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Pléonasme de l’accord du datif

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 106-113)

VERSION FRANÇAISE

4. Conclusions de l’analyse linguistique

4.5. Le système verbal : formes conjuguées 1. Formes des auxiliaires ditransitifs

4.5.3. Pléonasme de l’accord du datif

Dans la période historique de la langue, des formes pléonastiques à datif de 1ère personne doublé se sont développées en souletin (au singulier) et en roncalais (singulier et pluriel). En dépit de l’absence de conséquences au niveau du système verbal, la fréquence maximale du pléonasme du datif, sa perception comme marqueur linguistique et son intérêt dialectologique conseillaient un examen en détail.

Cette innovation apparaît pour la première fois chez Leiçarrague (1571) —très vraisemblablement de la main de ses collaborateurs souletins—, et puis dans les textes souletins du XVIIe siècle. De façon générale, en Soule le pléonasme du datif est relevé, d’une

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part, dans les formes des verbes auxiliaires izan ‘être’, *edin & *eradun et, d’autre part, dans quelques verbes synthétiques comme -i(n)- ‘donner’, -io- ‘dire’, egon ‘rester’, eman ‘donner’

ou erran ‘dire’. Selon notre interprétation des données du corpus, en Soule le pléonasme du datif s’opère selon les règles suivantes :

1. A l’intérieur du mot l’allomorphe [-ta-] peut devenir -tada- ;

2. En position intérieure l’allomorphe [-da] ne peut faire apparaître aucune duplication (**dakidadan, **dakidatan) ;

3. Autant les allomorphes [-ta-] que [-da-] peuvent provoquer l’adjonction de -t final ; 4. Lorsque le morphème de datif est en position finale, l’adjonction de toute autre

terminaison — notamment les suffixes de subordination -(a)la & -(a)n) — provoque l’apparition du pléonasme.

Au début du XIXe siècle, des formes à datif triple font leur apparition en Soule (deitadazüt, zitadazüt). Enfin, bien qu’il s’agisse d’une innovation assez ancienne et à succès, les formes à datif double ne se sont pas substituées à celles à datif simple, du moins dans les limites temporelles du corpus.

4.6. Le système verbal : mode et modalité 4.6.1. Expression de l’injonction

Dans la tradition de la bascologie, l’expression de l’injonction a le plus souvent été conceptualisée comme agintera ‘impératif’, quelle que soit la personne à laquelle s’adresse l’ordre. Tout au plus, Oyharçabal (2000) a introduit le terme jussif pour les formes à préfixe b-, et puis Mounole (2011) s’en est servis pour l’expression de toute injonction exceptée la 2ème personne. Pourtant, nous avons décidé d’établir une distinction en fonction de la personne concernée par l’injonction. Ainsi, nous avons réservé le terme agintera ‘impératif’ à l’injonction dirigée à la 2ème personne (singulière ou plurielle), et jussif aux ordres orientées à la 3ème personne (singulière ou plurielle) ; de plus, nous avons proposé les termes promissif et exhortatif pour l’injonction qui concerne la 1ère personne, la différence y étant l’inclusion de l’interlocuteur dans cette 1e personne. La raison de cette distinction à quatre parts est double : premièrement et principalement, parce que la langue basque a recours à des différentes voies morphosyntaxiques pour chacun des types d’injonction; deuxièmement, par souci de la cohérence avec la littérature internationale :

Just as the subject of an imperative is associated with the addressee, the subject of a promissive is restricted in interpretation to the speaker, and that of an exhortative to the

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speaker and addressee together. Grammatically speaking, the subject of an imperative is second person, that of a promissive is first person singular or plural exclusive of the addressee, and that of an exhortative is first person plural inclusive of the addressee (Zanuttini, Pak &

Portner 2011: 3; cf. Aikhenvald 2008 : 3)

4.6.1.1. Promissif

Bien que le promissif soit un usage tout à fait naturel dans la langue, dans notre corpus sa fréquence n’est pas très importante. En basque l’expression du promissif équivaut à ce que la tradition grammaticale appelle subjonctif, la forme conjuguée du verbe y étant marquée par le suffixe -(e)n (souletin -(a)n). Dans la pratique, toutes les constructions de subjonctif à la 1e personne au singulier peuvent être considérées comme des promissifs, à condition qu’il s’agisse de propositions principales —dans une proposition subordonnée, le subjonctif acquiert une valeur soit finale, soit complétive—.

