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Contact linguistique

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 73-80)

VERSION FRANÇAISE

2. Aspects méthodologiques

3.4. Situation du corpus 1. Editions

3.4.4. Les aspects linguistiques 1. Histoire de la langue

3.4.4.5. Contact linguistique

Durant les derniers deux millénaires, le basque a subi l’influence profonde du latin, puis des langues romanes. Bien que ses traces soient spécialement abondantes dans le lexique —même mensurables—, ce contact à long terme a façonné tous les autres niveaux de la langue, dès la phonologie à la syntaxe, et ce à des degrés variables. Les conséquences de ce contact

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linguistique deviennent particulièrement évidentes dans les parlers périphériques ; à cet égard, Michelena (1958) a souligné, entre d’autres arguments, le caractère hautement romanisé de la variété du dictionnaire de Landuccio comme l’un des indices qui signalaient l’existence d’un dialecte non conceptualisé auparavant : l’alavais —néanmoins, Urgell (2008) a nuancé l’hypothèse de Michelena—.

Il est bien connu que, sur le plan historique, au Nord du Pays Basque l’influence exercée par le français n’a pas été comparable à l’influence castillane sur les dialectes méridionaux, pour la simple raison que le Sud de la France parlait la langue d’oc. Autrement dit, pour l’euskara, le contact avec le français est plus récent que celui avec le gascon, auquel il est venu se superposer. Par rapport à l’évolution de la situation sociolinguistique dans le Pays Basque aquitain, cf. Oyharçabal 2001a & 2001b et Etxagibel 2015 ; pour la pénétration tardive du français en Béarn, voir Brun 1929, Trotter 2006 et Mooney 2016. Quant aux changements causés par le contact avec le français, le projet Norantz (Oyharçabal, Epelde & Salaberria 2009) offre des informations précises référées à bon nombre de variétés locales, concernant autant l’adaptation phonologique des emprunts que la perte de certaines oppositions.

Au Nord, le gascon6 a donc été la langue romane qui a influencé le basque de façon plus persistante. Si le même phénomène se produit avec le castillan à l’ouest, à l’est c’est en Soule que le contact avec le gascon a été spécialement important. Les relations basque/gascon ont attiré l’attention de nombreux chercheurs. Les romanistes comme les bascologues ont examiné les coïncidences entre les deux langues dès les perspectives du contact et de la linguistique aréale, mais surtout dès la théorie du substrat. Dans les mots de Luchaire, les Gascons ne seraient que « des Aquitains qui ont été conquis par la langue latine » (1877 : 69), ce qui explique la longe série de processus phonologiques partagés par basque et gascon,

6 Quant à la dénomination de cette langue romane, les termes occitan, gascon et béarnais ne sont pas des options neutres ni, en dépit du fait qu’ils soient souvent confondus, interchangeables. Même si l’on conçoit le béarnais comme un groupe de variétés gasconnes plutôt « pyrénéennes », et le gascon dans son ensemble comme un dialecte de l’occitan —pourtant Rohlfs (1935) le voulait comme une langue au même titre que le catalan—, les buts de notre recherche nous conduisent parfois à privilégier l’un ou l’autre glottonyme, c.-à-d. tantôt gascon, tantôt béarnais. Au-delà des préférences des locuteurs et des romanistes, du point de vue de la bascologie le terme gascon dévient plus naturel lorsque l’on fait référence à l’influx exercé par les variétés romanes d’Aquitaine sur la langue basque ; pourtant, lorsqu’il est question d’aborder l’influence des variétés frontalières avec les dialectes basques orientaux, béarnais est le terme les plus précis, car il signale la voie de pénétration gasconne qui touche plus spécifiquement la Soule et les zones limitrophes de la Basse-Navarre, et qui est à l’origine de certains phénomènes en général absents dans les dialectes labourdin et bas-navarrais.

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comme l’aspiration de f latin, la perte de n intervocalique ou la protase avant r initial (Rohlfs 1970 [1935] ; Jungemann 1955 ; Michelena 1956 & 1964 ; Gorrochategui 1984). Malgré tout, Burov (2014) a récemment étudié ces traits phonologiques partagés en s’éloignant de l’explication du substrat.

