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lu 35 que l’on peut généralement observer chez les locuteurs « ordinaires » d’une

4. La pause silencieuse et le travail de formulation

4.2. Pauses silencieuses structurantes

4.2.5. Pauses silencieuses structurantes en position intra constituant

Contrairement au corpus étudié par Duez qui contenait de nombreux exemples de pauses intra constituant (l’auteur étudie l’importance de l’effet stylistique de ces p.sil. et leur distribution en fonction de la position symbolique du locuteur et du type de discours), notre corpus en contient très peu. Ces exemples étant particulièrement intéressants nous avons souhaité les isoler en intégralité afin d’en donner un aperçu complet.

Après l’étude de la totalité du corpus, nous avons dénombré uniquement 20 exemples de telles p.sil., ce qui est extrêmement peu pour les 934 p.sil. structurantes. Nous les énumérerons ci-après, en établissant un classement en fonction de leur rôle et de leur position syntaxique précise.

a) Une première catégorie d’exemples regroupe pratiquement la moitié des occurrences de p.sil. intra constituant (9 exemples sur les 20) : il s’agit de pauses silencieuses précèdant un rajout qui n’était pas programmé par le locuteur avant le début de la production de la pause. Ces pauses silencieuses ne semblent pas avoir un rôle stylistique contrôlé par le locuteur, car l’unité subséquente ne fait l’objet d’aucune mise en valeur prosodique particulière, d’aucune sorte de « proéminence » ressemblant à ce que décrit Duez (1991, p. 86) pour les pauses

intra constituant à « fonction stylistique évidente » (idem, p. 85).

Nous transcrivons ci-dessous la liste des neuf exemples de ce type (relevés dans la totalité du corpus) :

10. elle commence par le gros bolÊ /20/ du papaÊ /50/ mais: euh :: c’est trop grosÊ

(Boucle, lignes 27-28)

11. il vitÊ un arbreÌ /65/ d’une espèce inconnue :Ê euh où il y avait des fleurs

bleuesÌ /150/ (Tchao, lignes 90-91)

12. une maisonÊ euh:: de luxe /20/ avec euh /55/ tous les nouveaux moyensÌ /20/

techniquesÌ /70/ (Tchao, lignes 96-98)

13. il vitÊ un: un liÊvingÌ /150/ très beauÌ /200/ et une maisonÊ euh comme il

avait jamaisÊ eue (Tchao-mat, lignes 157-158)

14. c’est un corDOnnierÊ qui :: n’a plus assez d’argentÊ euhÌ pour faire euh : ses

chaussures et toutÊ /30/ en cuirÌ /50/ (Cordonnier, lignes 186-187)

15. sa fille était grandeÊ /30/ avec de longs cheveux : /50/ blondsÊ brillantsÌ /30/ et

de très grands yeux bleus :Ì /260 (bruit)/ (Nain, lignes 281-282)

16. prends un toNNEAU :Ê /30/ remplis-le :Ê commentÌ de laineÊ /25/ de

moutonÊ /50/ (Agneau, lignes 543-544)

17. petit tonneau : /30/ as-tu vuÊ un agneauÊ /20/ bien rondÊ et bien grasÊ /90/ le

petit agneauÊ dans le : tonneauÊ lui ditÌ /35/ (Agneau, lignes 552-553)

18. petit tonneau :Ì /20/ as-tu vuÊ un petit agneauÊ /105/ BIENÊÌ grosÊÌ bien

grasÊ que je veux : que : /20/ que je vais manger :Ê /25/ (Agneau-mat, lignes

638-639)

Du point de vue syntaxique, tous ces 9 exemples contiennent une pause silencieuse entre le nom et son expansion (que ce soit une expansion de type simple adjectif épithète — exemples 12, 13, 15, 18 et 18— ou de type complément du nom — exemples 10, 11, 14 et 16), c’est ce qui a justifié le classement dans la catégorie intra constituant.

Par contre, du point de vue prosodique, le contour intonatif et la présence de la pause silencieuse font que le nom et son expansion sont organisés par le locuteur comme deux constituants indépendants. En effet, nous avons remarqué que tous les noms précédant la p.sil. qui nous intéresse portent un contour intonatif de frontière soit descendant, de frontière finale — les exemples 11, 12, 13 produits par le même locuteur — soit montant, de frontière continuative pour les autres exemples. Il existe une seule exception (ex. 15) où le contour du nom cheveux précédant la pause est allongé et très légèrement montant (la montée n’est pas