Dans le corpus du souletin une vaste majorité des exemples du promissif correspondent à la conjugaison analytique, avec les formes auxiliaires nadin (intransitif) & dezadan (transitif) ; au plus, nous avons relevé quelques occurrences de l’auxiliaire *edun en fonction de promissif (dudan), en combinaison avec le radical verbal : dudan interroga ‘que j’intérroge’

(SteEli 554). Au milieu du XIXe siècle, les formes de promissif commencent à prendre le suffixe -(a)la : bethi ebil nadila ‘que je marche toujours’ (Myst 43, 1856). Comme nous le verrons, ce marquage via le suffixe -(a)la n’est pas exclusif au promissif, car il émerge, à des degrés divers, dans les autres types d’injonction.

4.6.1.2. Exhortatif

D’un point de vue morphosyntaxique, en basque l’expression de l’exhortatif repose tout de même sur une construction de subjonctif. Notre étude de l’exhortatif s’est limitée aux verbes transitifs qui, dans les parlers orientaux, témoignent d’une compétition entre la construction générale et une nouvelle tournure spécifiquement créée pour l’expression de ce type d’injonction. En effet, à côté des formes comme ikhus dezagün ‘voyons’, au XVIIe siècle les dialectes orientaux —y compris le labourdin et le haut-navarrais— développent une construction du type dügün ikhus ‘voyons’ (Gómez & Mounole 2017 § 3.4.3.2). La nouvelle forme d’exhortatif implique l’emploi de l’auxiliaire *edun ‘avoir’ hors les modes realis, et un ordre marqué [auxiliaire - forme non conjuguée] au début de la phrase. A notre connaissance, c’est Lafon (1963 : 103) qui a décrit cette construction d’exhortatif pour la première fois.

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Nous n’avons relevé aucun exemple de la nouvelle construction d’exhortatif en propositions négatives. Quant à son évolution, l’exhortatif à l’auxiliaire *edun n’a jamais substitué son équivalent à l’auxiliaire *ezan. En Soule, cette innovation trouve sa fréquence maximale dans les textes du XVIIIe siècle, dans lesquels il est possible de trouver des occurrences à l’objet pluriel : Dutugun ezkerrac errenda ‘Rendons grâces’ (Ressegue 51, 1758) —à notre connaissance l’usage à l’objet pluriel n’est connu nulle part ailleurs—. A partir du XIXe la nouvelle construction d’exhortatif s’éteint —elle est désormais disparue de la langue—.

4.6.1.3. Impératif

En basque l’impératif peut être rendu par une forme non conjuguée, soit le participe perfectif

—dialectes occidentaux— ou le radical verbal —dialectes orientaux—. Quant aux formes d’impératif conjuguées, il faut établir une distinction sur deux axes : d’une part, les formes synthétiques ou périphrastiques ; de l’autre, les verbes transitifs et intransitifs ; de plus, il existe quelques différences entre les propositions affirmatives et les négatives. D’un point de vue morphologique, seules les formes transitives d’impératif ont un caractère marqué car, lorsque l’absolutif corresponde à la 3e personne, elles suppriment le d- initial qui apparaît dans les formes de « présent » (dezazün ‘que vous ayez’ vs. ezazü ‘ayez !’).

Dans les parlers aquitains, les impératifs négatifs se construisent sur la forme de subjonctif avec le suffixe -(e)la : ez hadila ‘ne sois pas’, ez dezazula phentsa ‘ne pensez pas’, etc. Ce procédé est en usage dès les premiers textes et, vers la fin du XVIIIe siècle, en souletin les formes affirmatives commencent également à être construites à partir de ce modèle : bizi zitiala ‘vivez !’, ikhus dezazüla ‘’voyez !’. Par ailleurs, les formes tripersonnelles d’impératif avec d- initial, assez répandues en labourdin (Oyharçabal 2000), ont un très petit nombre d’occurrences dans le corpus du souletin.

