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Synthèse et hypothèses théoriques – Partie 2.3

3. L’ESPACE TRANSITIONNEL ET LA SITUATION PROJECTIVE PROJECTIVE

3.3 Contextes, indications et cadre de la passation de l’épreuve

3.3.3 Cadre de la passation

Dans cette dernière partie, nous allons évoquer les principales dimensions pratiques qui sous-tendent la passation du CAT. Nous aborderons ainsi la consigne de l’épreuve, la question des

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relances et des interventions du clinicien au cours de la passation, la prise de note ainsi que ce que certains auteurs nomment au Rorschach « l’épreuve des choix ».

3.3.3.1 Consigne de l’épreuve

La question de la consigne est une question qui mérite que l’on s’y attarde quelque peu du fait qu’elle conditionne et qu’elle préside à l’établissement du dispositif de la passation de l’épreuve projective. Rappelons par ailleurs que c’est l’énonciation de la consigne qui introduit et sollicite des phénomènes empruntant à l’aire transitionnelle et à la dialectique réalité/fantasme.

Avant tout, il est primordial de différencier la consigne telle qu’elle peut être envisagée dans une épreuve thématique de la consigne spécifiquement liée aux épreuves structurales, consignes où l’accent est clairement mis sur la dimension perceptive : « tu me diras ce qu’on peut ou on pourrait y voir » (Beizmann, 1961 ; repris par Rausch de Traubenberg & Boizou, 1977). Il s’agit ici du premier écueil à éviter à savoir ne pas faire appel, au sein de la consigne, à la question de la perception ou de la vision. En effet, une consigne orientée de cette manière aurait pour conséquence d’obtenir un protocole très restrictif au sein duquel prédomine la juxtaposition des éléments présents sur la planche sans pour autant que ces derniers soient liés pour constituer un récit. La proposition de Boekholt (1993), « raconte une histoire avec ce que tu vois », nous paraît ainsi peu efficiente même quand il s’agit, comme le rappelle l’auteure, de « pondérer à bon escient un enthousiasme exubérant » (p.115).

Il nous semble en outre important d’insister, à la manière de Corman (1961), sur le processus de création et d’invention qui est demandé à l’enfant : « Dans ces images des aventures de PN, il n’y a pas d’histoire écrite. On te demande de raconter l’histoire toi même ». Cette formulation nous paraît refléter assez clairement et assez simplement la consigne de l’épreuve thématique.

Il importe aussi de préciser à l’enfant qu’il « n’y a ni bonnes, ni mauvaises réponses » et qu’il peut prendre tout le temps qui lui est nécessaire pour raconter les histoires. Cette précision, pour triviale qu’elle paraisse, demeure essentielle pour instaurer un climat où l’enfant pourra se sentir à l’aise et ainsi prendre plaisir à la passation et à la narration des histoires, cela impliquant sur le plan pratique que le clinicien puisse évidemment disposer d’un temps suffisant pour la passation du CAT.

Précisons par ailleurs que la consigne doit rester synthétique et impliquer un ancrage dans le temps présent. Nous faisons ici référence à la consigne utilisée par Murray (1943) pour la

143 passation du TAT auprès d’enfants qui implique de dire « ce qui s’est passé avant, ce qui se passe maintenant, ce que les personnages ressentent et pensent et comment cela se terminera » (Murray, 1943, p.4 ; repris de Boekholt, 1993, p. 153). Dans une variante de sa consigne, Murray formule ce qui est attendu du sujet sous forme de questions : « Quelles sont les relations entre les personnages ? Que leur arrive-t-il ? À quoi pensent-ils et que ressentent-ils ? Comment cela finira-t-il ? » (Murray, 1935, 1938). Cette consigne qui a pour but de mettre en avant la dimension d’historicité attendue dans les récits demeure néanmoins à la fois trop complexe du fait qu’elle nécessite de considérer une multitude de dimensions et trop précise puisqu’elle réduit considérablement la marge de manœuvre et de liberté de l’enfant quant à la construction et à l’organisation de son récit. Il en est de même pour la consigne proposée par Bellak au TAT (1947) : « [...] j’aimerai que vous me racontiez des histoires sur ce qui se passe dans chaque image, ce qui l’a précédé et ce que sera le dénouement » (p.7) ou la consigne reprise quasiment tel qu’elle par Morval (1977).

Formuler une consigne adaptable à tous les contextes de passation et à tous les enfants relève d’une entreprise irréaliste qui nierait la singularité de chaque enfant et de chaque appareil psychique. L’aménagement de la consigne et l’adaptation du clinicien en fonction du contexte sont donc indispensables. Dans cette optique, la consigne ne pourra être énoncée dans les mêmes termes au regard de l’âge de l’enfant. Comme le souligne Boekholt (1993), il sera probablement nécessaire d’insister sur le « raconte ce qui se passe, raconte ce que font les animaux » pour les plus jeunes tandis qu’une consigne du type « raconte l’histoire de l’image que je te montre » ou « invente une histoire à partir de cette image » sera plus adaptée pour des enfants en période de latence, le choix entre les termes « invente » ou

« raconte » restant fonction de l’appréciation du clinicien puisque chacun d’entre eux sollicite, à sa manière, le déploiement de l’imaginaire.

