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Synthèse et hypothèses théoriques – Partie 2.1

2.2 Identité et objet

2.2.5 Le complexe œdipien

« Complexe nucléaire des névroses » pour Freud (1900, 190553), « concept le plus crucial de la psychanalyse » pour Nasio (2005), le complexe œdipien est considéré par la grande

52 Nous pouvons aussi faire référence aux travaux de Mijolla-Mellor (2002) qui a étudié la question.

53 Note ajoutée par l’auteur en 1920.

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majorité des auteurs comme une étape primordiale et hautement organisatrice quant à la différenciation des sexes et à l’assomption des modalités identificatoires déployées par l’enfant. Les mouvements œdipiens sont probablement déjà présents précocement qu’on ne le croit54. L’acmé œdipienne (Œdipe freudien) consisterait en la mise en crise d’éléments précurseurs déjà introduits, déjà « en latence » (préhistoire du complexe) et repris dans l’après-coup concomitant à la réorganisation pulsionnelle.

Nous ne reprendrons pas ici dans le détail les dynamiques œdipiennes positives et négatives déjà développées par Freud (1923, 1924) pour leur privilégier la mise en perspective des modalités identificatoires et objectales avec les limites imposées à la quête narcissique idéale.

C’est l’échec du projet phallique narcissique et donc l’impossibilité d’être « tout » tout seul qui provoque l’entrée dans l’organisation œdipienne, l’enfant prenant alors le parti, s’il ne peut être autosuffisant, de « faire couple » avec une des figures parentales.

Le fait que le couple parental « reste couple » implique un vécu d’exclusion de l’enfant.

Devant cette situation, il pourra tout mettre en œuvre pour se placer au centre du couple, tenter de mettre en péril le rapprochement de ces derniers pour éviter tout sentiment d’exclusion et tenter de « faire couple » avec l’une des deux figures parentales (Roussillon, 2007). Cette dernière relation objectale est très largement décrite par Freud (1923, 1924, 1925a) quand il aborde la forme complète du complexe œdipien qui rend compte du caractère bisexuel de la sexualité psychique et qui est composée d’une valence négative, l’amour de l’objet de sexe identique et l’éviction de l’objet de sexe opposé, et d’une valence positive, c’est-à-dire la dynamique inverse.

Les stratégies relationnelles et interactives mises en place par l’enfant pour centrer l’attention du couple ou s’attribuer l’amour exclusif d’un des parents peuvent fonctionner partiellement et temporairement mais il se heurtera rapidement à la non-possibilité de mettre en acte ses désirs. Pour Roussillon (2007), il devra alors trouver une possibilité de satisfaire son désir autrement que par l’acte et ainsi « […] métaphoriser ce qu’il ne peut accomplir » (ibid, p.

165). À cette même période, l’enfant questionne de manière accentuée les thématiques qui lui

54 De nombreux auteurs soulignent la présence précoce de pré-castrations (Freud, 1917a, 1923 ; Stärcke, 1921 ; Fenichel, 1930 ; Klein, 1945) ou de relations primitives triangulées antérieures à l’Œdipe freudien (Klein, 1945 ; Le Guen, 1974 ; Lamb, 1976, 1986, 1997, 2004 ; Dolto, 1985 ; Green, 1990 ; Schmidt-Kitsikis, 1995 ; Guillaumin, 1996, 1998 ; Le Camus, 2001, 2001a, 2002 ; Paquette, 2004 ; Gérard, 2004, 2009, 2010 ; Coblence, 2010).

79 paraissent énigmatiques telles que les origines, la naissance ainsi que la sexualité parentale.

Ne bénéficiant pas de réponse satisfaisante de la part des adultes (Freud, 1905), l’enfant va théoriser les événements qui lui sont incompréhensibles tentant ainsi d’y mettre sens en fonction de ses expériences subjectives et de l’organisation de la pulsion dominante.

Nous faisons référence aux fantasmes originaires55 décrits par Freud (1915c) et plus particulièrement aux fantasmes de la castration (1909), de la scène primitive (1917a) et de séduction (1895). Le premier fantasme est en lien avec la théorie postulant l’existence d’une unique modalité sexuelle qui lui fera craindre à l’enfant une castration émanant du tiers séparateur en tant que rétorsion consécutive au désir œdipien. Le fantasme de la scène primitive, sollicitation très présente dans le matériel du CAT, concerne la tentative de représentation de sa propre conception et de son origine à partir d’une valence sadique du coït formalisant la loi du plus fort sur le plus faible (Freud, 1912). Enfin, le fantasme de séduction (Freud, 1895, 1897) peut être considéré comme la matrice originelle du désir et de son déploiement à travers la représentation d’une séduction contrainte par l’adulte.

Les limites posées au désir de l’enfant, à l’origine de la mise en crise de l’Œdipe, ne sont pas franchissables dans l’agir et le comportement mais le sont par l’imaginaire. C’est l’enseignement que l’enfant devra tirer de la crise œdipienne : il est préférable de réaliser partiellement son désir à travers une représentation symbolique (déplacement) que de tenter de le réaliser dans une forme agie (Roussillon, 2007). On retrouve ici la définition même du processus de sublimation (Freud, 1905) qui a pour but de dériver la pulsion « […] vers un nouveau but non sexuel […] où elle vise des objets socialement valorisés » (Laplanche et Pontalis, 1967, p. 465). Si sublimation il y a, c’est que les formes de réalisations des désirs se trouvent délimitées par l’environnement parental. Cela va constituer le Surmoi post-œdipien (Freud, 1914, 1924) qui aura pour tâche d’identifier les différentes voies envisageables pour la réalisation des désirs et de lutter contre leurs modes d’accomplissements interdits.