En ce qui concerne les formes d’impératif synthétiques, il faut d’abord distinguer celles construites à partir du « subjonctif » des verbes izan ‘être’ et *edun ‘avoir’, et celles proprement impératives (zoatza ‘allez !’, ikusak ‘vois-tu !’, etc.). Les premières apparaissent plutôt rattachées à des usages formulaires comme hunki jin hizala ‘sois le/la bienvenu(e)’ ou benedikatü zirela ‘soyez béni’ ; pour le XIXe siècle ces formes sont éteintes, ses équivalents périphrastiques prenant le relais. Les secondes sont fréquentes dans les textes de toutes les périodes, et nous en avons constaté la productivité dans le corpus du souletin ; qui plus est, les impératifs du type idokazü ‘extrayez !’ constituent le seul tiroir qui échappe à l’évolution récessive de la conjugaison synthétique.

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Enfin, en souletin historique les impératifs orientés au futur ou prescriptifs trouvent principalement deux stratégies. D’une part, les périphrases [part. prospectif + izan, *edun]

sont le plus souvent utilisées dans l’expression de l’injonction projetée vers le futur. D’autre part, et de façon plus intéressante, dans la vielle langue il était possible de construire un impératif morphologique au suffixe modale -(te)(ke) (ezakezu), ce que nous avons relevé pour la première fois en souletin (jauz eracy itçakecq beguiaq ‘tu [lui] fermeras les yeux’, ca. 1770), tout en confirmant l’hypothèse du caractère commun de ces formes (Mounole 2011 : 96).

4.6.1.4. Jussif

Le basque historique peut exprimer le jussif par deux constructions : 1) les formes proprement jussives portant le préfixe b- ; et 2) les formes dites de « subjonctif » portant le suffixe -(e)la (soul. -(a)la). Tandis que les formes intransitives au préfixe b- n’ont pas de restrictions dans leurs paradigmes, les formes transitives ne sont possibles qu’avec un absolutif de 3e personne

—pour les rares exceptions à cette règle, cf. Oyharçabal 2000—.

D’après les données du corpus, la fréquence des formes synthétiques de jussif (avec ou sans le préfixe b-) a diminué en faveur des formes analytiques, conformément à l’évolution récessive de la conjugaison « forte ». En règle générale, pour le XIXe siècle les jussifs synthétiques — tantôt du type biz ‘qu’il/elle soit’, tantôt du type dela (même glose) — deviennent absolument archaïques.

De plus, l’énonciation affirmative ou négative de la phrase peut conditionner le choix de l’une ou l’autre construction de jussif. Ainsi, les phrases négatives semblent bloquer l’usage tant des formes à préfixe b- —il y en a toutefois quelques exceptions— que des formes synthétiques. En d’autres termes, la compétition entre les diverses formes de jussif ne se produit, du moins dans la période historique, que dans les contextes affirmatifs. A la fin, il est possible de percevoir des différences en fonction du type de texte : en clair, les formes au préfixe b- sont plus habituelles chez les auteurs appartenant à la tradition du diocèse que dans les textes du théâtre populaire.

4.6.2. Expression de l’espoir et du désir 4.6.2.1. Formes d’optatif

Même si toutes les langues du monde peuvent exprimer le désir, le regret et l’espoir, seulement quelques-unes d’entre elles possèdent un type spécifique d’inflexion verbale à cette

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fin : le mode optatif. Jusqu’à présent, toutes les descriptions du basque souletin ont souligné l’existence du mode optatif —autrement référé comme votif ou désidératif—, avec des formes verbales portant le préfixe ai(t)- : ainintz ‘plût à Dieu que je fusse !’, aileza ‘plût au ciel qu’il eût !’, etc. D’un point de vue typologique, cet optatif remplit les trois restrictions établies par Dobrushina, Van der Auwera & Goussev (2013). En basque historique, lesdites formes sont documentées non seulement dans les variétés orientales, mais aussi dans les dialectes centraux et occidentaux, ce qui prouve que l’optatif fut autrefois un trait commun du basque.

L’optatif basque a perduré davantage en Soule qu’ailleurs : selon les divers témoignages, jusqu’au XIXe (Lafon 1944 I: 495 ; Jaureguiberry 1957 : 76), XXe (Lafitte 1944 § 722) ou même XXIe siècle, « caché » dans les variétés basques du Béarn (Etxegorri 2007 : 75-76). En vif contraste avec l’attention importante qu’il a attirée de la part des grammairiens, l’attestation de l’optatif est résiduelle dans les textes orientaux : jusqu’à la fin du XVIIIe siècle nous n’avons relevé que quatre ou cinq occurrences dans les textes de la Soule et ses alentours. Pour la langue basque dans son ensemble, pour le XVIIIe siècle l’optatif semble s’être perdu dans la plupart des dialectes : laissant de côté les écrivains les plus cultivés, presque toutes les formes d’optatif repérées datent des périodes archaïque et ancienne. Au XIXe siècle, le souletin Inchauspe en offre un joli nombre de formes, spécialement dans sa traduction de l’Imitatio Christi de Kempis —selon nous, suite à un choix conscient—. Enfin, quelques écrivains savants du XXe siècle ont fait resurgir les formes à préfixe ait-, en en faisant une sorte de stylème.