visible sur le tracé mélodique mais est perceptible à l’oreille ; on perçoit une intonation continuative). Autrement dit, au plan suprasegmental, aucun indice ne marque l’inachèvement du constituant précédant la pause ; cette remarque concorde en outre avec le plan segmental car les énoncés sont parfaitement possibles et acceptables si l’on supprimait toutes les expansions du nom. Nous pensons par conséquent pouvoir affirmer qu’aucune attente n’est créée chez l’auditeur par la p.sil. subséquente au nom, le constituant prosodique est perçu comme étant complet, et la production d’une expansion du nom après la pause silencieuse est perçue comme un rajout et non pas comme une mise en valeur stylistique de cette expansion. D’autre part aucune mise en relief particulière n’est décelable sur l’initiale de l’expansion du nom, ce qui renforce, chez l’auditeur, l’impression de « rajout imprévu ». La seule exception à ce propos serait l’exemple 18 où nous constatons un pic d’intensité sur l’adverbe de degré et une forte modulation sur l’adverbe et l’adjectif (BIENÊÌ grosÊÌ). Néanmoins, en observant le contour intonatif du nom (agneau) nous notons qu’il porte une intonation typique de question totale, avec une durée très brève de la dernière syllabe. De plus, la pause silencieuse remarquablement longue qui suit (105cs) opère une réelle clôture de la question. Ainsi, malgré la proéminence initiale de l’expansion du nom, celle-ci est perçue comme le rajout d’un détail initialement oublié plutôt que comme une utilisation habile du suspense stylistique.

Pour ce qui est de la durée de ces p.sil., nous avons remarqué que cinq d’entre elles sont brèves (inférieures à 40 cs) et les quatre autres sont plutôt longues (pouvant aller jusqu'à 150cs, dans l’exemple 13). La variabilité des données est donc énorme et il est impossible de tirer une conclusion à partir d’un nombre si petit de données.

b) Une deuxième catégorie d’exemples (4 occurrences) regroupe des p.sil. intra

constituant marquant le TdF du locuteur. Ces configurations sont extrêmement

qui ne sont pas immédiatement précédées par une marque de TdF seraient des pauses structurantes. Les quatre exemples suivants montrent que parfois, (très exceptionnellement, pour le moins dans notre corpus) il arrive que des p.sil. qui ne sont précédées par aucune marque de TdF ne soient pas des p.sil. structurantes qui contriburaient à la hiérarchisation ou à la mise en valeur stylistique des constituants, mais correspondent à une recherche de formulation du locuteur :

19. alors euh : est-ce que ::Ì la bagueÊ que je /40/ porte au doigtÊ te suffira :Ê àÌ

euh : /90/ te suffira :Ê /50/ (Nain, lignes 339-340)

20. euh :: tché chez TchaoÊ /60/ avecÊ euh:: les restes du paonÊ dans un /20/

morceau d’étoffeÌ /65/ (Tchao, lignes 87-88)

21. alorsÊ il dessine la maisonÊ sur euh: son /20/ dessinÊ /105/ (Tchao, lignes

95-96)

22. elle lui dit je vais /60/ essayer <xx> /40/ ta maman /40/ lui expliquerÌ /70/ et tu

resÊterasÌ chez moiÌ /70/ (Agneau-mat, lignes 609-610)

Ces pauses silencieuses sont plutôt brèves (deux durent 20cs, une dure 40cs et la dernière 60cs) et apparaissent entre un MO et un MP, à savoir entre le déterminant et le nom (ex. 20 et 21), entre le pronom atone et le verbe (ex. 19) et entre l’auxiliaire et le verbe (ex. 22). Indépendamment du plan prosodique, la structure syntaxique de la séquence qui précède cette catégorie de p.sil. est inachevée, le constituant subséquent à la pause n’est pas facultatif, il est par conséquent attendu par l’auditeur. Sur le plan prosodique aucune marque de suspense, aucun allongement particulier ne précède cette p.sil. et on en constate pas de contour intonatif de frontière continuatif ou terminatif. De même, aucune sorte de proéminence ne met en valeur le début du MP qui suit la p.sil. Contrairement au cas de figure présenté plus haut, l’unité qui précède la p.sil. et l’unité qui la suit forment bien, dans ces exemples, un seul constituant non seulement sur le plan segmental mais aussi sur le plan prosodique.

c) La dernière catégorie d’exemples regroupe les seules occurrences de p.sil.

nous ayons relevées dans notre corpus (7 exemples). Parmi ces sept exemples, cinq ont été produits par l’enseignante et deux seulement ont été produits par la locutrice de Agneau.

