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lu 35 que l’on peut généralement observer chez les locuteurs « ordinaires » d’une

3. Définition des marques mixtes à partir des tests de perception

3.2. Nos résultats

3.2.3. Conclusions et hypothèses

Nous pouvons résumer ainsi les résultats obtenus et les hypothèses qu’ils permettent d’envisager :

X Les pauses silencieuses sont significativement mieux identifiées comme

pauses, les marques de TdF étant significativement moins bien identifiées

comme hésitations. Le taux global d’identification des pauses est supérieur à celui des marques de TdF et le nombre moyen d’auditeurs ayant noté chaque pause est supérieur à celui des auditeurs ayant noté chaque hésitation. Aucune pause silencieuse et aucune marque de TdF n’a été notée par la totalité des 30 sujets interrogés ; 35,9% des pauses silencieuses et seulement 13,64% des marques de TdF ont été correctement notées par au moins 75% des sujets.

Deux explications principales peuvent être envisagées pour rendre compte de cette différence globale :

- d’une part, la notion d’hésitation est moins objective que la notion de pause pour les sujets interrogés : si la pause relève de la réalité physique directement perceptible, l’hésitation renvoie en partie seulement à des phénomènes codés et directement perceptibles comme le euh mais elle renvoie aussi à un comportement plus complexe (le comportement « d’hésitation ») qui doit être interprété et non perçu en tant que tel à travers le sens construit par le discours du locuteur. On peut considérer qu’il existe un phénomène d’hésitation explicite impossible à localiser avec précision dans des énoncés du type je ne sais plus

lequel des deux ... je ne m’en souviens plus très bien... etc.). Le peu de temps

imparti aux auditeurs pour noter les « hésitations » a pu entraîner la notation exclusive des marques les plus saillantes, exigeant un temps très court de classement en tant qu’hésitations.

- d’autre part, il se peut que par rapport aux pauses silencieuses les marques de TdF soient phonétiquement moins proéminentes, moins saillantes pour la

perception : le rôle des pauses silencieuses dans l’organisation rythmique des énoncés oraux n’est plus à démontrer (rôle démarcatif et effet de regroupement) alors que celui de ces marques reste à définir.

Y La présence d’une frontière syntaxique favorise la perception des pauses silencieuses réelles et induit la perception de pauses subjectives lorsqu’il n’y a aucune pause réelle. Ce résultat qui confirme celui de Duez (1991) peut avoir été influencé, dans notre cas, par le choix du protocole d’expérimentation qui fournissait la transcription aux auditeurs.

Selon nous, le rôle de la présence d’une frontière syntaxique dans la perception des pauses silencieuses est non négligeable quel que soit le protocole choisi. Ce constat montre que les pauses silencieuses structurant et hiérarchisant les énoncés sont attendues par les auditeurs et, loin d’être gommées de la perception, elles sont au contraire rétablies subjectivement même là où elles étaient en réalité absentes.

En utilisant le découpage différent, en constituants de paragraphe, proposé par Morel et Danon-Boileau (1998), nous avons obtenu un résultat qui va dans le même sens : les pauses réelles silencieuses sont mieux perçues lorsqu’elles sont placées en fin de préambule ou de rhème que lorsqu’elles sont placées à l’intérieur d’un préambule ou un rhème.

Z La présence d’une pause silencieuse à la suite d’une marque de TdF simple ou combinée favorise la perception en tant qu’ hésitation de ce phénomène.

Cette différence constatée dans la perception des marques suivies ou non par une pause silencieuse permet de formuler l’hypothèse que les marques [ + p.sil] et les marques [ - p.sil.] pourraient présenter non seulement des différences au niveau de la perception par l’auditeur mais également des différences de distribution dans les énoncés.

[ La remarque précédente a un corollaire, dans notre test : la présence d’une pause silencieuse subséquente à une marque de TdF inhibe en partie la

perception de cette pause silencieuse.

Selon nous, la pause silencieuse qui se trouve dans une telle configuration forme une unité, une marque mixte, avec la marque de TdF qui la précède et c’est la marque de TdF qui retient le plus l’attention de l’auditeur. Cela nous incite à penser que le fonctionnement de la pause silencieuse simple est tellement différent de celui de la pause silencieuse subséquente à une marque de TdF qu’on peut envisager qu’il s’agit là de deux types de pauses silencieuses complètement distincts.

