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lu 35 que l’on peut généralement observer chez les locuteurs « ordinaires » d’une

2. Points de vue en linguistique sur les marques dites « d’hésitation » ou marques du travail de formulation « d’hésitation » ou marques du travail de formulation

2.1. Repères chronologiques et quelques exemples significatifs

2.1.8. Autres études sur le français

Les phénomènes qui constituent notre objet d’étude principal sont omniprésents dans pratiquement tout corpus de parole non lue. Il est bien évident que d’autres chercheurs ont été confrontés à la présence de ces phénomènes en français et que, même sans s’y intéresser directement ou sans en faire leur objet d’étude

principal, certains ont été amenés soit à les décrire brièvement, soit à les caractériser ou tenter d’en rendre compte d’une manière ou d’une autre dans le cadre de leurs analyses.

Tel est le cas par exemple de Z. Fagyal (1995) qui a étudié les variations de style dans la parole de Marguerite Duras et qui a été amenée à prendre en compte, dans les variables secondaires de la parole, les marques de TdF. Le modèle qu’elle a choisi d’utiliser est celui de Duez (1991) — même terminologie et mêmes critères syntaxiques. Les résultats qu’elle obtient concernant notamment la durée des marques de TdF chez M. Duras sont très originaux. Elle montre notamment à quel point cette locutrice était capable de contrôler les variables temporelles de sa parole pour obtenir des effets stylistiques particuliers. Fagyal compare les résultats obtenus non seulement en fonction du type de discours mais également en fonction de l’âge de M. Duras.

Toujours dans le cadre d’une étude sur un corpus oral (interview radiophonique, 30 minutes, deux locuteurs) portant sur les variables temporelles et mélodiques en français, Ko (1996) se retrouve également confrontée à une fréquence non négligeable de différentes marques de TdF. Elle les étudie notamment du point de vue de la rupture de rythme qu’elles provoquent et de la position de cette rupture dans l’énoncé en cours. Elle remarque incidemment dans son étude que les marques allongées (euh ou allongements) sont plus longues en début d’énoncé, sans qu’elle fournisse de statistiques précises de son corpus à ce propos. Ko note également une variation importante de la durée des hésitations qui se succèdent (Ko, 1996, pp.184-186) et elle avance l’hypothèse d’une possible alternance régulière des groupes d’hésitation longs avec des groupes brefs, mais cette hypothèse ne se valide pas à partir de son corpus.

L’originalité de sa démarche consiste surtout dans l’étude de l’hypothèse d’une éventuelle influence de la présence d’une marque de TdF, notamment l’allongement (pp. 238-241), sur le contour mélodique du groupe subséquent.

Plus précisément, Ko formule l’hypothèse que la présence d’une marque de TdF allongée et en plage basse pourrait entraîner par un effet de « compensation » une hauteur plus importante de la dernière syllabe du groupe rythmique subséquent et surtout un rehaussement particulièrement important de la syllabe pénultième de ce même groupe ainsi qu’un rehaussement important (perçu comme un accent) sur la première syllabe du mot plein qui suit l’hésitation (exemple pénultième:

euh : mais mais : effectivement, p.240, exemple première syllabe mot plein : le : la définition de l’immigration, p.243, toutes les traces d’une : : : d’une autre identité, p.247).

Cette hypothèse est intéressante mais malheureusement le corpus proposé ne comporte pas assez d’exemples pour la valider et comporte même quelques contre-exemples. En fait, les exemples donnés par Ko sont à notre avis toujours très ambigus dans le sens que les syllabes rehaussées par l’accent qu’elle appelle « de compensation » sont généralement placées en début de syntagme et font partie pratiquement toujours de mots très chargés sur le plan énonciatif (il s’agit de possibles accents contrastifs, de focalisations) ce qui fait qu’on ne peut pas savoir si leur rehaussement est lié à la présence de l’hésitation qui les précède ou bien s’il aurait de toute manière été produit pour des raisons stylistiques indépendantes. Les travaux de Vaissière sur le français (surtout 1974, 1975) ont montré la tendance au rehaussement stylistique fréquent des premières syllabes et des syllabes pénultièmes, ce qui rend encore plus problématique l’hypothèse de l’influence spécifique de la présence d’une hésitation dans ces contextes. De plus, cette tendance au rehaussement de la première syllabe est particulièrement présente dans le discours radiophonique.

Il aurait peut-être été utile, afin de mieux cerner la validité de l’hypothèse de Ko sur l’accent de compensation, de procéder à un test de perception qui, après la suppression des marques dites d’hésitation, demanderait à des auditeurs de repérer si les groupes ainsi rehaussés en l’absence de toute marque dans le

contexte avant restent parfaitement acceptables et naturels ou deviennent « déséquilibrés » et étranges.