Il est relativement facile à comprendre pourquoi l’enseignante, qui a un temps de parole relativement limité dans notre corpus, produit plusieurs p.sil. intra

constituant à fonction purement stylistique : même si elle donne explicitement la

parole aux élèves et elle leur réserve le rôle principal dans l’échange pendant qu’ils racontent l’histoire de leur choix, elle reprend sa position dominante dès qu’elle prend la parole pour interrompre le cours du récit. De plus, elle incite régulièrement les élèves à mieux mettre en scène leurs histoires, à « varier leur voix », à « mettre davantage le ton », à « mettre du suspense » et il est normal qu’elle donne l’exemple notamment par une stylisation particulière de son discours (changements de timbre, pauses silencieuses particulièrement longues, grands pics d’intensité, etc.) qui ne fait, d’ailleurs, qu’enrichir et compléter la stylisation remarquable de son discours didactique habituel.

Il est en revanche plus difficile de comprendre pourquoi nous ne trouvons pratiquement pas d’exemples de telles p.sil. à fonction stylistique chez les élèves, notamment pendant les parties de récit où ils prennent en charge la « voix » des différents personnages. Nous ne pouvons pas savoir, par exemple, si cette absence d’exemples est le signe que les élèves ne connaissent pas encore l’utilisation des p.sil. intra constituant à fonction stylistique ou bien si elle est le signe que la situation de discours n’était pas suffisamment favorable à l’émergence de ce type de p.sil. Il est fort possible en outre que la réponse soit différente en fonction du locuteur (compte tenu des deux exemples relevés chez la locutrice de Agneau et de toute l’organisation prosodique de son discours nous pensons pouvoir affirmer avec certitude que cette locutrice connaît l’utilisation stylistique de ce type de pauses). Quant aux autres locuteurs, nous ne pouvons guère formuler d’hypothèses à ce sujet. En effet, certains sont visiblement mal à l’aise dans le rôle de conteurs et s’acquittent péniblement de ce devoir, comme

les locuteurs de Cordonnier et de Roigre ou la locutrice de Singe, ce qui nous incite à penser que, pour eux, la situation de discours créée n’était absolument pas favorable à un effort particulier de « stylisation ». D’autres, comme les locutrices de Nain et de Père fils, sont manifestement plus à l’aise mais adoptent un débit rapide et répugnent à utiliser le discours direct pour « animer » leurs personnages, ce qui rend hautement improbable l’apparition des p.sil. intra

constituant. D’autres enfin, comme les locutrices de Boucle et de Autruche-mat

ou le locuteur de Tchao et Tchao-mat, fournissent de toute évidence un effort de stylisation remarquable et dans ce cas on peut se poser sérieusement la question de savoir si l’absence totale de p.sil. intra constituant à fonction stylistique est due à leur ignorance de ce procédé ou à leur peur de se faire interrompre par l’enseignante ou encore au stress lié au rôle de « conteur » devant les enfants de maternelle... Autrement dit, s’il est certain qu’un corpus enregistré en situation de conversation (dialogue) auprès des mêmes élèves aurait rendu totalement impossible l’apparition de p.sil. à fonction purement stylistique, il n’est pas du tout certain que la situation d’enregistrement de notre corpus ait été idéale pour encourager les locuteurs à exploiter toutes leurs possibilités en matière de stylisation de la parole. Pour les locuteurs de Boucle, Autruche et Tchao, l’utilisation fréquente des p.sil. inter constituants fait partie de leur stratégie consciente de mise en scène prosodique ; il est donc probable que, pour le moins dans leur cas, une situation plus favorable auraient pu faire émerger des p.sil.

intra constituant (par exemple s’ils racontaient plus régulièrement des histoires

aux enfants de maternelle, éventuellement en l’absence de leur professeur de français, etc.)

Nous avons transcrit ci-dessous les sept exemples relevés dans l’intégralité du corpus :

23. tu vasÊ chez ta grand-mèreÊ /70/ là :Ê tu deviendras /25/ bienÊÌ gros et bien

grasÌ /45/ (Agneau-mat, lignes 602-603)

24. ET UN jourÊ /25/ il euh : s’enfonça plus dans les boisÊ /90/ et il trouva :Ê /150/ un loup /100/ (Agneau, lignes 473-474)

25. est-ce que tu les as fait parlerÊ DIÊrectement /115/ non : tu les as fait parlerÊ

/70/ sous le style indirect (Prof, Nain, lignes 265-266)

26. tu ne les as pas fait parlerÊ /40/ DIrectement /90/ alors pourQUOIÊ je pose cette question /120/ (Prof, Nain, lignes 266-267)

27. et il a enchaîné surÊ doncÊ sur une fois est-ce qu’on pouÊrraitÌ pas là : /55/

mieuxÊÌ marquerÊ cette étape du récitÌ (Prof, Roigre, lignes 865-866)

