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Synthèse et hypothèses théoriques – Partie 2.3

3. L’ESPACE TRANSITIONNEL ET LA SITUATION PROJECTIVE PROJECTIVE

3.3 Contextes, indications et cadre de la passation de l’épreuve

3.3.1 Contextes d’utilisation

Concernant les contextes dans lesquels le CAT peut être utilisé, nous pouvons dans un premier temps dire qu’il s’agit avant tout d’un choix propre au clinicien. Cette première réponse, pour classique qu’elle paraisse, nous paraît pourtant fondamentale au sens où c’est avant tout au regard de la relation clinique établie avec le patient que la question se doit d’être posée. Si, dans ce cadre, la passation du CAT paraît opportune, plusieurs contextes peuvent être mis en avant.

Le premier a trait à l’examen psychologique, au bilan qui a pour but de statuer sur le fonctionnement intrapsychique de l’enfant et sur la construction de sa personnalité afin d’être à même de mieux le comprendre et de pouvoir, si nécessaire, mettre en place un dispositif de soin permettant de lui venir en aide. Dans la pratique institutionnelle, le bilan psychologique est généralement le préalable nécessaire à la mise en place d’une psychothérapie. Notons néanmoins que certains contextes d’exercices de la pratique du psychologue nécessitent d’établir un bilan psychologique sans pour autant qu’un suivi soit possible ou envisageable (expertise judiciaire, certains services de médecine somatique). Quel que soit le cas de figure, c’est bien la dimension d’évaluation du fonctionnement psychique qui se trouve, la première, au centre de la démarche du psychologue clinicien quand il souhaite recourir à une épreuve projective. Il appartient alors à ce dernier de juger à quel moment du bilan la passation d’une

137 épreuve projective thématique96, en l’occurrence le CAT, peut être proposée tout en sachant qu’elle a un effet et qu’elle modifie la relation établie avec l’enfant. Ainsi, le bilan psychologique a pour fonction principale d’envisager la construction de l’appareil psychique de l’enfant et d’en saisir la dynamique de fonctionnement. Pour se faire, l’outil projectif peut venir en appui aux entretiens cliniques avec les parents et avec l’enfant. L’usage du verbe

« pouvoir » ayant ici pour dessein d’insister sur l’idée selon laquelle l’épreuve projective n’est pas la panacée du bilan psychologique de l’enfant, elle constitue simplement un apport supplémentaire qui peut permettre de mettre en lumière un angle différent d’approche du fonctionnement psychique. L’utilisation d’épreuves projectives ne doit donc pas être systématisée et doit faire l’objet d’une réflexion suffisante de la part du clinicien ; réflexions à mettre en perspective avec le travail de la demande engagé avec l’enfant et sa famille.

L’épreuve projective peut ainsi tout autant apporter des réponses que faire émerger des questions sur le fonctionnement psychique de l’enfant. Précisons par ailleurs que la majorité des auteurs du champ de la psychologie projective insiste sur l’idée selon laquelle le bilan projectif de personnalité doit comprendre au moins deux épreuves : une épreuve structurale, généralement le Rorschach, et une épreuve thématique, CAT, TAT ou PN. Cette nécessaire démarche complémentaire insistant sur le caractère parcellaire et limité des données déduites à partir de la passation d’une seule épreuve projective.

Au-delà de la démarche strictement associée au bilan psychologique, le CAT peut être utilisé avant tout en tant que média avec l’enfant. En effet, le jeu avec d’une part l’image, d’autre part l’histoire à raconter à un adulte, dynamique inversée puisque ce sont généralement les adultes qui racontent une histoire aux enfants, peut favoriser le déploiement d’une relation transférentielle plus consistante par exemple dans le cas d’enfants frappés d’une inhibition massive. Le CAT, et l’épreuve projective en général, peut ainsi être utilisé au même titre que certains médias (figurines d’animaux, Playmobil) pour favoriser le déploiement de représentations et de processus psychiques et ce, sans pour autant que la dimension évaluative ne soit nécessairement centrale.

Un autre contexte nous semble important à évoquer même s’il reste très marginal par rapport au bilan psychologique qui reste le contexte principal d’utilisation du CAT : il s’agit de la passation du CAT à l’issue d’une psychothérapie. Cet usage, relativement rare en clinique

96 Nous ne rentrerons pas ici dans les détails qui président à l'organisation d'un bilan psychologique du fait que cela ne concerne pas à proprement parler notre objet d'étude.

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infantile, a pour objectif de considérer l’évolution de l’enfant à la fin du suivi psychothérapique afin d’apprécier les perspectives de changement sur le plan du fonctionnement et de la gestion des conflits psychiques. Cette démarche de test-retest, plus souvent utilisée en recherche que dans la pratique clinique, peut s’avérer intéressante et enrichissante tant pour le clinicien qui peut évaluer l’ampleur du travail réalisé en thérapie que pour l’enfant qui peut parfois réaliser à quel point certaines choses ont changé pour lui.

