfant organisé autour de la problématique œdipienne peut néanmoins avoir vécu des expériences précoces de détresse qui auraient favorisé la combinaison d’un certain nombre de processus psychiques. La confrontation de l’enfant à une situation actuelle entrant en écho avec cette expérience pourra réactiver les mêmes mécanismes et processus mis en place à ce moment précis. Ainsi, pour reprendre l’exemple de Ferrant (2007), cette

88

réactivation pourra infiltrer l’organisation névrotique de l’enfant colorant ainsi de manière particulière l’angoisse de castration.

Le modèle proposé par l’auteur nous paraît important car il nous permet d’embrasser une vision de l’angoisse plus globale et moins massive en cela qu’elle serait dépendante des expériences et des aléas du développement de l’enfant. Cette vision non fixiste paraît selon nous la plus adaptée en clinique infantile car il est entendu que chaque angoisse peut contenir la potentialité d’autres angoisses qui peuvent pourtant paraître, au premier abord, en discordance avec la modalité d’angoisse dominante. Selon l’auteur, l’angoisse « […] n’existe pas sous une forme unique, repérable en tant que telle d’un sujet à l’autre. Elle doit être conçue comme un processus, une histoire, qui abrite et contient d’autres formes d’angoisses rencontrées, et plus ou moins traitées au fil du développement du sujet » (p.264). Ainsi, cette vision nous paraît des plus heuristiques car elle nous permet de passer de l’angoisse conçue comme un bloc massif en lien avec la psychopathologie à une angoisse conçue comme « une sorte de spectre » pouvant infiltrer les différents processus psychiques. Ce modèle nous permet de penser l’angoisse sous un angle développemental, celle-ci étant nécessaire à la construction de la personnalité.

C’est alors plutôt au travers de trois grandes périodes de développement que Ferrant (2007) propose une description des différents types d’angoisse. Nous reprendrons ici les principales caractéristiques de chaque période conformément aux propositions de l’auteur.

La première période est la période primitive de la vie du nourrisson qui se caractérise par les angoisses du même nom. Elles sont composées des angoisses d’anéantissement basées sur les éprouvés précoces (angoisses primaires décrites par Klein ou Winnicott), des angoisses de morcellement (perte de la cohérence) et des angoisses de vidage concernant la peur de perdre un contenu ou une substance.

Le second temps organisateur concerné est lié à la position dépressive et aux processus qui président à la différenciation Moi/non-moi. Sont ici concernées d’une part les angoisses d’intrusion où la projection du bébé fait retour à travers le renversement actif/passif sans être reconnue comme provenant de sa propre personne et d’autre part, les angoisses de perte que l’auteur spécifie en deux modalités. L’une d’entre elles est en lien avec les angoisses primitives au sens où c’est la perte de support qui est redoutée, l’autre est en rapport avec la reconnaissance du statut objectal total consécutif de l’élaboration de la position dépressive qui ouvre potentiellement à l’angoisse de castration liée à la différence des sexes.

89 Le dernier temps a trait à la différence des sexes et aux angoisses qui en découlent : angoisse de castration et angoisse de pénétration. Ces deux types d’angoisses, malgré le fait qu’ils se retrouvent préférentiellement chez le garçon (angoisse de castration) ou chez la fille (angoisse de pénétration61), seront éprouvés par les deux sexes et rendent ainsi compte de la bisexualité psychique décrite par Freud.

Nous le voyons, le modèle que propose l’auteur pour considérer l’angoisse nous paraît prendre en compte les principales caractéristiques inhérentes au développement de l’enfant.

En effet, l’angoisse fait partie intégrante des processus de développement de l’appareil psychique et peut, en fonction de la qualité de son élaboration, colorer les aménagements et angoisses ultérieures ressenties par l’enfant.

Deux points nous paraissent importants ici. Le premier concerne le statut même que l’on peut attribuer à l’angoisse. C’est non plus son caractère dominant ou lié à la psychopathologie qui paraît fondamental mais bien sa nature composite, à l’image des processus de subjectivation qui jalonnent le développement de l’enfant. Le caractère potentiellement hétérogène de l’angoisse permet ainsi de rendre compte de toute la complexité de ce concept et de son importance au sein de la vie psychique. Le deuxième point se veut souligner la complémentarité de cette approche avec le modèle défendu par « l’école lyonnaise de psychanalyse » et par Ciccone (modèle des positions psychiques, 2007), modèles rendant compte de l’établissement progressif des relations d’objet au travers des deux organisateurs processuels du psychisme que sont la position dépressive et le complexe œdipien.

Nous terminerons cette partie en reprenant la proposition de Golse (2008) qui, sur la base de la revue de littérature qu’il effectue sur l’angoisse, met en avant la question de la séparation et de la perte comme étant le « […] fils conducteur à la compréhension psychodynamique de l’angoisse, et ceci à toutes les étapes du développement affectif de l’enfant » (p. 211). On peut en effet constater que la perte, au sens large du terme, transparait au travers de la majorité des angoisses qu’elles soient perte de soi, de son corps, de son contenu, de l’objet, de l’amour de l’objet, de la puissance. Conformément aux vues de Freud (1905) pour qui l’angoisse de séparation constitue la matrice prototypique des angoisses ultérieures, le développement de l’enfant peut être considéré comme une succession de paliers conduisant à

61 Cette angoisse est comparable à l’angoisse de viol dont parle Dolto (1939, 1982).

90

l’individuation et à l’autonomie62 et par le fait, à des séparations ou à des pertes à chaque étape. Notons enfin qu’à ce propos, Chagnon et al. (2011) se saisissent de la question de la perte à travers l’analyse des angoisses et problématiques de perte aux épreuves projectives.

Reprenant le modèle proposé par Palacio-Espasa & Dufour (1994) et défendant l’idée selon laquelle l’angoisse de perte est multiple, les auteurs soulignent à quel point cette dernière peut concerner, chez l’enfant, l’ensemble des contextes et organisations psychopathologiques.