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Quelques remarques sur les constructions de conditionnel

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 113-116)

VERSION FRANÇAISE

4. Conclusions de l’analyse linguistique

4.5. Le système verbal : formes conjuguées 1. Formes des auxiliaires ditransitifs

4.6.3. Quelques remarques sur les constructions de conditionnel

Notre examen des constructions de conditionnel a abordé deux aspects : 1) les protases basées sur les périphrases anciennes aux auxiliaires *edin, *ezan & *iron ; et 2) la compétition entre ces protases anciennes et les nouvelles aux auxiliaires izan & *edun. En général, durant la période historique les protases à l’auxiliaire *iron ne sont connues qu’en souletin —de même, seuls les dialectes occidentaux témoignaient des protases à l’auxiliaire egin—. Les constructions basées sur les protases aux auxiliaires *edin, *ezan & *iron, construites à partir du radical verbal, ont souvent été appelées « conditionnel de subjonctif » dans la tradition de la bascologie. Il faut distinguer les protases au présent et celles à l’éventuel.

Parmi les protases au présent —ou de conditionnel réel—, les exemples à auxiliaire transitif (egin badeza / badiro ‘s’il ou elle le fait’) sont plus fréquents que ceux à auxiliaire intransitif (jin badadi ‘s’il ou elle vient’) ; leur attestation est également plus persistante à travers le corpus. Au XVIe siècle, cette ancienne construction de conditionnel commence à être concurrencée par la protase d’imperfectif (egiten badu ‘s’il ou elle le fait’ | jiten bada ‘s’il ou elle vient’), qui s’imposera au cours des siècles suivants. Ainsi, pour le XVIIIe siècle la protase au radical peut être considérée comme un archaïsme en Soule, et au XIXe elle s’éteint définitivement.

Le conditionnel irréel, quant à lui, peut en général être exprimé par trois protases : 1) [radical + *edin, *ezan & *iron] ; 2) [part. imperfectif + izan, *edun] ; et 3) [part. prospectif + izan,

*edun]. Toutefois, dans le corpus du souletin nous n’avons relevé que les deux premières, la protase au participe prospectif (jinen balitz ‘s’il ou elle venait’) y étant totalement absente.

Par ailleurs, la protase d’imperfectif (jiten balitz ‘s’il ou elle venait’) fait son apparition dès les premiers textes mais, à la différence de ce qui est arrivé aux constructions de présent, elle ne substituera pas son équivalente ancienne (jin baledi ‘s’il ou elle venait’). Qui plus est, d’après les données du corpus, la protase ancienne est la préférée des auteurs souletins à travers les siècles ; de même, elle est toujours en usage dans les parlers orientaux, et spécialement en souletin.

En somme, la compétition entre les protases au radical et à l’imperfectif n’est donc pas symétrique, ni en ce qui concerne l’aspect, ni d’un point de vue diatopique. En effet, tandis qu’en labourdin et en bas-navarrais la protase d’imperfectif s’est clairement imposée, aussi bien dans le conditionnel réel que dans l’irréel —elle a même fait disparaître la protase au

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participe prospectif—, en souletin la compétition ne s’est résolue que dans le conditionnel réel ou de présent.

4.6.4. Modalité

Notre étude de la modalité a abordé principalement l’expression du potentiel et de la probabilité en tenant compte de toutes les possibilités morphosyntaxiques : le morphème modal -(te)(ke), les particules ahal & ezin plus les racines *(g)idi & *iro dans toutes les combinaisons possibles. Chaque élément a été également examiné dans les conjugaisons synthétique et analytique.

4.6.4.1. Conjugaison synthétique

L’évolution récessive de la conjugaison synthétique décrite plus haut (cf. § 4.5.2) se manifeste aussi dans les formes modales. Ainsi, la vaste majorité des formes synthétiques au morphème -(te)(ke) ont été relevées dans les textes les plus anciens. Les formes synthétiques associées aux particules ahal & ezin, quant à elles, ne montrent pas une tendance diachronique claire dans le corpus ; tout au plus, elles apparaissent principalement dans les textes de la tradition du théâtre populaire.

La valeur de la particule d’impossibilité ezin est plus définie que celle de la particule ahal, qui exprime le potentiel ou la possibilité. Cela dit, nous avons perçu un changement dans l’expression de l’impossibilité : dans les textes les plus anciens, elle se rend presque systématiquement par la particule ezin, et puis c’est la combinaison d’ahal avec la négation ez qui prévaut, soit avec ou sans le morphème -(te)(ke). Autrement dit, la particule ezin semble s’être grammaticalisée plus précocement qu’ahal, au point que dans les dialectes aquitains elle cesse d’être productive durant la période historique. Dans la même optique, l’analyse des périphrases de participe prospectif à valeur potentiel suggère que la grammaticalisation de la particule ahal aurait été plus tardive en souletin que dans les autres dialectes (vid. infra).