Soulignons ici que le retest du CAT se fait bien à l’issue de la thérapie et que la passation d’une épreuve projective, quel qu’elle soit, ne doit absolument jamais être proposé pendant ou au cours de la psychothérapie d’enfant.

Dans les trois contextes que nous venons de décrire, il nous paraît important de souligner que c’est au clinicien de s’assurer de l’intérêt que peut représenter la proposition d’épreuves projectives à un moment précis du bilan ainsi que du bien-fondé quant à cette proposition au regard à la fois de la relation clinique établie avec le patient et des sollicitations du matériel.

Précisons enfin que l’épreuve CAT peut être utilisée dans un dernier contexte qui diffère assez clairement des précédents qui concernaient spécifiquement le champ d’exercice professionnel du psychologue clinicien : il s’agit du champ de la recherche en psychologie. À l’instar d’autres épreuves projectives, le CAT, par sa capacité à approcher et à appréhender le fonctionnement de l’enfant et la construction de son appareil psychique, peut faire bénéficier au chercheur d’un éclairage projectif intéressant, particulièrement sur le plan des relations objectales et des différentes modalités de symbolisation.

3.3.2 Indications

La question des indications est une question épineuse qui a suscité un certain nombre de débats au sein du courant projectiviste de la psychologie française. Ce n’est d’ailleurs pas tant la question des objectifs concédés à l’outil qui se trouve posée que celle de l’âge auquel peuvent être proposés le CAT ou le TAT. Les avis à ce sujet sont assez divergents et nous paraissent rendre compte d’enjeux plus fondamentaux qu’il n’y paraît.

Pour Boekholt (1993), le CAT peut être proposé aux enfants dès l’âge 2 ans et demi et cela jusqu’à 8 ans. Au-delà, il s’agirait avant tout, pour le clinicien, d’apprécier la maturité de l’enfant et sa capacité à manipuler des images figurant plutôt des animaux ou plutôt des personnages humains. Elle précise par ailleurs, ce avec quoi nous sommes en accord, que

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« l’intérêt [du CAT] est toutefois exceptionnel entre 3 et 6 ans car il permet de saisir la coïncidence entre l’événement œdipien et la mise en place des articulations syntaxiques » (p.111). En un mot, l’auteure propose une forme de borne d’âge qui s’étend jusqu’au cours de la période de latence tout en laissant néanmoins au clinicien le jugement nécessaire pour évaluer s’il lui paraît opportun de proposer le CAT et cela au regard des particularités de fonctionnement de l’enfant.

Debray adopte un positionnement radicalement différent quand elle propose dés 1987 (1987a, 1987b), et ce avec d’autres auteurs dont elle dirigea les recherches (Romero, 1987 ; Pieuchot, 1988), l’utilisation du TAT dés l’âge de 6 ans en lieu et place du CAT. Citons ici plus précisément l’argumentaire de l’auteure : « Si je préconise l’utilisation du TAT plutôt que celle du CAT dés l’âge de 6 ans, c’est que je pense qu’il est plus facile de repérer les procédés mis en jeu par l’enfant face à un matériel qui réactive la problématique œdipienne, ce qui est le cas du TAT, plutôt que face à un matériel trop excitant parce que saturé en éléments préœdipiens qui poussent à la régression, ce qui est le cas du CAT » (Debray, 2000, p.30-31). L’auteure poursuit en étayant son argument sur la norme culturelle et scolaire qui correspond à l’entrée de l’enfant, à l’âge de 6 ans, au Cours Préparatoire : « Il demeure qu’a 6 ans, dans notre culture, l’enfant doit se calmer et s’organiser, ne serait-ce qu’un court moment, s’il veut parvenir à maitriser les apprentissages scolaires de base, d’où l’intérêt qu’il y a à voir s’il y parvient face aux planches du TAT » (ibid, p.31).

Nous souhaitons ici souligner le désaccord qui est le nôtre vis-à-vis des propositions de Debray et cela pour plusieurs raisons que nous allons expliciter. Nous considérons tout d’abord qu’entendre le matériel du TAT comme étant moins source de désorganisations pour l’appareil psychique que celui du CAT est pour le moins un argument sujet à caution. En effet, il pourrait paraître justement plus désorganisateur (« trop excitant ») d’être confronté à des thématiques adultes clairement figurées au travers de personnages humains qu’à des contenus de nature qui font appel à des conduites régréssivantes transférées sur l’animal.

D’ailleurs, le matériel du TAT peut être considéré comme plus direct du fait qu’il représente des personnages humains, la distance permise par la présentation d’image figurant des animaux est donc impossible ce qui implique que l’appareil psychique soit en mesure d’éviter la désorganisation puisque la confrontation au contenu latent du TAT est plus franche. La saturation d’éléments de nature animale, même régressifs, nous paraît donc moins

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désorganisante de par le fait qu’elle constitue une première forme d’écran, de distance avec le contenu latent, distance qui permet de modérer l’impact des sollicitations latentes.