Formuler une consigne générale nous paraît irréaliste avons-nous précisé plus haut. Pour autant, nous souhaitons malgré tout proposer ici un canevas qui pourra être utile au clinicien.

À sa guise ensuite de l’adapter afin qu’il puisse correspondre au plus prés à l’enfant et à la relation transférentielle qui s’établit avec ce dernier.

« Je vais te montrer des images et sur chaque image il y a des animaux qui font des activités.

Il n’y a pas d’histoire écrite. Je te demande de raconter (ou inventer) toi même une histoire pour chaque image que je vais te montrer »

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3.3.3.2 Passation et prise de note

La passation implique la présentation des planches dans l’ordre le plus strict, de la première à la dernière et cela sans aucun aménagement possible ; la succession précise des planches et des contenus latents, ce que nous avons nommé la valse projective, constituant un aspect fondamental de l’outil CAT.

Le temps moyen de passation, entendu sur la base de nos recherches, se situe approximativement entre 10 et 20 minutes, épreuve des choix non comprise. Cela implique néanmoins que le clinicien puisse disposer d’un temps largement supérieur à cette borne temporelle car certains enfants peuvent se saisir de l’espace qui leur est laissé pour l’utiliser avec une certaine avidité, certaines passations pouvant parfois durer plus d’une heure.

Concernant les dispositions spatiales, le clinicien veillera à ce que la pièce où se déroule la passation soit synonyme de calme et de sécurité pour l’enfant. Il veillera aussi à ce que l’enfant soit installé à une table (ne serait-ce que pour poser les planches durant la passation et pour l’épreuve des choix en fin de passation) et évitera, si cela est possible, de se positionner face à lui pour préférer une position de côté.

La prise en compte du temps de latence et du temps total pour chaque planche est un élément fondamental pour les démarches de cotation et d’interprétation. En effet, ils permettent de repérer plus aisément les différences quant à l’investissement par le psychisme de l’enfant des planches et des sollicitations latentes qui les sous-tendent. Ils favorisent par ailleurs le repérage des chocs aux planches, cet indice étant précieux quant à l’interprétation des données. Nous laissons ici la question pratique qui a trait au relevé de ces temps à la discrétion du clinicien (trotteuse de la montre, chronomètre, horloge).

La prise de note du protocole doit être rigoureuse et prendre en compte l’intégralité du discours de l’enfant, qu’il s’agisse de la narration proprement dite des récits ou de divers commentaires ou digressions concernant l’espace projectif, ainsi que l’intégralité des manifestations motrices dont il peut faire preuve au cours de la passation. Rappelons que le dispositif de l’épreuve projective nécessite la suspension de la sphère motrice au profit de la verbalisation et de la symbolisation. Il est donc fondamental que le clinicien soit en mesure de prendre en compte les agirs moteurs qu’il s’agisse d’agirs rendant compte d’une instabilité psychomotrice générale ou d’agirs certes plus discrets mais tout aussi importants telles les

145 mimiques ou les mobilisations corporelles diverses. Précisons aussi qu’il nous paraît fondamental de signaler la présence des interventions du clinicien du fait que ces dernières ne sont pas sans influence sur la construction du récit par l’enfant. Il importera en outre de considérer la manière dont l’enfant envisage la prise de note du clinicien au cours de la passation. Pour donner quelques exemples, l’enfant pourra dans certains cas ressentir le besoin de voir ce qui a été écrit et consigné afin peut être d’en proposer une version corrigée, il pourra aussi ralentir son débit verbal par égard et par sollicitude par rapport au clinicien qui retranscrit son récit ou pourra, au contraire, accélérer sa narration afin de se mettre dans une position toute puissante face au clinicien qui serait alors dépendant de lui.

Signalons enfin que la prise de note ad verbatim du discours de l’enfant par le clinicien nécessite que ce dernier soit en mesure « d’entendre » et de ne pas corriger le discours de l’enfant (perméabilité du préconscient du clinicien) qu’il s’agisse de néologisme, de fautes de syntaxe ou de mots incompréhensibles pour lesquels seule la transcription phonétique est envisageable.

3.3.3.3 Interventions du clinicien

Concernant les relances et les interventions du clinicien au cours de la passation, il n’est pas possible d’établir de conventions ou de règles précises et systématiques. Il importe à nouveau de prendre en compte l’âge de l’enfant, sa singularité ainsi que la relation transférentielle qui l’unit au clinicien. Il importe aussi que le clinicien demeure dans une position si ce n’est neutre, au moins non-directive. En accord avec Boekholt (1993) et en partie sur la base de ses propositions, nous allons décrire succinctement les différentes interventions possibles du clinicien ainsi que les enjeux qui les sous-tendent.