28. et làÊ il faut qu’on /20/ s :enteÊ bienÌ /30/ dans ton récitÊ ces étapes importantes de l’histoire /40/ (Prof, Roi-gren, lignes 872-873)

29. conVAINcre le : renardÊ de lui laisser la vie sauve pour le moment parce que

plus tard il mangera : /45/ *quelque chose de <plus, x> appétissant*15 (Prof,

Agneau, lignes 497-499)

A l’instar des contextes précédant une p.sil. accompagnant la recherche de formulation du locuteur (ex. 19-22, catégorie b.), les contextes précédant ces p.sil. sont également syntaxiquement inachevés. En effet, au plan segmental, aucun des énoncés n’aurait été acceptable si le locuteur s’était arrêté après la p.sil. : on retrouve par exemple le pronom atone suivi du verbe (ex. 28), comme dans l’ex. 19 supra. Par conséquent, l’observation des constructions syntaxiques montre que l’auditeur attend obligatoirement la suite du constituant, après la pause silencieuse. Néanmoins, à la différence des exemples de la deuxième catégorie (ex. 19-22), les indices prosodiques montrent que le locuteur maîtrise parfaitement cette attente, l’attente fait partie de la mise en scène prosodique de son énoncé :

• pour les exemples 24, 25 et 26 l’unité laissée en suspens avant la p.sil. est marquée par une intonation de frontière. Contrairement aux ex. 10-18 de la première catégorie, qui étaient parfaitement acceptables sans l’expansion du nom, cette intonation de frontière est surprenante pour l’auditeur et attire obligatoirement son attention à cause de l’inachèvement syntaxique. De même, pour les exemples 27 et 29 l’unité précédant la pause est marquée par

15 Séquence prononcée en voix chuchotée et enjouée, comme pour imiter l’appétit du loup qui pense à son futur repas.

un allongement censé annoncer, lui aussi, l’importance de la suite attendue du constituant ;

• pour les exemples 23, 25, 26, 27 et 28 c’est l’unité subséquente, mise en relief par la pause, qui est marquée prosodiquement par ce que Duez appelle une « proéminence » : on constate la présence d’un pic d’intensité sur l’initiale, ou bien d’une modulation très forte du contour intonatif ;

• pour l’exemple 29 c’est le changement de timbre de la voix qui montre clairement qu’il ne peut s’agir d’une recherche de formulation mais bien d’une utilisation stylistique de la pause intra constituant.

En ce qui concerne la durée des p.sil. entrant dans ce type de configuration, nous pouvons constater que les durées varient beaucoup (de 20cs dans l’exemple 28, à 150cs dans l’exemple 11) et il est difficile, une fois de plus, de tenter de construire des hypothèses à partir d’un si petit nombre de données. Si l’on se rapporte aux données de Duez (1991, pp. 81-83) nous constatons qu’elle relève des durées en moyenne plus brèves pour les p.sil. intra constituant par rapport aux autres positions prises en compte, quel que soit le type de discours. Néanmoins nous ne disposons pas du nombre d’occurrences relevées dans son corpus et nous savons par ailleurs qu’elle regroupe, dans ses calculs, toutes les p.sil. intra constituant, même celles qui sont précédées par une marque de TdF et qui n’ont aucune fonction stylistique, ce que nous ne faisons pas16. Cette différence rend pratiquement impossible toute comparaison sur ce point précis.

16 Duez mentionne clairement les deux rôles possibles de la pause silencieuse placée intra constituant (marquer l’hésitation ou mettre en valeur l’unité qui suit, 1991, p.85) mais ne distingue pas dans ses comptages les deux cas de figure. Elle souligne néanmoins le rôle essentiel de la situation de communication en affirmant, à la même page, que dans les discours politiques les p.sil. intra constituant ont une « fonction stylistique évidente » alors que dans les interviews (amicales ou politiques) elles correspondent le plus souvent à des hésitations et sont souvent accompagnées par une pause non silencieuse. En ce qui nous concerne, en ayant fait le choix de distinguer les deux catégories sur la base d’un critère formel nous obtenons d’un côté les p.sil. précédées par une marque de TdF qui n’auront jamais une « fonction stylistique évidente » et d’un autre côté les p.sil. non précédées par une marque de TdF qui participeront à la hiérarchisation des constituants ou à la mise en valeur stylistique d’une partie de constituant mais qui ne seront jamais considérées comme des marques de TdF. Lors de l’application de ce critère nous avons constaté la présence de seulement 4 exceptions —à la deuxième règle— dans notre corpus, ce qui nous incite à penser que le critère utilisé est opérationnel.