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lu 35 que l’on peut généralement observer chez les locuteurs « ordinaires » d’une

4. La pause silencieuse et le travail de formulation

4.2. Pauses silencieuses structurantes

4.2.4. Position des pauses structurantes

Comme nous l’avons déjà dit supra il existe plusieurs études qui montrent une corrélation entre la position syntaxique dans une phrase et la durée de la pause silencieuse qui marque cette position : plus la frontière est importante, plus la pause silencieuse est longue. Cela é été mis en évidence pour l’anglais par Goldman-Eisler (1972) ; Grosjean (1980) propose un modèle prédictif pour la performance, en français. Par ailleurs, ce principe est actuellement utilisé en synthèse de la parole à partir de textes écrits et a été mis en évidence pour la lecture oralisée (voir par exemple Vannier, Lacheret et Vergne, 1999 qui distinguent trois catégories de positions — 1. intérieur de phrase, 2. entre deux

phrases et 3. entre deux paragraphes — et obtiennent des moyennes de la durée

Avant cela, en 1991, Duez avait déjà mis en évidence cette même hiérarchie des durées sur les différents corpus de parole d’hommes politiques ; elle avait utilisé quatre catégories de positions possibles — intra constituant, inter constituants,

fin proposition, fin énoncé (1991, pp. 81-87) — qui ressemblent à celles utilisées

récemment par Vannier et alii 1999 mais qui ne coïncident pas (Vannier et alii se sont basés sur des unités de texte écrit, ce qui fait notamment que la position

intra constituant de Duez n’existe pas pour eux, la position fin de proposition de

Duez peut correspondre, pour eux, à une position intérieur de phrase ou entre

deux phrases, etc...).

Etant donné que les catégories utilisées ne se recoupent pas, il est impossible de comparer, de manière appariée, les durées obtenues par les uns ou par les autres. Nous pouvons simplement remarquer que, quels que soient les critères détaillés utilisés, les résultats concordent quant à la corrélation positive entre la hiérarchie des durées des pauses et la hiérarchie des frontières syntaxiques. En ce qui nous concerne, il est évident que nous ne pouvions pas utiliser les catégories de Vannier et alii sur un corpus d’oral ; ainsi avons-nous décidé d’adopter celles de Duez afin d’effectuer un test destiné à vérifier la hiérarchie des durées des pauses structurantes sur un échantillon de notre corpus.

En l’absence d’une définition précise chez Duez des notions d’énoncé et de

proposition à l’oral, nous avons dû effectuer certains choix dans le classement

des différentes frontières syntaxiques rencontrées :

• pour délimiter les énoncés nous nous sommes basée sur la notion de paragraphe oral12 définie par Morel et Danon-Boileau (notamment 1998) ; la

12 La notion de paragraphe oral ne recoupe pas obligatoirement celle d’énoncé, car dans la terminologie des deux auteurs un paragraphe peut contenir plusieurs énoncés ; l’utilisation de l’équivalence paragraphe ~ énoncé que nous faisons ici se justifie par un souci d’ordre purement pratique. La notion d’énoncé chez Morel et Danon-Boileau recouperait en partie celle de fin de proposition chez Duez, mais les auteurs attirent l’attention sur la difficulté de manipuler la notion d’énoncé dans un corpus oral non lu et préfèrent ne pas s’en servir pour segmenter les corpus ; si nous appliquions la définition de l’énoncé donnée par chaque auteur, la comparaison des données serait purement impossible en raison des différences de terminologie.

plupart des paragraphes oraux commencent par un nouveau ligateur, toute pause silencieuse placée avant le début d’un nouveau paragraphe a été étiquetée fin d’énoncé ;

• les pauses silencieuses situées entre les tours de parole de deux locuteurs différents n’ont pas été prises en considération, pour des raisons déjà exposées (supra) ;

• la catégorie fin de proposition a été réservée uniquement pour les propositions indépendantes, coordonnées ou juxtaposées ; pour les frontières situées entre une proposition et sa subordonnée (complétive, relative ou circonstancielle) nous avons utilisé la catégorie inter constituants, car il ne nous semblait pas justifié de sur-spécifier deux catégories en fonction de la présence d’un verbe conjugué ou non dans le constituant ;

• nous avons hésité sur le statut à donner aux pauses situées entre un nom et son expansion ; grâce à un exemple donné par Duez 1991 (p.85) nous avons déduit qu’elle avait étiqueté cette frontière comme étant intra constituant et nous avons par conséquent décidé d’en faire autant ; néanmoins, dans le cas des relatives intonées manifestement comme des appositions, nous avons conservé l’étiquette inter constituants.