En outre, nous peinons à saisir en quoi la saturation d’éléments préœdipiens tendrait à désorganiser plus massivement le psychisme que la saturation d’éléments œdipiens. En effet, ne vaut-il pas mieux régresser à des stades antérieurs déjà traversés, que les principaux conflits aient été symbolisés ou pas, que d’être face à des sollicitations pouvant être considérées comme surexcitantes et difficilement symbolisable du fait de la proximité avec la crise œdipienne. Nous peinons par ailleurs à saisir en quoi le TAT serait plus à même de rendre compte des « procédés mis en jeu » par l’enfant que le CAT. En effet, cette épreuve, même si elle sollicite plus précisément certaines phases prégénitales, met aussi en avant à certaines planches des éléments clairement œdipiens à partir desquels l’enfant devra organiser son récit et à partir desquels le clinicien pourra apprécier les modalités de du travail psychique de la pulsion et de la représentation. Pour reprendre la citation de l’auteure, nous pouvons dire qu’en réalité l’utilisation du TAT permet de repérer plus facilement « les procédés mis en jeu par l’enfant » pour traiter et gérer les motions pulsionnelles qui sont liées au complexe œdipien. C’est finalement au travers de la seule perspective œdipienne que Debray propose d’opter pour le TAT plus que pour le CAT. Nous pensons par ailleurs qu’il est difficile de conférer à une norme culturelle ou sociale une valeur telle qu’elle puisse justifier l’utilisation d’une épreuve plutôt qu’une autre auprès des enfants.

Précisons enfin que le positionnement de Debray doit s’entendre comme consécutif et participant d’un contexte scientifique bien particulier qui a vu les développements féconds de la méthodologie du TAT sous l’impulsion de Shentoub. L’auteure a, selon nous, privilégié l’utilisation en dépit d’autres épreuves projectives tout aussi efficientes mais laissées malgré tout de côté ou niées dans leurs spécificités pour leur appliquer une méthodologie globale largement empruntée à l’épreuve TAT sans tenir compte des caractéristiques intrinsèques et particulières de chaque outil. Nous pensons ainsi que ce positionnement se doit d’être mis en lien avec le contexte scientifique qui a présidé aux développements méthodologiques et théoriques de la psychologie projective.

Le lecteur l’aura compris, nous sommes clairement en désaccord avec la proposition de Debray et d’un avis plutôt similaire à celui de Boekholt (1993). Nous irions même plus loin que la proposition de l’auteure en proposant d’étendre les bornes d’âges jusqu’à la fin de la période de latence soit 10-11 ans. Nous pensons en effet que ce que Debray décrit comme une limite du CAT, s’avère être, en réalité, une formidable force de l’outil à savoir la

141 possibilité d’apprécier, d’une part dans quelle mesure l’appareil psychique peut se permettre de régresser face aux sollicitations latentes du matériel, d’autre part quelles sont les aménagements et les modalités défensives mises en place par l’appareil psychique dans ce contexte. Ce sont d’ailleurs ces éléments qui nous paraissent les plus fondamentaux et les plus intéressants quand le psychologue fait le choix de recourir à une épreuve projective avec un enfant. Ce positionnement correspond par ailleurs à l’optique théorique que nous avons choisie en privilégiant les théorisations de Ciccone et Ferrant qui postulent l’existence de positions psychiques précoces qui se remanient, se réélaborent tout au long de la vie du Sujet.

L’épreuve CAT serait ainsi en mesure d’envisager la construction de l’appareil psychique de l’enfant au regard des principaux organisateurs processuels et de leurs destins futurs, heureux ou non.

Notons enfin, à la suite de cet exposé qui a trait aux indications du CAT, les quelques limites qui peuvent en déconseiller l’utilisation auprès de l’enfant. Ces limites sont en réalité organisables autour d’un seul et même point dont elles dépendent toutes à divers degré : la question du langage. En effet, c’est l’élément face auquel le clinicien devra être particulièrement attentif car, rappelons-le, le CAT est une épreuve thématique verbale. Ainsi, il faudra s’assurer que l’enfant soit a minima dans le langage ce qui réduit, sur le plan pratique, le champ de la population auprès duquel le CAT peut être utilisé, c’est-à-dire selon nous, pas pour des enfants dont l’âge est inférieur à 2,5-3 ans. Il faudra, en outre, que l’enfant ne souffre pas de troubles du langage dont la massivité pourrait obérer à la fois la construction des récits, l’expression des thèmes des histoires et, en filigrane, les modalités de symbolisation telles qu’elles peuvent être entendues et interprétées par le clinicien.

Soulignons enfin que le psychologue devra prendre garde à la dimension interculturelle au sens où cette dernière peut avoir une influence considérable tant sur le langage de l’enfant (quand celui-ci est encore en voie d’assimilation ou qu’il est en collusion avec la langue maternelle) que sur l’interprétation des contenus manifestes et latents du matériel et ce, en lien avec des facteurs socioculturels différents et non équivalents à ceux qui ont présidé à la création des planches du CAT.