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Les cas locatifs

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 91-96)

VERSION FRANÇAISE

4. Conclusions de l’analyse linguistique

4.3. Le système casuel

4.3.2. Les cas locatifs

Les cas locatifs présentent quelques caractéristiques intéressantes en basque souletin, à savoir : 1) la durée exceptionnelle de ce que l’on appelle « inessif archaïque » ; 2) une déclinaison triple pour les êtres intelligents ; et 3) un polymorphisme très accentué dans les cas ablatif et allatif. Nous avons centré notre recherche sur l’évolution de cette pluralité de morphèmes, et sur des possibles distinctions fonctionnelles et sémantiques.

4.3.2.1. L’inessif archaïque

Les variétés périphériques, et particulièrement le dialecte souletin, ont conservé des formes où la terminaison -n de l’inessif est ajoutée directement au thème. Selon Lafon, “On ne peut pas

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dire de ces inessifs en -n de noms communs s'ils appartiennent au singulier défini ou à l'indéfini” (1970: 170). Outre certaines formes qui sont arrivées jusqu’à nos jours (etxe-n

‘maison-ine’, ihizi-n ‘chasse.ine’, etc.), nous avons montré que, du moins jusqu’au XIXe siècle, l’inessif archaïque est pleinement productif, comme l’élément précédant les postpositions barne(a)n ‘à l’intérieur’ et gañe(a)n ‘au-dessus’, jusqu’à présent analysé comme une forme érodée de génitif (hiri-n barne-n ‘à l’intérieur de la ville’, ürgüllü-n gañe-n

‘sur l’orgueil’, etc.).

Du point de vue sémantique, les données du corpus ne soutiennent pas nettement la distinction que les grammairiens du souletin ont décrit pour le pair etxen & etxean, selon laquelle etxe-n correspond à « chez soi », tandis que etxean fait référence à la maison de quelqu’un d’autre. Paradoxalement, à côté d’un inessif archaïque encore vivant, le souletin a développé des nouvelles formes dans lesquelles l’inessif est ajouté à un substantif portant l’article (agorrila-n ‘août-INE’, arratsa-n ‘après-midi-INE’, etc.).

4.3.2.2. L’ablatif

Déjà dans les premiers textes du corpus nous remarquons, grosso modo, la pluralité des morphèmes d’ablatif du souletin d’aujourd’hui : d’une part, le suffixe -(r)ik est ajouté aux noms à l’indéterminé et au pluriel —il est également présent dans le suffixe -ganik, réservé aux êtres intelligents— ; d’autre part, le suffixe -ti(k) est ajouté aux noms au singulier. Le corpus ne donne presque aucune occurrence du morphème -tika.

Quant aux toponymes, nous avons relevé les deux options, -(r)ik et -ti(k), y compris certains noms communs qui agissent comme des toponymes (bide-rik ‘chemin-ABL’, etxe-rik

‘maison-ABL’, etc.). Dans les textes anciens la forme d’ablatif des toponymes porte plus fréquemment le suffixe -(r)ik ; cela dit, dans certains cas les auteurs font le choix en fonction du toponyme : ainsi, le nom Frantzia ‘France’ prend toujours le suffixe -(r)ik, tandis qu’España porte toujours -ti(k). Les adverbes de temps présentent parfois une particularité archaïque : la postposition -danik, construite à partir du morphème *-da.13 Jusqu’au XIXe siècle, virtuellement chaque adverbe de temps peut prendre la postposition -danik à l’ablatif —par contre, à l’allatif cette possibilité (-dara) se réduit drastiquement—.

13 D’après De Rijk (1992 & 1995), *da était l’ancien mot basque pour lat. nunc.

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Finalement, nous ne sommes parvenu à décrire aucune évolution pour les suffixes -ti et -tik, qui sont en compétition dès le XVIe siècle. Si nous tenons compte de la position dialectale des textes, il semble que le morphème -ti, en principe plus proche de la forme archaïque de perlatif (cf. Lafon 1948 ; Lakarra 1984), aurait été conservé davantage dans la Basse-Soule.