La crise œdipienne que traverse l’enfant va profondément remanier les investissements narcissiques et objectaux et établir de nouvelles règles et limites concernant les modalités de réalisations des désirs. Son issue augure le déploiement des processus de sublimation et l’intériorisation (instance du Surmoi) des interdits fondamentaux liés à l’Œdipe (Freud, 1912,

55 Notons que Bergeret (1983) propose de différencier « les fantasmes originels » ayant trait aux origines du sujet et « les fantasmes primaires » pour qualifier ceux qui sont présent dés le début de la vie psychique.

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1925)56 qui favorisent la reconnaissance des différences de générations et de sexe et le déploiement des modalités identificatoires en direction de l’objet parental de même sexe.

2.2.6 La période de latence

Introduite par Freud (1905, 1923a) et définie par Laplanche et Pontalis (1967) comme une

« période qui va du déclin de la sexualité infantile (cinquième ou sixième année) jusqu’au début de la puberté et [qui] marque un temps d’arrêt dans l’évolution de la sexualité » (p.220), la période de latence constitue un premier pallier de relative accalmie pulsionnelle sous la pression du refoulement. Consécutive de la tentative de résolution de la crise œdipienne à travers l’émergence de la sublimation qui consacre l’activité représentative comme but pulsionnel (Roussillon, 2007), elle implique la mise en latence des motions pulsionnelles et sexuelles au profit de leur investissement sur des activités socialement valorisées telles que les activités intellectuelles (apprentissage, culture…).

Parallèlement au renoncement des motions œdipiennes et à l’intégration des interdits constitutifs du complexe, l’enfant accède au Cours Préparatoire dont le fonctionnement rompt clairement avec celui qu’il connaissait auparavant en maternelle (apprentissage de la lecture et de l’écriture) On comprend ainsi l’importance que revêt la concomitance de l’entrée au CP et du renoncement au projet œdipien au sens où leur articulation va favoriser le développement de la pulsion épistémophilique (Freud, 1905, 1915a), de l’envie et du besoin de savoir (Mijolla-mellor, 2002). Le déplacement de l’investissement pulsionnel déploie la pensée en lieu et place de la motricité qui en constituait initialement le premier étayage. La représentation va ainsi progressivement et par oscillation, se séparer et s’extraire de la base motrice sur laquelle elle reposait antérieurement.

La renonciation aux désirs œdipiens, l’intégration des interdits et la mise en place du processus sublimatoire qui vont permettre de mettre un coup d’arrêt temporaire à la crise œdipienne. Ainsi, le complexe œdipien prend réellement valeur d’un organisateur processuel du psychisme (Ferrant, 2007) réglant par là même les modalités des relations objectales entre l’enfant et son entourage parental. Les limites et les interdits sont ainsi posés et les rapports entre les différents protagonistes soumis à des règles visant les relations intrafamiliales

56 Il s’agit ici, en référence au mythe de la horde primitive (1912), de l’interdit de l’inceste et de l’interdit du meurtre (parricide ou matricide).

81 (Roussillon, 2007). Cette dynamique dans un premier temps restreinte au strict univers familial devra, dans un second temps, être appliquée au milieu scolaire et extra-familial. Se produira alors une forme de hiatus pour l’enfant entre les règles qui sont en vigueur dans le milieu scolaire et celles qui encadrent les rapports familiaux. Roussillon (1995, 2007) affirme que devra alors s’opérer un travail de « départicularisation » du surmoi c’est-à-dire que les aspects idiosyncrasiques du surmoi de l’enfant découlant des règles mises en œuvre dans sa propre famille devront être assouplis pour faire place en partie aux règles communes.

À cette première modification sur le plan de l’introjection des règles correspond une seconde en lien avec la sexualité. En effet, l’enfant, avec l’impossibilité de mettre en œuvre les désirs œdipiens, est contraint d’abandonner la sexualité visant l’une des figures parentales. Pour reprendre les mots de Denis (2005), nous pouvons dire qu’ « une sexualité unigénérationnelle vient remplacer la sexualité transgénérationnelle qu’il faut abandonner » (p. 33). Il précise par ailleurs, se basant sur les travaux de Braunschweig et Fain (1971), que cette évolution tend à s’apparenter au passage d’Éros (entendu comme le couple hétérosexuel) à Antéros (sexualité de groupe et en l’occurrence la sexualité qui concerne les enfants entre eux).

L’impossible investissement de la libido au sein de la famille va ainsi être transféré sur le monde des pairs ce qui peut s’observer au sein des cours de récréation.

La période de latence est fondamentale car elle participe de la secondarisation de la pensée en articulation avec le développement de la pensée concrète (Piaget, 1945) qui favorise l’apprentissage, le développement du langage verbal et la possibilité de manipuler et de jouer véritablement avec les mots et les symboles (Denis, 1979, 2001, 2005 ; Ody, 1991 ; Arbisio, 1997, 2000, 2003 ; Debray, 2000 ; Chagnon, 2001, 2003 ; Boucherat-Hue, 2012). Elle est aussi la scène d’enjeux, de remaniements des investissements objectaux en lien avec l’exploration du monde extrafamilial. Elle est enfin un temps symbolique et logique synonyme d’une certaine accalmie pulsionnelle qui favorise le déploiement de la pensée, des capacités cognitives et de la symbolisation, cette accalmie dépendant de l’action conjuguée des défenses, du refoulement et de la mise en place des processus sublimatoire57.

57 Denis (2001, 2005) propose de considérer, en fonction de la force des processus lutant contre l’émergence pulsionnelle, deux types de fonctionnement psychique au cours de la latence : la latence consécutive du refoulement et la latence consécutive de la répression. Cette dernière proposition pouvant être en partie rapprochée des élaborations d’auteurs comme Ody (1991) pour la notion de « surlatence » (Chagnon, 2001).

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