Les interrelations postérieures entre basque et gascon ont également fait l’objet de nombreuses études. Quelques-unes se sont focalisées sur le niveau de la langue le plus facilement changé par le contact : le lexique (Peillen 1990 & 1998 ; Coyos 2001, 2006, 2008

& 2010). A un autre niveau, Lafon (1965) a expliqué l’origine de la voyelle /y/ par le contact avec l’occitan ; Allières (1993) a mis en relation les traditions graphiques béarnaise et basque, et Coyos a examiné l’adaptation phonologique entre les deux langues et les emprunts de morphèmes dérivationnels (2008). D’une perspective plus ample, les travaux de Rohlfs (1935), Haase (1992a), Cierbide (1987) et Allières (1992) nous semblent indispensables.

En ce qui concerne l’évolution de la position des langues au Pays Basque aquitain, deux facteurs méritent, d’après nous, une attention particulière. Premièrement, l’influx gascon est arrivée dans les provinces basques par deux directions : i) dès les variétés landaises vers le Labourd et les terres nord-occidentales de la Basse-Navarre (Agramont) ; et ii) du Béarn vers la zone nord-oriental de la Basse-Navarre (pays de Mixe) et la Soule (Orpustan 1987 : 31) ; cette double voie d’influence gasconne a des conséquences dans les emprunts ou calques, parfois clairement indentifiables dans les parlers basques. Deuxièmement, la chronologie de la pénétration de la langue française ne semble pas uniforme : malgré le manque d’informations précises à ce respect, il se peut que le français se soit étendu plus tardivement en Soule qu’en Labourd. En effet, le prestige et la vigueur du gascon ont persisté davantage en Béarn —rappelons-nous, un Etat souverain jusqu’au XVIIe siècle— que nulle part ailleurs.

Cette sorte de muraille protectrice expliquerait le fait que la pénétration de la langue française dans les régions nord-orientales du Pays Basque ait été spécialement tardive.

A ce point, il convient de rappeler que les limites entre la Soule et le Béarn ne coïncident pas avec la frontière linguistique : il y a des communes souletins de langue gasconne, ainsi que des communes béarnaises qui parlent basque.7 Au cours de l’histoire, les Basque de Soule ont

7 Peillen utilise les termes Soule gasconne, Soule basco-gasconne et Béarn bascophone ; d’après lui « Sont de langue béarnaise actuellement trois communes souletines : Osserain, Rivareyte et Gestas ; Montory est basco-gasconne » (1989: 109-111). Quant au Béarn, Peillen mentionne des « hameaux bascophones de

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tissé des rapports étroits avec leurs voisins Béarnais, suite à de multiples facteurs (Larrasquet 1928 ; Peillen 1993 ; Coyos 2001 ; Camino 2011 : 114-116). Ainsi, les conditions géographiques rendent spécialement aisées les communications des Souletins avec le pays de Mixe et le Béarn ; la division diocésaine de l’Église Catholique a rattaché la province de Soule au siège d’Oloron jusqu’au début du XIXe siècle ; l’organisation administrative postrévolutionnaire a séparé la Soule et la Basse-Navarre du Labourd dans des arrondissements différenciés (1790), puis la Soule a été incluse dans celui d’Oloron (1926).

Au niveau de l’intra-histoire, les rapports commerciaux, la transhumance, les mariages mixtes, etc., ont été choses courantes entre Souletins et Béarnais. Enfin, l’interrelation entre l’euskara et le gascon —et plus particulièrement entre le souletin et le béarnais— ne sont que la conséquence des liens naturels tissés entre deux peuples qui, autrefois, furent un. Il semble donc que la frontière linguistique n’ait guère entravé ces rapports entre voisins :

L'exceptionnelle rareté des affrontements politiques ou sociaux depuis deux siècles et plus, la rareté des incidents […], et ceci même et surtout aux régions étroitement limitrophes ou dans les communes « mixtes », constitue, pour une zone frontière, un fait sans doute sans équivalent. Ces remarques nous conduisent à penser que jamais la frontière linguistique n'a vraiment constitué un obstacle sérieux, une gêne pour l'entente ou la vie commune, la compréhension mutuelle, le respect des personnes et de l'identité des cultures (Milhères 1983 : 16).