Pour autant, la racine *(g)idi (← egin ‘faire’ + *din ‘devenir’) est particulièrement persistante en Soule. Dans les proverbes recueillis au XVIIe siècle elle est apparue comme verbe principal, ce qui peut être considéré comme un grand archaïsme datant au moins du XVe siècle. Autrement, les formes analytiques de *(g)idi sont attestées jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Cette ancienne racine apparaît tantôt comme supplétive du verbe egin ‘faire’, tantôt comme forme à valeur modale marquée.

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4.6.4.2. Conjugaison analytique

En ce qui concerne les formes analytiques à valeur modale, les textes souletins témoignent principalement de deux compétitions : a) dans les anciennes périphrases construites à partir du radical verbale, l’auxiliaire transitif *ezan s’étend au détriment de l’auxiliaire *iron ; et b) les anciennes périphrases construites à partir du radical verbal sont concurrencées par les nouvelles périphrases de perfectif et d’imperfectif.

Dans le passé, l’ancien verbe *iron fut l’auxiliaire transitif réservé aux valeurs modales. Le fait qu’aucune forme non conjuguée ne soit attestée et que son contenu lexical reste obscure indiquent une grammaticalisation précoce (Mounole 2011 : 73). Le verbe *iron avait une valeur modale intrinsèque (Gómez & Sáinz 1995), c’est pourquoi il n’a, dans les textes les plus anciens, aucun besoin du morphème -(te)(ke) ou de la particule ahal. Quant à l’auxiliaire

*ezan, en basque orientale il était très minoritaire dans l’expression de la modalité, pour laquelle il s’accompagnait toujours du morphème -(te)(ke) et/ou de la particule ahal.

Nous avons décrit la compétition entre les auxiliaires *iron & *ezan dans tous les dialectes dans lesquels *iron a été documenté, à savoir l’ancien haut-navarrais méridional, le roncalais et le salazarais, plus l’ensemble des parlers aquitains. Après examen exhaustif de ses formes, nous avons conclu que l’évolution récessive de l’auxiliaire *iron et la subséquente substitution par *ezan ne devraient pas être expliquées par ses prétendues limites morphologiques. Tout au contraire, nous avons montré que le paradigme du verbe *iron acceptait pleinement la conjugaison à l’objet pluriel et, du moins dans les textes souletins, il pouvait également s’accorder avec le datif —formes tripersonnelles—, toutes ces formes étant plus fréquentes que ses équivalents d’*ezan + -ke (Padilla-Moyano 2013b). Les causes de la substitution de l’auxiliaire *iron par les formes d’*ezan à valeur modale auraient été, d’après nous, le haut degré de spécialisation d’*iron —d’où sa basse fréquence—, l’asymétrie que ce verbe provoquait dans le système d’auxiliaires —deux auxiliaires intransitifs vs. trois transitifs— et, peut-être, l’influx de la tradition littéraire.

Dans le domaine des formes analytiques intransitives à valeur modale, nous avons argumenté que la séquence -kidi-, documentée dans les dialectes aquitains, n’est pas une racine (Mounole 2011 : 123), mais une apparence particulière des formes à datif de l’auxiliaire *edin, consécutive à un certain ordre des morphèmes et des procès phonologiques ; quoi qu’il en soit, les formes à séquence -kidi- ont toutes une valeur modale marquée. Ces formes peuvent être considérées comme un archaïsme dont l’attestation décroît à travers la période historique.

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En Soule, la dernière occurrence date du début du XIXe siècle : hel lakidiçu ‘il pourrait vous arriver’ (Sainte Elisabeth 814) ; hors de la Soule, ce trait ancien s’était éteint au XVIIe siècle.

Lorsque la modalité s’exprime par les nouvelles périphrases [part. perfectif / imperf. / prospectif + ahal/ezin + izan, *edun], il faut prêter attention à la chronologie des particules ahal & ezin et aux éventuelles nuances aspectuelles liées au choix de la forme non conjuguée.

Ces nouvelles périphrases aux auxiliaires izan & *edun émergent d’abord avec la particule ezin —rappelons-nous que la grammaticalisation de cette particule a été plus précoce que celle d’ahal—. La périphrase construite à partir du part. imperfectif avec la particule ahal semble s’être répandue à partir des parlers les plus orientaux (OEH s.v. ahal I 1.A); à cet égard, le dialecte souletin a été en tête d’une innovation à succès. En général, dans les textes souletins les différences aspectuelles entre les périphrases de perfectif et d’imperfectif ne sont pas très marquées. Quant à la périphrase de prospectif, elle est toujours employée en Soule pour exprimer les valeurs modales, et nous n’avons relevé aucun exemple des particules ahal

& ezin portant le marqueur de futur. En d’autres termes, les auteurs souletins ne se servent pas des formes ezinen & ahalko, courantes hors de la Soule —tout au plus, quelques-uns utilisent ahal ükhenen & ahal izanen—. Enfin, il peut arriver en souletin qu’une périphrase modale à auxiliaire izan ou *edun exprime le futur sans le concours du participe prospectif, tout en ayant recours au morphème -(te)(ke).

4.7. Syntaxe

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