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Synthèse et hypothèses théoriques – Partie 2.2

2.3 Angoisses et défenses chez l’enfant

2.3.2 Les défenses

2.3.2.2. Un double axe d’analyse 1 Approche développementale 1 Approche développementale

Nous souhaitons insister ici sur la nécessité de prendre en compte le caractère développemental et maturatif des défenses chez l’enfant. En effet, ces dernières s’établissent de manière progressive et cela, en lien étroit avec l’instauration des relations objectales et l’organisation pulsionnelle dominante à chaque stade de développement. Dans cette optique, certains auteurs ont proposé des élaborations théoriques qui rendraient compte des prototypes somatiques des mécanismes de défense (Spitz, 1958, 1968), de leur évolution au fil du développement, de leur chronologie d’apparition, particulièrement au sein des travaux de Cramer (Cramer, 1987, 1991 ; Cramer & Gaul, 1988).

Pour illustrer cette approche développementale, nous pouvons reprendre succinctement ici la proposition de Cramer (1991)65 concernant l’existence séquence développementale du déni autour de deux composantes : le déni perceptif et le déni en fantaisie.

La première modalité, le déni perceptif, est constituée de cinq étapes plus ou moins distinctes : le retrait d’attention, le déni par évitement, la perception erronée, le renversement et la négation. Les deux premières étapes ont trait à l’évitement physiologique et physique, par le nourrisson, d’un stimulus à valeur de perturbation ou de désorganisation. C’est à partir de la troisième phase que l’on peut véritablement parler de « forme primitive du déni »

65 Nous reprenons ici les travaux de Cramer (1991) sur la base de l’analyse proposée par Ionescu, Jacquet et Lhote (1997) dans leur ouvrage.

93 (Ionescu, Jacquet & Lhote, 1997) puisqu’il s’agit d’une perception erronée, c’est-à-dire ni plus ni moins qu’une modification du réel afin de le rendre moins angoissant. Le quatrième temps est nommé « renversement » car il implique une inversion dialectique et donc une transformation des aspects inquiétants de la réalité en aspects opposés. Enfin, la dernière étape, implique, après perception du stimulus, la négation d’une partie de la réalité par le biais d’une transformation langagière impliquant des adverbes négatifs. On retrouve ici ce que certains auteurs nomment la dénégation et qui, généralement, se voit différencié du déni.

La seconde modalité, le déni en fantaisie, est composée de quatre étapes : la satisfaction hallucinatoire du désir, le jeu dramatique, la rêverie et l’idéalisation. La première composante nous rappelle que le processus hallucinatoire, à la base du développement psychique en tant qu’il favorise l’émergence d’une représentation de l’objet maternel reste un processus qui aménage la réalité pour éviter tant que faire se peut le déplaisir lié à l’absence de la mère. La seconde étape a trait au fait que l’enfant privilégie la réalisation de certains de ses désirs ou crainte au travers du jeu, le monde ludique supplantant ainsi un temps le monde réel. Le troisième temps concerne le rêve diurne (rêverie) qui consiste, plus particulièrement à l’adolescence à idéaliser une figure de l’entourage, ce à quoi Freud (1909a) faisait référence quand il évoquait la notion de roman familial. La dernière étape est constituée par un mécanisme qui va, en dépit de la réalité, idéaliser les caractéristiques de l’objet et ainsi opérer une torsion des caractéristiques réelles de ce dernier. Précisons que pour l’auteur, l’idéalisation représente la forme la plus mature du déni.

Avec la description de cette séquence développementale proposée par Cramer (1991, in Ionescu, Jacquet & Lhote, 1997), nous souhaitons mettre en avant le caractère véritablement maturatif et développemental des mécanismes de défense. Du fait de son appareil psychique en pleine maturation, les défenses de l’enfant sont, d’une part le fruit d’une élaboration progressive ce qui implique que nous ne puissions considérer de manière équivalente le clivage chez l’enfant et chez l’adulte par exemple, d’autre part extrêmement labiles et diversifiées quant à leur utilisation ce qui, admettons-le, ne facilite pas leur repérage au sein des épreuves projectives.