Sans qu’elle traite directement des marques de TdF, la thèse récente d’I. Léglise, 1999, Univ. Paris VII a également attiré notre attention en raison des données statistiques qu’elle fournit concernant la fréquence de certains mots de l’oral en français. Elle consacre un chapitre à des relevés de fréquences relatives dans le corpus qu’elle étudie (dialogues de la Patrouille maritime, en situation de travail) en établissant des comparaisons avec les relevés obtenus par E. Gülich13 à partir notamment d’une grande partie des enregistrements du Français fondamental (Gougenheim, 1964), les relevés obtenus pas N. Delbecque14 (entretiens collectifs et monologues) ainsi que ceux d’E. Saunier15, (entretiens sur les habitudes alimentaires, destinés à une étude sociolinguistique).

Ses remarques nous ont permis d’y confronter les fréquences relatives, sur mille mots, de connecteurs comme mais, et, alors, donc, puis, ah/oh, enfin, d’autres marqueurs comme oui, ouais, non, bon, ben, voilà, hein, quoi et également des

euh relevés dans notre corpus, afin de tenter d’établir, par cette approche

quantitative, si notre corpus présentait des particularités très significatives de ce point de vue à cause de la situation de communication choisie.

Nous renvoyons à l’étude d’I. Léglise (1999) pour une analyse détaillée des statistiques parallèles sur différents corpus et nous présentons dans le tableau ci-dessous les résultats obtenus sur notre corpus qui comprend pratiquement 10.000 mots (10.050) :

13 Citée par I. Léglise : GÜLICH, Elisabeth, 1970, Makrosyntax des Gliederungssignale im gesprochenen französisch, Munich, Ed. Wilhelm Fink.

14 Citée par I. Léglise : DELBECQUE, N., 1983, Les mots charnières : fréquences et fonction, in ITL, n°59, Louvain, pp.55-98.

15 Citée par I. Léglise : SAUNIER, Evelyne, 1997, Du rapport entre places d’interlocution et positions énonciatives. L’exemple des emplois de « on » et de la référence à l’allocutaire, in Troisième Rencontre des Jeunes Linguistes, Univ. du Littoral, Dunkerque.

Connecteur Fréquence Autre marqueur Fréquence mais 7‰ oui 4,5‰ et 28,6‰16 non 3,6‰ alors 17,4‰ ouais 0,2‰ donc 2,5‰ voilà 0,5‰ puis 2,1‰ bon 2‰ ah/oh 2,6‰ ben 4,5‰ enfin 0,8‰ hein 0,8‰ quoi — euh 53,5‰ Tableau des fréquences relatives (sur mille mots) de différents

‘mots de l’oral’ relevés dans notre corpus

Comme dans le relevé de Léglise, les euh comptent pour des mots. Ce décompte porte sur les occurrences brutes et ne distingue pas les cas de combinaison de marqueurs (de type et alors, bon ben, etc.).

En comparant notre relevé aux résultats analysés par Léglise, nous avons remarqué dans un premier temps la confirmation d’une constante de tous les autres corpus, à savoir la fréquence du connecteur mais qui ne semble pas dépendre du type de situation (idem, 1999, pp.225-226). De même, notre relevé confirme que le connecteur alors est particulièrement présent dans les récits : ce connecteur est en outre beaucoup plus fréquent dans notre corpus que dans ceux présentés par Léglise.

Le marqueur donc présenté par Léglise comme ayant une distribution très irrégulière a, dans notre corpus, une fréquence relative légèrement supérieure à celui de Delbecque et au « Français fondamental » et inférieure à celle du corpus Saunier (entretiens) et du corpus Léglise (Patrouille maritime, dialogues) ; ces différences ne sont pas significatives à cause de la forte dispersion des

16 Ce connecteur est extrêmement fréquent mais il est très difficile de distinguer nettement les occ. où il est connecteur et celles où il est simple conjonction ; le critère utilisé a largement pris en compte les indices intonatifs, mais il reste des cas quelque peu ‘douteux’.

distributions. Le connecteur puis présente un profil diamétralement opposé à

donc : il est plus fréquent chez nous que chez Saunier et Léglise et moins

fréquent que chez Delbecque et dans le « Français fond. », ceci pouvant confirmer l’hypothèse de Gülich selon laquelle puis est un connecteur beaucoup plus fréquent dans les récits et monologues que dans les dialogues (idem, p.227,

apud Gülich). Léglise ne dispose pas de chiffres pour la fréquence relative de ah/oh et de enfin.