4.3.2.3. L’allatif

En souletin, le polymorphisme devient spécialement bigarré dans le cas allatif : pour les êtres non-animés et pour les animaux, qu’il s’agisse de noms communs ou propres, la possibilité est quadruple (-ra, -ala, -rat & -alat) ; pour les êtres intelligents il y a jusqu’à six options.

En commençant par l’opposition -ra(t) vs. -ala(t), la règle généralement décrite établit une distribution entre noms propres (dans la pratique des toponymes) et noms communs, respectivement. Même si cette distinction est souvent percevable à travers les textes, les exceptions y sont nombreuses. La toponymie nous fournit des exemples difficilement explicables par la règle générale (p. ex. Españala mais Frantziara). De même, certains adverbes peuvent prendre aussi bien un suffixe que l’autre, quelques fois en exprimant des nuances avec clarté (aitzinera(t) ‘en avant’ vs. aitziniala(t) ‘au-devant [de quelque chose ou quelqu’un]’), mais d’autres fois sans apporter aucune différence sémantique (gibelara(t) &

gibeliala(t) ‘en arrière’; kanpora(t) & khanpuala(t) ‘vers l’extérieur’). De même, -ra & -ala agissent comme des options échangeables dans quelques structures de mode (araura / arauera / arabera / arauala ‘selon, à la façon’) et dans des expressions exprimant un intervalle de temps (egünetik egünera & egünetik egüniala ‘de jour en jour’, etc.).

En ce qui concerne les morphèmes avec ou sans -t final, la plupart des auteurs souletins semblent respecter certaines nuances sémantiques. Sans privilégier l’une ou l’autre des distinctions sémantiques proposées au XXe siècle — c’est-à-dire la possibilité de retour après le mouvement (Lafitte 1944 § 140) ou la nuance directionnelle (Mitxelena 1970-1980 : 414) —, nous avons pris comme référence l’étude d’Oyharçabal sur cette question (1991 : 400-401). Les données du corpus ont révélé que les morphèmes d’allatif peuvent exprimer une série de nuances du mouvement, fondamentalement sur ces deux axes : la durée et la direction. Nous avons formulé trois règles (II, § 2.3.3.3) :

o Tandis que les mouvements sans retour ou avec un retour tardif font émerger la terminaison -t, les mouvements avec un but précis ou un retour proche tendent à la bloquer.

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o Les mouvements sans direction précise sont le plus souvent exprimés par des morphèmes portant -t, contrairement aux mouvements avec direction précise ou du moins connue.

o La terminaison -t apparaît également liée aux mouvements exprimés par le verbe d’une proposition subordonnée temporelle ou modale.

Cela dit, certains verbes semblent favoriser l’apparition d’un type de suffixe ou de l’autre, et quelques éléments —zertara, zointara et les substantifs verbaux— bloquent l’apparition de l’élément -t (Oyharçabal ibid.). En outre, lorsque les Souletins calquent le régime prépositionnel des verbes empruntés, c’est toujours le suffixe -ra qui est ajouté au complément à l’allatif : zerbaitetara abandonatü / arranjatü / determinatü / disposatü, etc.

(← fr. s'abandonner à qqc., s'arranger à qqc., être déterminé à qqc., être disposé à, etc.).

Sur le plan diachronique, la distinction sémantique entre les options morphologiques avec ou sans -t semble en vigueur tout au long de la période représentée dans notre corpus. Il est néanmoins possible d’affirmer que l’évolution de l’expression de l’allatif, témoigne d’un affaiblissement du contraste sémantique entre les morphèmes avec ou sans -t, surtout par rapport à la nuance directionnelle. Cela expliquera les innovations traitées dans le paragraphe ci-après.

4.3.2.4. Les suffixes casuels composés à partir de l’allatif

En lien avec la perte de la nuance directionnelle des suffixes d’allatif en -t, au début du XIXe siècle le dialecte souletin développe des nouvelles voies d’expression de l’allatif approximatif ; d’une part, les constructions [allatif-t + bürüz] et [datif + bürüz] (← gasc. cap a

‘vers’ ; cf. Pikabea 1993), puis étendues au reste des dialectes d’Aquitaine ; d’autre part, les constructions [-ko / -(r)en + aldialat] et [-(r)en + khantiala]. La chronologie de tous ces éléments est parallèle à l’affaiblissement de la nuance directionnelle autrefois exprimée par la terminaison -t dans les suffixes d’allatif.

