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Synthèse et hypothèses théoriques – Partie 2.3

3. L’ESPACE TRANSITIONNEL ET LA SITUATION PROJECTIVE PROJECTIVE

3.2 La situation CAT

3.2.3 Analyse du matériel (contenu manifeste et contenu latent)

3.2.3.2 Analyse globale du matériel

Nous venons de voir, à travers l’analyse précise du matériel du CAT, que chaque planche est unique tant au point de vue de ses sollicitations latentes que sur le plan de ses particularités manifestes. Au-delà des sollicitations de chacune des planches, c’est leur articulation au sein de la situation projective qui nous paraît fondamentale car l’enfant n’est pas simplement soumis à des planches isolées les unes des autres mais bien à assemblage, à un emboitement de contenus manifestes et latents différents qui crée une constellation de sollicitations prenant la valeur d’une injonction à la symbolisation.

À l’instar de Chabert (Chabert, 1980 ; Anzieu & Chabert, 1983), il nous paraît important de souligner à quel point la succession des planches rend compte d’une « logique temporelle » analogue au développement de l’enfant. En effet, la première planche met en scène les relations les plus précoces, les plus primitives à l’image maternelle (contexte alimentaire) et à la fratrie (rivalité fraternelle). La deuxième planche introduit une situation triangulée à partir de laquelle peut être reconnue la différence des générations mais pas la différence des sexes puisqu’elle n’est pas figurée. En réalité, on peut dire que c’est à partir de la deuxième planche que s’amorce, sur le plan global de la passation, une première forme de différenciation (la

94 L’épreuve des choix constituant selon notre méthodologie la dernière étape de la passation.

133 planche I mettant plutôt en scène des personnages peu différenciés). Elle est d’abord centrée sur les générations (tailles des personnages), différenciation qui sera favorisée et entérinée aux planches suivantes (PIII, PIV), planches qui représentent respectivement une image phallique et une image maternelle, les deux étant très connotées sur le plan des indices de différenciation sexuelle. Ainsi, pour Anzieu et Chabert (1983) : « Les quatre premières planches constituent une sorte de présentation des images parentales qui va servir de cadre à la dramatisation des conflits proposés aux planches suivantes » (p. 191). La dramatisation des conflits concerne ici les trois planches qui vont succéder à cette quatrième planche (PV, PVI, PVII). Les planches V et VI sollicitent la gestion par l’appareil psychique de la scène primitive et de la curiosité sexuelle et cela, d’abord dans un univers anthropomorphe, le rapport parental n’étant que suggéré (PV), ensuite dans un univers plus familier aux ours où les deux adultes sont clairement figurés (PVI). Pour certains enfants, c’est la présence implicite d’adulte dans le grand lit de la planche V qui provoquera une désorganisation ; dans ce cas, le passage à la planche VI leur permettra de verbaliser la scène sur un mode descriptif et ainsi de lier a minima l’affect et la représentation ; pour d’autres c’est le décor (la chambre) qui entoure la situation (PV) qui pourra être désorganisateur car trop proche de la réalité ; dans ce cas, le passage à la planche VI pourra être synonyme de reprise psychique (grâce à l’environnement externe de la grotte qui permet une forme de déplacement de la sollicitation latente).

Ces deux planches, qui sollicitent, d’une part l’axe œdipien à travers le fantasme de la scène primitive, d’autre part l’infiltration de l’Œdipe par la position dépressive à travers l’exclusion du couple parental qui réactiverait des vécus d’abandon, constituent selon nous le pivot du matériel CAT. En effet, on peut considérer qu’elles représentent la dramatisation de situations conflictuelles qui étaient déjà en latence aux planches précédentes au sens où les images parentales étaient présentées séparément et qu’une relation exclusive était encore possible avec chacun d’eux ce qui n’est plus possible aux planches V et VI puisque le couple parental est réuni, excluant d’office l’enfant de la relation. Ces deux planches font jonction à la fois avec celles qui précédent du fait qu’elles portent un coup d’arrêt au désir œdipien fantasmé précédemment et avec celles qui suivent puisque ces dernières sollicitent l’angoisse de castration (PVII), la sublimation en lien avec le système familial (PVIII)95 et la survivance de l’objet, le renoncement aux objets œdipiens et la capacité à accepter la solitude (PIX) et l’acceptation de l’ambivalence et de « […] la capacité de se séparer de l’objet » (PX) (Anzieu

95 Reprécisons qu’à cette planche, les animaux figurés sont de la même nature (singes) que celui qui est représenté dans la planche précédente et qui est attaqué par le tigre (cf. description du contenu latent de PVIII).

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& Chabert, 1983) ; ces différentes dimensions ayant trait au dépassement de l’Œdipe, à l’instauration d’un véritable Surmoi et à la mise en place des processus sublimatoires visant l’intériorisation de l’interdit œdipien.

