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lu 35 que l’on peut généralement observer chez les locuteurs « ordinaires » d’une

2. Points de vue en linguistique sur les marques dites « d’hésitation » ou marques du travail de formulation « d’hésitation » ou marques du travail de formulation

2.2. Hypothèses directement prises en compte par la présente étude

2.2.1. La question du contexte

On peut désormais constater qu’à travers les trois études discutées, ayant consacré une part importante aux marques de TdF en français, émerge un nouveau paramètre qui, comme la durée, est considéré comme étant pertinent pour l’analyse : il s’agit du contexte des marques de TdF.

A la différence de la durée dont la définition ne pose aucun problème, le contexte est une notion bien moins consensuelle car derrière le principe de définition qui est commun (le contexte représente toujours l’environnement immédiat, suivant ou précédant le phénomène pris en compte) des différences importantes peuvent apparaître. Comment délimiter le contexte, comment sélectionner les unités pertinentes, à quel niveau, sur quel critère et comment les nommer ? Les réponses données par les trois études sont différentes. La définition du contexte des marques de TdF est le résultat d’un vrai choix méthodologique et théorique de la part de chaque auteur.

Ainsi, lorsque Guaïtella parle de l’influence du contexte sur les marques, elle choisit de sélectionner en tant que contexte deux types d’unités pertinentes, à savoir les séquences sonores et les pauses silencieuses. Les quatre cas de figure combinant ces deux unités formeront ainsi quatre contextes possibles. Les

hésitations vocales pourront être : 1. encadrées par des pauses, 2. par des

séquences sonores, 3. précédées par une séquence sonore et suivies par une pause, 4. précédées par une pause et suivies par une séquence sonore.

Lorsque Morel et Danon-Boileau parlent de l’influence du contexte ils sélectionnent comme unités pertinentes les constituants du paragraphe oral définis dans le cadre de leur modèle (ligateur, préambule, rhème, paragraphe) ainsi que la dichotomie mot outil / mot plein. Les contextes possibles seront donnés par la position de la marque étudiée à l’intérieur d’une de ces unités ou à la frontière de deux unités : après le ligateur, en début de préambule, à l’intérieur du préambule (plusieurs positions possibles), entre le préambule et le rhème, à l’intérieur du rhème, à la fin du rhème, en fin de paragraphe) et aussi, sur un autre plan, par la présence d’un MO ou d’un MP.

Pour rendre compte du contexte, Duez sélectionne comme unités pertinentes le

constituant syntaxique, la proposition et l’énoncé et définit ainsi quatre contextes

possibles: à l’intérieur d’un constituant, entre deux constituants, entre deux

propositions, entre deux énoncés. Cette sélection lui permet d’introduire une

sous-division qui regroupe d’un côté le premier contexte comme étant non

syntaxique (la position intra constituant) et d’un autre côté toutes les trois

positions restantes comme étant syntaxiques.

Il est évident que chacune de ces trois définitions très différentes du contexte présente ses avantages et ses désavantages — les choix ont été opérés en grande partie en fonction des objectifs de chaque étude et non en fonction de la pertinence absolue de ces définitions — et il est également évident qu’on peut envisager d’autres possibilités de définition du contexte ou des combinaisons d’éléments des trois définitions présentées, en fonction de l’objet d’étude et des buts poursuivis.

En ce qui nous concerne, la définition du contexte donnée par Guaïtella est particulièrement intéressante parce qu’elle met en avant le rôle fondamental de la présence ou de l’absence de la pause silencieuse dans le voisinage immédiat de la marque de TdF et elle avance des pourcentages de fréquence qui peuvent servir

de base de comparaison pour nos analyses. Néanmoins, il est évident que ses deux critères sont insuffisants pour rendre compte de la diversité des environnements possibles des hésitations vocales (pour une discussion des pourcentages de Guaïtella issus des critères qu’elle propose voir infra le chap. 6).

Les éléments sélectionnés par Morel et Danon-Boileau pour définir le contexte témoignent d’une position théorique presque diamétralement opposée par rapport à celle de Guaïtella : les marques de TdF sont toujours interprétées en termes coénonciatifs et leur valeur est donnée principalement par la position dans l’énoncé, alors que l’aspect phonétique n’est pas considéré comme pertinent. On note que pour définir la position à l’intérieur de l’énoncé les auteurs ont recours à une technique de découpage très fine qui, comme nous l’avons vu, permet d’isoler un nombre très élevé de cas de figure.

Le grand avantage de leur procédé est bien entendu la finesse de l’analyse. Le désavantage remarqué par A. Lacheret, lorsqu’elle passe en revue les différentes théories sur l’intonation permettant de segmenter les séquences sonores, est que ce procédé fonde tout le système d’étiquetage des unités sur le repérage premier de la fin de la macro-unité qu’est le paragraphe oral : cela oblige l’analyste à attendre parfois longtemps l’indice de fin de la macro-unité avant de pouvoir établir son découpage et s’éloigne ainsi beaucoup de tout mécanisme de perception naturelle ou automatique qui ne peut procéder que progressivement et à petits pas (cf. Lacheret-Dujour et Beaugendre, 1999, p.177)

C’est peut-être une des raisons pour laquelle les deux auteurs éprouvent le besoin d’affiner davantage leur notion de contexte en introduisant des informations sur le plan purement syntaxique pour déterminer la position de la marque étudiée par rapport aux syntagmes (précédée par un MO, début de syntagme, etc.). Ces informations sont plus locales et plus facilement exploitables.