En ce qui concerne les autres marqueurs, on peut noter :

- l’absence presque absolue de ouais17 qui semble fortement corrélé avec un

registre de langue familier,

- l’absence absolue de quoi - ponctuant18 qui fonctionne comme un marqueur

complètement égocentré — il « écarte tout partage coénonciatif », selon Morel et Danon-Boileau (1999, p.102) — et de ce fait est perçu comme agressif par l’auditeur et évité par les élèves en classe de français,

- les rares occurrences de hein19 qui est, selon Léglise (1999), fortement dépendant du statut autoritaire de l’énonciateur par rapport à son coénonciateur et qui a, dans notre corpus, une distribution équivalente à celle relevée dans le « Français fond. »

Bon a une distribution « modérée » dans notre corpus (inférieure aux deux corpus

de dialogues, mais supérieure au « Français fond. »), alors que ben est plus proche des fréquences des deux corpus de dialogues. Quant à voilà, sa fréquence

17 Nous avons relevé seulement deux occurrences de ouais, une étant prononcée à voix basse par l’élève qui avait le micro, en direction d’un camarade et non pas en direction de toute la classe ou de l’enseignante (Cordonnier), et l’autre étant prononcée en direction de l’enseignante, pour confirmer brièvement une de ses remarques (Autruche).

18 Cette absence de quoi a été remarquée aussi dans les dialogues de la Patrouille maritime, cf. Léglise, 1999, p.230. Cela concerne uniquement le quoi ponctuant et non le quoi pronom.

19 Il est intéressant de remarquer que sur les 8 occurrences de hein relevées, 6 appartiennent à l’enseignante ; les deux restantes ont été produites par le locuteur de Tchao-mat en s’adressant à un des enfants de maternelle et par la locutrice de Autruche-mat à l’intérieur du discours direct prêté à la « maîtresse », personnage de son récit.

est assez faible dans notre corpus, elle est très proche de celle relevée dans le « Français fond. ».

Le marqueur oui présente dans notre corpus une fréquence équivalente à celle du corpus Saunier (entretiens) largement inférieure à celle du corpus Léglise et du « Français fond. », et le marqueur non, qui selon Gülich et Léglise aurait toujours une fréquence deux fois inférieure à celle du oui (idem, p.233), présente une fréquence relativement élevée dans notre corpus. Ceci est dû principalement à son emploi multiple (« non non non... ») dans l’échantillon Tchao-mat et dans l’échantillon Nain à l’intérieur des passages de discours direct des personnages. Il s’agit par conséquent d’une particularité aisément explicable de notre corpus.

En revanche pour les euh les occurrences sont en moyenne 5 fois plus nombreuses dans notre corpus — 53,5‰ — par rapport à la fréquence relative obtenue en moyenne par Léglise — 10,93‰ — (corpus Patrouille maritime). Nous ne disposons pas d’autres données de fréquence sur mille mots pour d’autres corpus, ce qui fait que nous pouvons difficilement interpréter cet écart brut. En tout état de cause, il est évident que la situation de communication a une forte influence sur la fréquence relative des marques de TdF en général (voir aussi Goldman-Eisler, 1968, Grosjean & Deschamps 1973, Duez 1991) ; dans le corpus de la Patrouille maritime, Léglise relève des fréquences du euh allant de 4‰ à 19,7‰ en fonction du type de situation de communication. Il est également évident que la situation d’enregistrement que nous étudions est particulièrement propice pour l’émergence d’un grand nombre de marques de TdF chez les élèves.

L’analyse quantitative rapide de ces quelques mots de l’oral dans notre corpus semble montrer que les fréquences relatives relevées chez nos locuteurs ne sont pas aberrantes par rapport à d’autres corpus et ne contredisent pas les observations faites par d’autres chercheurs sur des corpus de récits ou de dialogues. Notre corpus, qui alterne les périodes de récit (majoritaires) et les échanges dialogués entre l’élève et l’enseignante, serait ainsi représentatif

d’autres corpus de français oral. Malgré le fait que les marques de TdF y sont particulièrement présentes, il n’y a a priori aucune raison de penser que cette caractéristique serait une exception statistique, une aberration observable uniquement dans ce corpus et ne serait pas représentative d’autres corpus similaires. Il est bien évident que nous faisons l’hypothèse contraire, même si cela reste à confirmer par une analyse quantitative dans d’autres corpus qui dépasse les objectifs de cette étude.

Au cours de notre étude nous serons amenée à discuter ou à évoquer ponctuellement d’autres travaux sur le français, au fur et à mesure de la présentation de nos résultats ou de nos choix théoriques, comme notamment Luzzati (1985), Vaissière (1991, 1995, 1997), Blanche-Benveniste (1986, 1987), Fornel et Marandin (1996).

2.2. Hypothèses directement prises en compte par la présente