L’allatif terminatif, quant à lui, est exprimé dans notre corpus par environ huit suffixes.

Premièrement, le morphème -dano n’est que très occasionnellement relevé —essentiellement dans les formes egundano ‘jusqu’à aujourd’hui’ & oraidano ‘jusqu’à maintenant’—. Par contre, le suffixe -drano devint l’option majoritaire du terminatif dans les substantifs exprimant lieu ou temps —toutefois, ce suffixe s’éteignit durant le XIXe siècle—.

Deuxièmement, le pair -rano & -alano est le résultat de l’ajout de l’élément -no aux suffixes d’allatif. Troisièmement, la séquence -ra(d)ino, qui porte un vestige de la proto-forme *din

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(< *-ra + *din + non), et est connue partout, est absolument minoritaire dans le corpus du souletin. Finalement, les postpositions artio & artino (< arte + *din + *-no(n)) ont été en usage en souletin historique et, à partir du XIXe siècle, elles se sont répandues dans le reste des parlers d’Aquitaine ; dans notre corpus arte n’est jamais utilisé avec valeur terminative.

Le polymorphisme de l’allatif terminatif est un signe de développement tardif. Toutes les possibilités ci-dessus exposées renvoient à un ancien élément -no qui exprimait l’idée de terminus ; il s’agit du même -no qui apparaît dans la morphologie verbale des parlers aquitains, avec une valeur terminative référée au temps (cf. gireno ‘tant que nous serons’

dügüno ‘tant que nous aurons’ etc.). Initialement, cet élément *-no(n) se serait ajouté à des formes de valeur temporelle (*da, les adverbes, etc.), qu’elles aient porté le suffixe d’allatif -ra (*da-ra-no) ou non (*da-no). Les substantifs exprimant lieu ou temps, eux aussi déclinés à l’allatif, pouvaient prendre -no (-ra + -no & -ala + -no), occasionnellement avec l’insertion de la racine *din (*-ra-din-(n)o). A un moment donné —forcément antérieur à la période historique du souletin—, la séquence -d(a)rano, initialement réservée aux adverbes, s’étendit aux substantifs.

Enfin, le destinatif rendu en basque unifié actuel par la séquence -rako est également connu en souletin sous les formes -ra(t)ko & -ala(t)ko, dont le -t- peut apporter les nuances sémantiques que nous avons exposées (§ 4.3.2.3). L’identification de -rako comme le destinatif réservé aux êtres non-animés (cf. Hualde & Ortiz de Urbina 2003 : 186) s’estompe en souletin, car cette terminaison peut être ajoutée aux noms des animés et, à l’inverse, les marques de bénéfactive -(r)ntzat & -(r)entako —en basque unifié réservées aux animés—

peuvent être utilisées sans distinction.

4.3.2.5. La postposition beitha

Comme il arrive dans tous les dialectes orientaux, en souletin la postposition baitha (beitha à partir du XVIIIe siècle) peut être employée pour la déclinaison des cas locatifs des êtres intelligents (Tableau 21). Or, dans notre corpus cette possibilité est très minoritaire par rapport aux autres.

L’élément qui précède baitha peut être à l’absolutif ou au génitif. L’explication conventionnelle des options de marquage a mis l’accent sur la catégorie de l’élément à gauche ; notre examen des données souletines suggère néanmoins une évolution. En effet, jusqu’au XIXe siècle le marquage au génitif du mot précédant baitha- est presque marginal, et c’est l’absolutif qui prévaut quelle qu’en soit la catégorie.

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En considérant l’intégrité du domaine de la postposition baitha-, nous avons proposé qu’à un stade initial l’élément à gauche était universellement marqué à l’absolutif. Puis, quelques parlers commencèrent à marquer les pronoms personnels au génitif, et cet usage se serait progressivement répandu au reste des catégories. Compte tenu des données des autres dialectes au temps du Basque Archaïque et Ancien, et du fait que les parlers les plus orientaux ont conservé la syntaxe ancienne, nous avons situé l’innovation du marquage au génitif dans l’aire centrale du domaine basque (haut-navarrais et labourdin).

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