Les interventions du clinicien peuvent tout d’abord avoir valeur d’encouragements dans un contexte où l’enfant est par exemple inhibé ou en difficulté et où l’intervention du clinicien peut permettre de rassurer et d’établir un climat propice à la narration des histoires à travers un laisser-aller plus grand de l’imaginaire. Ces interventions font partie intégrante de la passation chez un certain nombre d’enfants pour qui la relation duelle avec un adulte inconnu (ou pas encore assez connu) est génératrice d’angoisses particulières ou pour qui la situation peut être apparentée à une tâche scolaire qui nécessite l’appréciation et l’approbation du clinicien et qui, par le fait, engendre aussi l’émergence d’angoisses. Ces interventions restent

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très fréquentes avec les plus jeunes enfants mais demeurent généralement plus occasionnelles à partir de l’entrée en latence.

L’intervention du clinicien peut aussi avoir pour fonction de relancer, fonction différente de celle de questionner. La relance a pour objectif de permettre soit une reprise de la narration quand l’arrêt du discours rend compte d’une difficulté sur le plan du processus de pensée, soit une poursuite du récit quand celui-ci s’avère peu fourni ou très descriptif sans pour autant que les éléments soient organisés autour d’un récit, soit pour amener l’enfant à préciser la suite du récit quand cela paraît absolument nécessaire. Ces interventions qui peuvent être des relances en écho ou des relances touchant au champ phatique (« ah », « et alors... », « ah oui », « ah bon ») sont très fréquentes au sein des passations et cela, quel que soit l’âge de l’enfant. Elles ont aussi pour but de manifester l’intérêt tout particulier du clinicien face au récit qui lui proposé et participent ainsi de la dynamique inhérente à la passation. Précisons aussi que certaines relances peuvent avoir pour fonction de recentrer l’enfant sur la planche ou sur la passation elle même quand par exemple une digression prend une ampleur telle que le matériel finit par être totalement occulté.

Enfin, les interventions du clinicien peuvent avoir pour but de questionner certains aspects du récit, soit parce qu’ils paraissent difficilement compréhensibles, il s’agirait ici d’une demande de clarification par exemple sur la nature d’une interaction ou sur l’identité d’un personnage, soit pour favoriser une reprise du déploiement représentationnel par le biais d’une question générale qui porte sur le contenu de l’histoire racontée par l’enfant. Ces interventions du type

« comment ils font ? », « pourquoi ? », « que crois-tu qu’il va se passer à ce moment-là ? »,

« et tu penses qu’il va arriver quoi ? » ont pour but, à travers la fonction de questionnement, de réamorcer et d’enrichir la construction et le déroulement du récit narré par l’enfant.

Ces interventions ont toutes pour point commun de relancer et de réamorcer les processus psychiques qui sous-tendent le dispositif de la situation projective et qui président à la construction d’un récit à la jonction de l’imaginaire et de la réalité. Le clinicien se doit d’en faire l’expérience à chaque fois qu’il pense que cela peut aider et apporter à l’enfant. Cela étant entendu, c’est avant tout le contexte de la passation et les dimensions transféro-contre-transférentielles qui doivent constituer le fil rouge à partir duquel le clinicien considère qu’il doit ou non intervenir.

3.3.3.4 L’épreuve des choix

147 Comme le relève Boekholt (1993), la proposition de l’épreuve des choix, couramment utilisée à l’épreuve de Rorschach, s’avère assez rare au CAT. Nous pensons pour notre part qu’il serait intéressant de systématiser cette proposition et cela pour plusieurs raisons. Il s’agit tout d’abord d’un temps consécutif à la présentation des planches mais différent de celui-ci. En effet, la prise de note du clinicien et la centration sur la verbalisation de l’enfant vont faire place à la fois à la motricité du clinicien à travers la disposition sur la table des dix planches dans l’ordre de présentation et au positionnement affectif de l’enfant par rapport aux planches. Face à ces dix planches qui se sont déjà succédé dans un ordre de présentation précis, l’enfant est mis en demeure de choisir et chacun sait en psychanalyse l’importance que peut revêtir la question du choix. L’enfant qui, au cours de la passation, est dans une forme de position passive puisqu’il n’a pas le choix de l’ordre de présentation des images, peut ici décider, dans une position plus active, de la planche qu’il préfère et de celle qu’il apprécie le moins.

Il nous paraît ainsi important de proposer systématiquement l’épreuve des choix en l’allégeant par rapport à ce qui est proposé à l’épreuve de Rorschach. Il s’agirait alors de demander à l’enfant quelle est la planche qu’il a préférée et quelle est la planche qu’il a le moins aimée et de lui demander enfin les raisons de ces choix. Ce dernier temps de la passation, au-delà des éléments intéressants qu’il peut apporter au clinicien sur la possibilité pour l’enfant de se positionner sur le plan affectif, permet aussi de négocier la séparation d’avec le clinicien et d’avec cet espace au sein duquel d’innombrables possibilités pouvaient se réaliser.

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