De même, les deux auteurs évoquent brièvement la possibilité de la présence d’une pause silencieuse dans le contexte suivant immédiatement la marque de TdF comme étant un contexte particulier qui pourrait exiger un traitement différent ; ils font l’hypothèse que la pause silencieuse aurait comme rôle d’annuler ce qui a été commencé et d’indiquer « une reprise complète de la formulation » (Morel et Danon-Boileau, 1998, p.89). Cette hypothèse est cependant formulée sous toutes réserves et aucune indication de fréquence de cette combinaison dans les corpus dépouillés n’est avancée.

Par rapport à la définition du contexte dans les deux études très différentes évoquées précédemment, Duez se situe sur une position intermédiaire : étant donné que son analyse prend en compte un très grand nombre de paramètres (l’intensité, la durée, la variation de F0, le locuteur en tant qu’individu particulier, le type de situation, le pourcentage d’auditeurs qui perçoivent le phénomène) la définition du contexte ne pouvait pas être aussi complexe que celle de Morel et Danon-Boileau car les données risquaient de présenter une dispersion et une hétérogénéité impossibles à gérer. Néanmoins, sa définition du contexte est plus souple que celle de Guaïtella car plusieurs possibilités sont prises en compte. Le critère de base est syntaxique (position syntaxique / position non syntaxique) et concerne en fait plutôt la pause silencieuse que les marques de TdF. Cependant Duez affine ponctuellement la position intérieur de constituant en précisant parfois si les phénomènes étudiés se trouvent plutôt en début de syntagme ou non et utilise ponctuellement le critère de la présence /vs/ absence d’une marque de TdF dans le voisinage immédiat des pauses silencieuses, objet central de son étude. En ce qui nous concerne nous retenons en bloc la fréquence de la combinaison entre la pause silencieuse et les marques de TdF : à la différence de Guaïtella pour qui la pause silencieuse était un contexte pertinent pour les hésitations, pour Duez ce sont les hésitations qui sont un contexte pertinent pour la pause silencieuse. Nous essaierons de combiner les deux points de vue au chapitre consacré à la pause silencieuse.

Ce qui est intéressant dans l’approche de Duez pour notre propre étude est la prise en compte systématique de la position syntaxique de la pause à travers des critères très simples, car ce détail se révèle comme étant particulièrement pertinent pour la perception. Nous appliquerons ce critère au chapitre 4 consacré à la pause, malgré la difficulté de distinguer parfois inter constituants et inter

propositions.

Nous avons notamment retenu de l’étude de Duez le fait qu’elle relève, parmi ses 320 exemples de euh et d’allongement, un pourcentage très important d’associations avec la pause silencieuse et le fait que ces phénomènes ont des fréquences de distribution différentes selon le critère syntaxique / non syntaxique.

Malheureusement, le fait qu’elle ne prend en considération les marques de TdF qu’en tant que contexte possible de la pause silencieuse (cf. 1991, pp. 71-78) rend souvent difficile pour nous l’exploitation de ses données ; pour pouvoir le faire en partie nous avons été obligée de refaire les calculs et les pourcentages en regroupant complètement différemment ses données (voir à ce propos la comparaison des pourcentages recalculés de Duez en fonction des critères proposés par Guaïtella afin de permettre leur comparaison, chap. 6).

L’étude de Grosjean et Deschamps, déjà évoquée, nous fournit également un grand nombre de renseignements sur le contexte syntaxique des marques de TdF ainsi que sur certaines possibilités de combinaison de ces marques entre elles.

Un détail de grande importance pour notre étude, que nous n’avons pas retrouvé ailleurs et que nous nous proposons de vérifier à partir de nos données, est le pourcentage de syllabes allongées marques de TdF portant sur les MO (mots

grammaticaux) monosyllabiques : 88,75% de ces allongements relevés dans les

interviews radiophoniques et de 94,16% de ceux relevés dans les descriptions sont des MO. En revanche, les MP monosyllabiques portant un allongement marque de TdF représentent seulement entre 3% (interviews) et 3,65%

(descriptions) des allongements et les MP polysyllabiques entre 8,25% (interviews) et 2,19% (descriptions) (cf. Grosjean et Deschamps, 1972, p.153 et 1973, p.220).

Les auteurs ne donnent malheureusement pas les résultats obtenus pour la distribution des euh selon le même critère (suivant un MO /vs/ suivant un MP), la seule indication que nous ayons est le fait que 3,26% des euh se trouvent entre une préposition et un SN mais nous ne pouvons pas savoir s’il s’agit là du seul contexte où les euh suivent immédiatement un MO. Ce critère de la combinatoire avec les MP et les MO nous semble néanmoins particulièrement intéressant et nous allons l’exploiter dans notre étude.

La distribution des euh est en fait établie par Grosjean et Deschamps selon d’autres critères : les auteurs détaillent le type de syntagme qui précède ou qui suit le euh et sa position à l’intérieur d’un syntagme /vs/ entre deux syntagmes. Ainsi, le regroupement des pourcentages obtenus montre que 44,51% des euh se situent en fin de P, 16,5% se situent à l’intérieur d’une P mais entre deux syntagmes et 33% se situent à l’intérieur de P mais « au milieu du SN, du SV, entre une préposition et le SN suivant ou entre deux mots coordonnés ou apposés » (idem, 1972, pp.148-152).

Ce pourcentage met en valeur une tendance plus forte des euh à apparaître à l’intérieur de P plutôt qu’en fin de P par rapport aux pauses silencieuses qui sont plus fréquentes en fin de P (la tendance se confirme et s’accentue dans le corpus de 1973). Ces données ne permettent malheureusement pas d’établir une comparaison avec les allongements vocaliques de MO en raison, comme nous l’avons vu, de la divergence des critères utilisés.