Nous avons appliqué ces critères d’étiquetage sur les pauses structurantes de quatre de nos échantillons (Boucle, Tchao, Poule et Agneau) et nous avons obtenu les données suivantes :

Type frontière N° d’occ. Durée moy. (cs) Ecart-type

1. Intra constituant 9 - -

2. Inter constituants 52 48,6 26,5

3. Fin proposition 74 60,8 31,1

4. Fin énoncé 138 88,1 44,4

Tableau des p.sil. structurantes en fonction de leur distribution syntaxique (données issues de quatre échantillons de notre corpus)

La position intra constituant était très faiblement représentée dans ces quatre échantillons et nous ne pouvions pas exploiter ces données pour des tests

statistiques ; nous y reviendrons. Par contre, pour les trois autres positions, nous pouvons tout de suite remarquer que la hiérarchie des durées est la même que chez Duez, plus la frontière syntaxique est forte, plus les durées sont longues en moyenne.

Nous avons comparé nos données avec celles issues des interviews politiques et des interviews amicales13 (Duez, 1991, pp. 82-83) du point de vue de la différence constatée entre les moyennes des p.sil. situées inter constituants et celles situées en fin de proposition : cette différence était de 2cs pour les int.

politiques, de 7cs pour les int. amicales et elle est de 12cs dans notre corpus. Par

contre, entre les moyennes des p.sil. en fin de proposition et en fin d’énoncé la différence chez Duez est de 51cs, respectivement 28cs et chez nous elle est de

27,3cs. Autrement dit, dans les données de Duez tout comme dans les nôtres, il

apparaît que la différence de durée constatée entre la deuxième et la troisième catégorie est bien inférieure à celle que l’on constate entre la troisième et la quatrième catégorie. Duez (1991) ne donne pas la significativité de ses résultats (elle donne uniquement la variance des durées à l’intérieur de chaque catégorie).

En ce qui nous concerne, nous avons d’abord appliqué le test de Kruskal-Wallis sur les durées (en cs) afin de vérifier qu’il existait bien un effet significatif de la position sur la durée des pauses. Le résultat a été positif, H = 48,6, p<0,0001. Pour ce test, il n’existe pas de tests post hoc qui nous renseignent sur les paires de groupes significativement différents. Pour obtenir des éléments de réponse plus précis, nous avons suivi dans ce cas la procédure décrite par Wonnacott et Wonnacott, (1991, ch.16) qui consiste à appliquer une analyse de variance à un facteur sur des données non paramétriques rangées (converties en rangs)14. Le but de l’analyse était le même, l’avantage étant la possibilité d’application de tests post hoc précis. L’ANOVA à un facteur appliquée sur les données

13 Les discours politiques étant un genre trop particulier, nous préférons ne pas comparer nos données avec celles issues de ce type de discours.

converties en rangs a donné le même résultat quant à l’existence d’un effet significatif global de la position (F = 29,58, p<0,0001). Les tests post hoc appliqués (Scheffé, Games-Howell) indiquent que l’effet est surtout significatif entre le groupe fin d’énoncé et chacun des deux autres groupes, mais n’est pas significatif entre les groupes inter constituants et fin de proposition.

Nous ne pouvions pas, bien entendu, appliquer cette procédure sur les données de Duez, mais compte tenu des variances qu’elle donne et des écarts entre les moyennes, nous avons de fortes raisons de supposer que le résultat serait le même. Cette conclusion n’est pas surprenante étant donné l’organisation prosodique de l’oral : la distinction purement syntaxique fin de constituant /vs/

fin de proposition ne semble pas être pertinente, la structure énonciative de l’oral

peut placer facilement sur le même plan de la « hiérarchie » des constituants syntaxiquement différents, indépendamment du fait qu’ils contiennent ou non un verbe conjugué.

Nous avons représenté ci-dessous la courbe des interactions des durées moyennes réelles (en cs) des pauses structurantes de ces échantillons placées dans les trois types de positions définies plus haut :

40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 M o y . des dur ées ( c s )

inter-c inter-pr inter-prph Plac e

C o u r b e d e s in te r actio n s p o u r Du r é e (cs ) Effe t : Place . Er r e u r s tan d ar d affich é e

Durées moyennes des p.sil. structurantes placées inter constituants (inter-c), en fin de proposition (inter-pr) et en fin d’énoncé (inter-prph) ; obtenues à partir de 264 occ.

Si nos résultats obtenus pour les trois catégories de positions étudiées ci-dessus semblent corroborer tout à fait les résultats de Duez, en revanche, en ce qui

concerne la première catégorie de p.sil structurantes (en position intra

constituant), le nombre insuffisant d’occurrences relevées dans les quatre

échantillons considérés nous interdisait tout calcul et toute conclusion quant à leurs durées et à leurs caractéristiques. Pour cette raison, nous avons étendu l’étude de cette catégorie à l’ensemble de notre corpus.