Il est impossible, néanmoins, de tenter de valider cette hypothèse à partir des données de notre seul échantillon utilisé pour les tests de perception, car toutes les configurations envisageables n’y sont pas attestées. En effet, l’observation de nos données montre que toutes les pauses silencieuses simples de notre corpus sont placées sur une frontière syntaxique, et jamais à l’intérieur d’un constituant ; de manière complémentaire, toutes les pauses silencieuses placées à l’intérieur d’un constituant sont immédiatement précédées par une marque de TdF. Cela nous empêche d’isoler dans ces deux cas l’effet exercé par la présence de la marque de TdF de l’effet exercé par la présence d’une frontière syntaxique.

Il est vrai que les cas où des pauses silencieuses simples sont produites à l’intérieur d’un constituant sont généralement assez rares et semblent avoir un important rôle stylistique (mise en relief de certains mots). Duez (1991) relève de nombreux exemples dans la parole des hommes politiques ; notre corpus de récits contient aussi quelques occurrences.

\ Il peut arriver assez régulièrement que les sujets interrogés notent une pause silencieuse subjective là où il y avait en réalité une marque de TdF. Lors de ce

test env. 17% des sujets, en moyenne, ont noté cela, si l’on prend en considération uniquement les marques de TdF notées par au moins un sujet comme pauses silencieuses et non la totalité des marques de TdF de l’extrait. Il est en revanche très rare que des pauses silencieuses simples soient notées comme des hésitations : cela concerne 1,33 sujets en moyenne, soit 4,4% des sujets, si l’on prend en considération selon le même principe uniquement les pauses simples notées par au moins un sujet comme étant des hésitations ; résultat non significatif en raison du nombre insuffisant de données.

Cette tendance à noter des pauses silencieuses subjectives sur la place de phénomènes d’hésitation confirme les observations de Duez (1991) et semble se rapporter à l’asymétrie des deux notions pause/vs/hésitation plutôt qu’à un éventuel recouvrement partiel du rôle de ces deux phénomènes dans le discours. On peut rappeler à ce sujet que plusieurs études concernant le rôle des allongements vocaliques ou des allongements en général pour la perception du rythme (voir par exemple Fraisse 1974, Di Cristo 1985, Duez 1991) s’accordent pour reconnaître le rôle démarcatif de l’allongement qui tend à être perçu comme une pause ou une marque de frontière de groupe rythmique. Cet effet pourrait expliquer la perception en tant que pauses des allongements vocaliques présents dans certaines marques de TdF.

] De manière générale, les hésitations subjectives sont beaucoup plus

dispersées que les pauses silencieuses subjectives (les endroits non prévus notés

comme hésitations sont plus nombreux et leur taux d’identification est beaucoup plus bas).

Ce phénomène pourrait également s’expliquer par la représentation de l’hésitation chez les sujets interrogés, représentation qui semble être beaucoup moins précise et moins homogène que celle de la pause.

^ Les marques de TdF simples (occurrences simples, quelle qu’en soit la nature) passent significativement plus souvent inaperçues en tant qu’ hésitations par rapport aux combinaisons de marques. Nous ne connaissons pas d’autre test de perception portant sur les combinaisons de marques en français spontané.

Deux hypothèses qui ne s’excluent pas mutuellement peuvent expliquer cette différence de perception :

a) La différence de durée pourrait avoir un rôle essentiel, les marques combinées (ou mixtes) étant le plus souvent plus longues que les occurrences simples, et par conséquent plus saillantes. La durée de ces phénomènes sera prise en compte dans les chapitres que nous consacrons à chacun d’entre eux.

b) La distribution, le rôle et le fonctionnement des marques mixtes pourraient être très différents de ceux des marques simples. Cette hypothèse sera vérifiée par l’étude de l’intégralité de notre corpus.

_ Concernant les marques de TdF, de manière générale, on constate que les occurrences mixtes sont plus nombreuses dans ce corpus que les occurrences simples : env. 56% des occurrences sont mixtes contre env. 44% qui sont simples. La distribution relative des quatre marques de base, sans tenir compte du contexte simple ou mixte de leur apparition, est la même que dans le reste de notre corpus : les euh sont les plus fréquents, suivis dans l’ordre des allongements vocaliques, répétitions de mots outils et autocorrections immédiates.

Nous étudierons au chapitre suivant si la fréquence importante des combinaisons de marques se vérifie sur l’ensemble de notre corpus ou bien est une caractéristique particulière de l’échantillon utilisé pour les tests de perception. La combinaison entre une marque de TdF et la pause silencieuse fera l’objet d’une attention particulière au chapitre suivant de notre étude.