Ainsi, la succession des deux planches ayant trait à la scène primitive nous paraît très importante à considérer et à envisager comme une jonction, un pont entre les stades prégénitaux et la mise en place du complexe œdipien et de la phase de latence qui en découle.

Nous pensons que c’est à la lumière de ce que nous pourrions définir comme les trois temps du matériel CAT que nous devons entendre et interpréter les récits et les histoires mises en scène par l’enfant : le premier temps comprenant les quatre premières planches au sein desquels le vœu œdipien est encore potentiellement réalisable, le second temps comprenant les planches V et VI à partir desquelles l’impossibilité de « faire couple » avec un des adultes est introduite très clairement, le troisième temps comprenant les quatre dernières planches et sollicitant la renonciation au désir œdipien et l’intégration de son impossible réalisation. Ces trois temps dynamiques qui formalisent la logique temporelle du développement de l’enfant, qui s’articulent, s’influencent, s’entrecroisent, pareil à un mouvement de valse, constituent pour nous le point nodal de ce que nous pourrions appeler au CAT, de manière peut être un peu originale, « la valse projective ».

Nous venons de voir à quel point l’articulation des différentes planches au cours de la passation est importante au regard des sollicitations proposées par le CAT. Ainsi, il nous paraît absolument nécessaire de considérer dans le même temps chaque planche en elle-même (dimension intra-planche) ainsi que son articulation aux planches qui l’encadrent (dimension inter-planche) et qui rendent comptent du vaste ensemble de contenus qui sous-tend la situation projective.

Concernant cette analyse globale du matériel CAT, nous voulions enfin souligner un dernier point qui nous paraît notable. Si l’on observe attentivement la succession des planches, on peut remarquer une alternance assez étonnante au sujet du fond, du décor de la planche à partir duquel se dégagent les personnages. En effet, les six premières planches alternent, et cela de manière régulière, décor anthropomorphe situé dans une habitation (salle à manger pour la PI, pièce indéfinie pour la PIII, chambre pour la PV) et décor naturel situé dans l’environnement extérieur (terrain vallonné pour la PII, forêt pour la PIV, grotte pour la PVI).

Nous pouvons postuler ici qu’à travers l’alternance du fond de la planche se joue la question de la différenciation interne/externe et dedans/dehors. C’est donc la qualité contenante des

135 enveloppes psychiques qui se trouve mise à l’épreuve, ce mouvement étant lui-même favorisé par le « fond muet », le fond blanc de la planche (« figure du blanc » au Rorschach pour Roman, 1997) qui se présente comme un cadre, un fond sur lequel vont s’animer les personnages initialement statiques qui sont figurés sur la planche (Roman, 2001). Précisons que ce sont particulièrement les décors naturels et extérieurs (PII, PIV, PVI et PVII) qui, par la présence importante du blanc, sollicitent le travail de la négativité et peuvent favoriser « l’actualisation de l’enveloppe maternelle primitive » (ibid.).

Signalons, pour terminer notre réflexion, qu’à partir de la planche VII, il n’y a plus d’alternance puisque cette planche est la dernière à comprendre un fond naturel (jungle). Il est intéressant de remarquer que cette planche inaugure le troisième temps de « la valse projective » et qu’il introduit donc au travers de l’angoisse de castration et de la dialectique puissance/impuissance, une amorce supplémentaire au renoncement œdipien. Nous pourrions alors résumer les choses ainsi : le premier temps est synonyme de stades précoces du développement de l’enfant, de la possibilité d’une relation duelle avec l’objet et de mise à l’épreuve des enveloppes psychiques, le second temps est synonyme de la scène primitive et de l’amorce du renoncement œdipien en lien avec l’exclusion du couple parental et de la continuité de la mise à l’épreuve des enveloppes psychiques, le troisième temps est lui synonyme de l’abord du complexe œdipien, d’un renoncement effectif au désir œdipien sur le plan manifeste, de la mise au travail des processus de sublimation en lien avec l’émergence du Surmoi post-œdipien et de l’assomption d’enveloppes psychiques stabilisées. Ainsi, nous pensons qu’il faut accorder une grande importance à la façon dont l’enfant envisage le fond de la planche car c’est bien sur la base de celui-ci que peuvent se mettre en mouvement, sous les yeux du clinicien, les personnages figurés sur l’image.

Nous le voyons ici, le matériel du CAT est riche, plein de nuances et de détails, dont certains peuvent échapper au clinicien qui n’est pas rompu à son utilisation. Plus encore, il recèle de formidables qualités intrinsèques qui permettent au clinicien averti de rendre compte des modalités d’aménagement du registre perceptif, des modalités de symbolisation dans sa fonction de « dispositif à symboliser » (Roman, 1997), du travail de la négativité et de la qualité des enveloppes psychique.