À l’instar d’Anna Freud (Anna Freud, 1965 ; Sandler, 1985) qui soulignait la présence de certains mécanismes de défense à des périodes précises de la vie de l’enfant comme inhérent au développement et non pathologique, un consensus s’est établi entre des auteurs pour

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affirmer que certaines défenses étaient fonction de l’âge de l’enfant ou du stade de développement traversé.

Terminons la présentation de cette approche en prenant l’exemple du déni et de la projection.

Le premier aurait tendance à diminuer avec l’avancée en âge (Smith & Rossman, 1986 ; Cramer, 1987) et son utilisation s’atténuerait largement aux alentours de l’âge de 10 ans (Smith & Rossman, 1986) tandis que le second aurait tendance à être plus fréquent (Smith &

Danielsson, 1977 ; Tero & Connell, 1984, Cramer, 1987) au fur et à mesure que l’enfant grandit.

2.3.2.2.2. Approche hiérarchique

En lien avec la maturation des mécanismes de défense au gré du développement de l’enfant, il nous faut poser la question de la hiérarchie supposée de ces derniers. En effet, s’il y a développement, c’est bien que l’on peut distinguer les défenses appartenant à des registres précoces de celles qui référent à des registres plus avancés. Sans qu’il nous soit nécessaire de faire une revue de littérature exhaustive, nous pouvons constater que généralement, les auteurs considèrent les différentes catégories de défense en fonction du moment autour duquel elles apparaissent. Pour exemple, les défenses prédominantes aux stades les plus précoces seront qualifiées d’archaïques (Bergeret, 1972, 1974), de primitives (Fenichel, 1945), d’immatures (Vaillant, 1971, 1977) ou dans une optique négative : les moins élaborées, les moins secondarisées, les moins développées (Debray, 2000).

L’idée selon laquelle c’est la seule période de développement qui va permettre de considérer le mécanisme de défense s’avère reposer sur une logique qui peut paraître rigide. En effet, nous pensons que c’est autant la nature du processus que le contexte qui le sous-tend et au sein duquel son expression va se déployer qui compte.

Nous pouvons exemplifier notre propos en prenant appui sur le modèle développé par Ferrant (2007). Dans cette optique, nous pouvons arguer qu’un enfant peut être en proie à une angoisse de castration elle-même potentiellement teintée et colorée d’autres formes d’angoisses en fonction de la diversité de ses expériences vécues. Nous pensons pour notre part qu’il en est de même pour les défenses. Si un enfant vit une situation similaire à une expérience passée qui avait suscité de l’angoisse et donc l’utilisation d’une défense, les défenses précoces liées à cette angoisse précoce se réactualiseront et pourront infiltrer en partie son organisation psychique et ainsi coexister avec les défenses dites de niveau « plus élaboré ». Dans cette optique, on comprend bien pourquoi il peut être réducteur de considérer

95 le mécanisme de défense du seul point de vue de la période de développement de laquelle il émerge. En effet, dans cette perspective, une majorité de défenses dites archaïques signerait quasi nécessairement un fonctionnement psychotique alors qu’on peut raisonnablement penser qu’elles soient la réponse à des angoisses archaïques qui colorent le fonctionnement psychique sans pour autant en constituer les principales modalités de fonctionnement. Ce positionnement n’est pas très éloigné des propositions de Bergeret (1972) selon qui l’on peut considérer les défenses en fonction du fait qu’elles défendent le moi ou le soi : les premières ayant trait plus particulièrement à l’accès à la position dépressive et à l’abord du complexe œdipien tandis que les secondes concernent plutôt le registre des défenses et angoisses primitives.

Nous nous positionnons donc en faveur d’une vision des défenses non plus seulement en fonction de leur période d’apparition, mais aussi plus finement en fonction des différents processus et paliers visés par le développement. La nuance entre les deux positions paraît négligeable mais est néanmoins de taille. En effet, il s’agit ici de considérer que des mécanismes de défense différents peuvent coexister au sein d’une même organisation psychique. Plus précisément encore, le recours à ce modèle nous permet d’une part, de prendre en compte la diversité des modes de défense utilisés par l’enfant, d’autre part de considérer les défenses non plus seulement sous l’angle psychopathologique mais comme ayant une fonction structurante et bénéfique quant au développement en tant qu’elles permettent à l’enfant d’accéder aux différents processus organisateurs.