Après avoir examiné la totalité des formes d’optatif dans tous les dialectes et ses changements phonétiques, nous avons constaté que la forme du préfixe est clairement ait-, et non ai-. Quant à l’origine de ce morphème, d’après nous, la connexion entre l’allomorphe ei(t)- des parlers occidentaux et la particule modale ei (Mounole 2011 : 101) pose des problèmes d’ordre phonologique. Nous avons pourtant considéré deux autres origines possibles : i) l’interjection exclamative ai —les changements observés dans certaines formes d’optatif pourraient s’expliquer par analogie avec les formes portant le préfixe bait- & albait- — ; et ii) un ancien préfixe *bait-, sans doute ayant, entre autres, une valeur de conditionnel. A ce point, le fait que le morphème d’optatif soit un préfixe n’est pas sans importance : la position typologique de l’euskara implique une tendance très marquée à la suffixation, ait- étant l’un des très rares préfixes productifs durant la période historique de la langue. De la même manière, le caractère commun de l’optatif est un indice certain d’antiquité. Dans une perspective diachronique, tout

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cela nous renvoie donc à un état de langue antérieur à la fragmentation dialectale, c.-à-d. au Basque Commun Ancien environ du VIIe siècle (Michelena 1981).

4.6.2.2. Les autres voies d’expression de l’espoir et du désir

Afin de mieux comprendre l’évolution de l’optatif basque, nous avons dressé un aperçu du reste des voies d’expression de l’espoir et du désir utilisées dans la langue. Grosso modo, tout au long de la période historique les options impliquant une construction de conditionnel gagnent du terrain : i) le préfixe de conditionnel ba-, de plus en plus souvent en combinaison avec une interjection exclamative (ai, ah, o, oi), est la plus simple des possibilités basées sur le conditionnel ; ii) le préfixe composé alba- (← ahal ba-) sert à exprimer les mêmes valeurs dans les textes les plus anciens —il est cependant absent du corpus souletin— ; iii) la particule balinba ou balima, documentée déjà chez Axular (1643), se répand dans la tradition orientale à partir du XVIIIe siècle, notamment dans les textes les plus proches de la tradition populaire.

En parallèle, au XVIIIe siècle la particule oxala (< esp. ojalá < arabe law šá lláh ‘si Dieu le veut’) émerge dans les textes basques, y compris chez quelques auteurs labourdins (cf.

Mounole 2011 : 218) ; cet emprunt semble ne pas s’être étendu plus vers l’est. A la même époque, une nouvelle construction désidérative commence à circuler en souletin : aments ba- ‘si au moins…’ (← gasc. au ments ‘au moins’) ; cet emprunt a son corrélat en biscayen (sikiera ba- ‘si au moins…’). Au XVIIe siècle, dans les dialectes occidentaux la particule modale ahal (← ahal ‘pouvoir’) commence à être utilisée en combinaison avec le part.

prospectif pour l’expression du désire et de l’espoir (etorriko ahal da ‘plût au ciel qu’il vienne !). Au XIXe siècle cette nouvelle tournure pénètre dans les parlers aquitains —sauf en souletin—, où l’usage désidératif d’ahal est également possible hors de la construction de prospectif. Enfin, comme partout dans le monde, la langue basque a développé des formules désidératives autour du mot Dieu : Jinkoak datsala/ baletsa/ ailiotsa/ ailemo (≈ Plût à Dieu que…).

Dans notre vision, l’apparition négligeable de formes d’optatif dans les textes souletins ne justifie pas la perception qui a pris forme au cours du XXe siècle, selon laquelle cette conjugaison verbale est un des traits les plus saillants du dialecte souletin. En revanche, le fait que le mode optatif soit un élément typologiquement minoritaire, et chronologiquement commun et ancien, rendait nécessaire une étude en détail.

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