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lu 35 que l’on peut généralement observer chez les locuteurs « ordinaires » d’une

2. Points de vue en linguistique sur les marques dites « d’hésitation » ou marques du travail de formulation « d’hésitation » ou marques du travail de formulation

2.1. Repères chronologiques et quelques exemples significatifs

2.1.5. L’étude de François Grosjean et Alain Deschamps (Univ. Paris VIII)

La toute première véritable étude consacrée au français portant sur les variables temporelles de cette langue et accordant une place importante aux phénomènes dits d’hésitation remonte en fait à 1972 et appartient à F. Grosjean et A. Deschamps. En se concentrant sur l’organisation temporelle du français, sans vouloir décrire le système d’organisation suprasegmentale de cette langue dans son ensemble, Grosjean et Deschamps se proposent non seulement de pallier l’inexistence de travaux dans ce domaine sur le français mais également d’établir une comparaison avec les résultats obtenus sur l’anglais qui, à l’époque, avait déjà fait l’objet d’un certain nombre d’études.

Trois articles (Grosjean et Deschamps) parus dans la revue Phonetica en 1972, 1973 et 1975 rendent compte de leur méthode et des résultats obtenus au fur et à

mesure au cours de cette étude de grande envergure. Ces articles ont eu un impact considérable par la suite dans le domaine français tant pour la méthode utilisée que pour leurs résultats. A l’heure actuelle, ils continuent à être très régulièrement cités par tous les linguistes qui étudient l’organisation temporelle du français et les pauses ; leur méthode de calcul continue à être utilisée (avec parfois de légères modifications) et leurs résultats font toujours référence et constituent parfois le point de départ de certaines études actuelles. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons nous arrêter un moment sur la présentation de cette étude.

Le corpus de départ de Grosjean et Deschamps est constitué de 30 interviews en français non lu enregistrées à la radio (1972). A partir de ces corpus, les auteurs se proposent de :

« dégager les données concernant les variables temporelles du français en étudiant, (a) pour chacune des variables, la distribution des valeurs, la tendance centrale, la tendance de dispersion, la corrélation avec les autres variables et (b) pour les différentes catégories de pauses, la distribution syntaxique ainsi que l’importance [...] des différents emplacements de pause. » (Grosjean et Deschamps, 1972, p.130)

En 1973, les auteurs ajoutent un nouveau corpus de 20 enregistrements recueillis dans une situation considérée comme étant plus contraignante pour les locuteurs car leur tâche était de décrire des dessins humoristiques. Cela leur permet d’aborder également la variation des paramètres étudiés en fonction de la situation extralinguistique (la difficulté de la tâche). Toutes ces données, regroupées par type de corpus, sont par la suite comparées avec des données similaires sur l’anglais de Goldman-Eisler 1968.

Les principales variables étudiées10 sont principalement la vitesse de parole, le rapport temps d’articulation / temps de locution, le temps total de pause, le

10 La marge d’erreur des mesures de la durée est de 2cs ; le seuil minimum fixe choisi pour les pauses silencieuses est de 25cs ; les tests de signification utilisés sont toujours indiqués.

nombre de pauses silencieuses et leur durée, les variables dites « secondaires » (les répétitions, les pauses sonores11 et les faux-départs). Ces variables ont été pratiquement intégralement adoptées par Duez (1991, voir infra) dans son étude sur la pause, à ceci près que Duez inclut les euh dans le temps total de pause alors que Grosjean et Deschamps les incluent dans le temps de locution.

Nous présenterons dans le sous-chapitre 2.2. les résultats obtenus par Grosjean et Deschamps qui ont influencé nos propres hypothèses ou ont fait partie des points de départ dans cette étude.

2.1.6. L’étude d’Isabelle Guaïtella (Univ. de Provence)

Toujours concernant le français, sans proposer un modèle global de description de l’intonation comme Rossi ou Morel et Danon-Boileau, I. Guaïtella (1991 a et b) s’est intéressée à l’organisation rythmique de la parole et a effectué, sur un corpus néanmoins restreint, une description détaillée des caractéristiques micro-prosodiques de ce qu’elle appelle les hésitations vocales (à savoir le euh et l’allongement vocalique) qui nous a été d’une grande utilité pour notre étude.

Guaïtella aborde directement le besoin « d’affronter les hésitations » lors de toute tentative de reconnaissance automatique de la parole spontanée. Elle choisit comme critère, pour repérer les hésitations vocales, de retenir

tous les « cas où, sur une même ‘syllabe’, se manifeste un allongement de durée,

sans qu’il y ait modification du contour de F0 » (Guaïtella, 1991b, p.114).

Ce critère laisse ouverte la question de la hauteur relative ou absolue de F0, ce qui fait que les marques ainsi repérées peuvent correspondre à des marques de TdF mais aussi à d’autres unités allongées. La notion de durée est centrale pour Guaïtella, mais elle doit impérativement être complétée par une observation du comportement de F0 car ce paramètre a « un rôle primordial [...] pour la

perception de l’accent » (idem, p. 127); c’est d’abord la durée qui est repérée et ensuite, s’il y a « décrochage » de F0 (ou « changement de trajectoire de F0 »), le phénomène est étiqueté comme correspondant obligatoirement à une syllabe accentuée, sinon le phénomène est retenu comme pouvant correspondre à une hésitation.

Guaïtella retient uniquement les hésitations vocales comme marques repérables automatiquement car les autres marques orales — comme notamment les répétitions, les pauses silencieuses, les bruits de bouche divers et les marques vocaliques brèves insérées dans la parole — peuvent avoir, selon elle, d’autres fonctions, tandis que les hésitations vocales ou sonores indiquent exclusivement « l’activité de planification du locuteur » et le « maintien de la parole pour le locuteur » (idem, p.114). Il est intéressant de noter que, à la différence de Duez (voir infra), Guaïtella semble utiliser la planification des unités et la

conceptualisation des unités comme des expressions synonymes : on a relevé, à

la page 125 du même article, une affirmation selon laquelle l’hésitation permet de garder la parole « pendant une période de temps que le locuteur réserve uniquement à la conceptualisation12 » alors qu’à la page 114 elle parlait de

planification.

En conclusion, se fondant sur ses propres mesures et sur d’autres études, Guaïtella suggère l’existence de trois catégories d’unités bien distinctes en parole spontanée repérables principalement à l’aide de la durée mais également à l’aide des caractéristiques de F0 :

« Il semble que l’on puisse décrire ce phénomène comme la coexistence de trois zones de durées segmentales différentes: la zone temporelle des durées syllabiques, celle des durées d’hésitation, et celle des durées de pauses, l’ensemble de ces durées catégorielles étant toujours relativisables contextuellement ». (idem, p.124).

L’auteur présente une série de données et d’hypothèses concernant les durées, les caractéristiques de la courbe intonative des marques étudiées et leur « contexte d’apparition » ainsi que les corrélations envisageables entre ces différents aspects, hypothèses que nous reprendrons dans le sous-chapitre 2.2.