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Synthèse et hypothèses théoriques – Partie 2.3

3. L’ESPACE TRANSITIONNEL ET LA SITUATION PROJECTIVE PROJECTIVE

3.1 Fondements de la situation projective

3.1.1 L’aire intermédiaire entre réel et imaginaire

3.1.1 L’aire intermédiaire entre réel et imaginaire

Rendre compte des complexités de la situation projective implique que nous revenions quelque peu sur l’origine de ce que Winnicott (1951, 1971) nomme l’aire intermédiaire ou transitionnelle. Nous l’avons déjà souligné à maintes reprises, une fois le bébé né, l’objet maternel se trouve dans un état de « préoccupation maternelle primaire » (Winnicott, 1956) qui l’enjoint à être au plus près des besoins de son enfant (si elle est « suffisamment bonne »). Le bébé, n’étant pas en capacité de distinguer ce qui vient de lui-même et ce qui vient d’autrui, pense alors que l’intervention de sa mère est l’objet de sa propre création ce que Winnicott nomme l’illusion positive. Cette illusion d’autosatisfaction devra progressivement faire place à la reconnaissance de l’existence d’un « non-moi » au moment de l’assomption de la position dépressive.

Mais situons-nous maintenant en amont de la différenciation Moi/non-moi consécutive de l’abord de la position dépressive. En effet, à cette période, le bébé va s’attacher à un objet

109 particulier (un doudou, une couverture…) qui va avoir une fonction de transition sur le même modèle que celui de l’illusion et qui sera révélateur d’une modalité défensive visant à contrôler et à limiter l’angoisse dépressive. Cet « objet transitionnel » est pour Winnicott (1971) la première possession « non-moi » du bébé et il est reconnu comme tel par ce dernier en fonction de ses différentes qualités (doux, moelleux, chaud…). Comme le précise l’auteur,

« […] l’objet transitionnel précède l’établissement de l’épreuve de réalité »76 (p.40, ibid) et l’on peut dire que cet objet n’est ni un objet externe (et donc réel) ni un objet interne au sens kleinien du terme : il se situe alors entre ces deux espaces. Ni tout à fait dans la réalité interne, ni tout à fait dans la réalité externe mais bien dans un espace intermédiaire d’expérience, entre présence de l’objet et absence de l’objet, que l’auteur définit ainsi :

« L’aire intermédiaire à laquelle je me réfère est une aire, allouée à l’enfant, qui se situe entre la créativité primaire et la perception objective basée sur l’épreuve de réalité 77» (ibid, p. 44). Cette aire intermédiaire est ainsi à la limite de deux espaces clairement définis et clairement mis en tension tout au long de la vie. Elle représente, à travers les phénomènes transitionnels qu’elle supporte, « […] les premiers stades de l’utilisation de l’illusion sans laquelle l’être humain n’accorde aucun sens à l’idée d’une relation avec un objet, perçu par les autres comme extérieur à lui » (p.45). Plus encore, cette aire transitionnelle d’expérience est à la base du développement du jeu de l’enfant, un jeu qui, à nouveau, ne se situe ni tout à fait dans la réalité interne ni tout à fait dans la réalité externe.

La situation projective, que l’on peut considérer à plusieurs égards comme une forme de jeu, n’échappe pas à cette règle puisqu’elle sollicite elle aussi l’utilisation et la mise à profit de cette aire intermédiaire d’expérience. C’est plus particulièrement la consigne, ainsi que le matériel dans une certaine mesure, qui sollicite, de par son caractère paradoxal, des phénomènes empruntant à l’aire transitionnelle et à l’espace potentiel. En effet, le clinicien va demander au patient d’une part, d’évoquer ce qu’il voit (épreuves structurales) ou ce qu’il s’y passe (épreuves thématiques) c’est-à-dire ici une référence claire à la perception et à la réalité tout en gardant, d’autre part, une certaine part de liberté et d’imaginaire sur ce qui peut être énoncé en lien avec le percept. Ainsi, le sujet est pris, dès la formulation de la consigne de l’épreuve, dans une forme de conflit qui met en opposition les limites assez strictes de la réalité perceptive (particulièrement pour les épreuves thématiques) et les limites assez souples de l’expression de l’imaginaire et du fantasme. Cette dialectique sur les modes

76 « L’objet transitionnel n’est pas pour autant à l’établissement de la réalité car il émerge en lien étroit avec la qualité de l’objet interne lui-même dépendant de l’objet externe.

77 C’est l’auteur qui souligne.

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subjectif/objectif, processus primaires/processus secondaires, imaginaire/réel (Rauch de Traubenberg & Boizou, 1977), projectif/perceptif implique d’emblée une forme de paradoxe qui devra être en partie acceptée et consentie par le Sujet pour qu’il puisse parvenir à la mise en scène psychique des représentations et des affects sur la base du médium que constitue l’épreuve projective de par ses caractéristiques de malléabilité (Milner, 1955 ; Roussillon, 1991). C’est alors à partir d’un matériel objectif plus ou moins précis selon les épreuves projectives (référant aux limites du principe de réalité) que le sujet aura la possibilité de faire émerger « son subjectif » (en lien avec le principe de plaisir).

Cette injonction paradoxale liée à la consigne peut certes provoquer des « interférences perceptives et projectives » (Rausch de Traubenberg, 1981, citée par Chabert, 1983) mais elle se doit d’être mise à l’épreuve et intégrée car elle rend compte « […] de la capacité du sujet à se laisser aller à une rêverie à partir d’une réalité perceptive, sans être ni désorganisé par cette activité associative, ni démesurément contraint par les impératifs de l’objectivité […] » (Brelet-Foulard & Chabert, 1990, p.33). Cette définition recouvre d’ailleurs très largement la notion de « fantaisie consciente induite » proposée par Shentoub au TAT (1990) pour qui le sujet doit ménager les registres fantasmatique et réel afin de mettre en avant des éléments idiosyncrasiques sur une base figurative. Le but ultime de cet aménagement ayant trait à la possibilité de transmissibilité, au clinicien, de manière lisible et à travers le langage, des représentations en lien avec le percept. Pour cette dernière notion de transmissibilité, Shentoub s’est en partie inspirée des travaux de Lagache (1958) et de ce qu’il nomme les capacités de dégagement et qui correspondrait pour Shentoub (Shentoub & Debray, 1969) à la possibilité de se dégager, de ne pas se laisser déborder par l’imaginaire et de maintenir un contrôle face aux sollicitations latentes et fantasmatiques des planches.

Ainsi, ce compromis, nécessaire et central au sein de la situation projective, est le résultat de la mise en tension du fantasme et de la réalité, de l’inconscient et du conscient, des sollicitations latentes et des sollicitations manifestes. Si compromis il y a, cela implique alors a minima un contrôle de la pression fantasmatique pour que puisse s’opérer un travail de liaison entre représentations et mots (à travers le langage) garantissant ainsi une lisibilité des récits à autrui grâce au maintien d’une pensée secondarisée.

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