Compte tenu de ce qui précède, beaucoup de Souletins ont eu besoin d’apprendre le gascon béarnais. Peillen (1993 : 294-295) mentionne la tradition nommée haur ordarika [= échange d’enfants], moyennant laquelle des familles autant souletines que béarnaises envoyaient leurs enfants chez les voisins, afin qu’ils apprennent leur langue et aussi un métier. Aujourd’hui encore, il reste des personnes âgées trilingues (basque, béarnais et français).8 Il va de soi que

communes béarnophones », et particulièrement la commune d’Esquiule, prise toujours pour un village basque (ibid. 111-113) ; Géronce est également considéré un village basque en Béarn. Pour plus de renseignements sur le basque du Béarn, voir Etxegorri 2003 & 2012. Enfin, Artola & Tellabide (1990 : 257-258) ont décrit quasiment maison par maison la frontière orientale du domaine bascophone.

8 Le projet Hiruele du centre IKER UMR5478 porte sur ce sujet. Voici son but : « recueillir les parlers et les repérages métalinguistiques (représentations, attitudes, souvenirs, réflexions sur le devenir de leurs langues) des locuteurs trilingues basque-gascon-français, et bilingues (basque-français) qui se trouvent dans les zones de contact traditionnel entre l’occitan à travers ses variantes locales gasconnes, d’un côté, et le basque de l’autre. »

<http://www.iker.cnrs.fr/-hirulele-.html?lang=fr> [dernière consultation : 25-2-2017]

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ces rapports profonds ont laissé une empreinte dans la langue, au point que le souletin soit le dialecte basque le plus marqué par l’influx gascon, du moins au cours des derniers siècles.

Quant à l’intensité des phénomènes de contact linguistique, diverses échelles ont été proposées (Thomason & Kaufmann 1988 ; Field 2002 ; Matras 2007 & 2009). En général, certains changements subis par le basque souletin s’expliquent en raison d’un contact intensif entre langues, « A type of language contact including much bilingualism among borrowing-language speakers over a long period of time » (Thomason y Kaufman 1988: 50), les conséquences en étant l’emprunt lexical massif et l’emprunt structurel de modéré à profond, spécialement aux niveaux phonologique et syntaxique. Au sujet des changements opérés par ces situations de contact intensif dans l’inventaire catégoriel, Heine & Kuteva affirment ceci : « Contact situations, except for cases of attrition, tend to lead not to the reduction and loss of existing grammatical categories, but rather to diversification and to the creation of new grammatical categories in one language on the model of another language » (2005 : 258 apud Epelde & Jauregi 2011 : 984).

Arrivés à ce point, et malgré de nombreux travaux qui ont abordé les relations entre basque et gascon, l’influence béarnaise dans le basque souletin des derniers siècles n’a pas été suffisamment étudiée. Comme cette thèse le mettra en relief, le souletin montre les traces de cet influx non seulement aux niveaux lexique et phonologique — au-delà des éléments qui ont déjà été décrits, nous en proposerons quelques autres (§ 4.1 et, en profondeur, I, §§ 1 & 2) — mais aussi aux niveaux morphologique et syntaxique (cf. IV, § 3 & VII, § 2). A notre avis, cette influence de source béarnaise doit être évaluée dans une mesure appropriée.

Il convient en outre de rappeler que, dans le cas souletin, les phénomènes de contact deviennent plus complexes qu’en d’autres zones du domaine linguistique basque, car le jeu des langues ne s’y est pas limité à deux variétés. Conformément à l’idée des Pyrénées comme un lieu d’échange, on peut concevoir une Soule placée « au cœur d’un carrefour des langues » (Padilla-Moyano 2017c) : le français s’y est superposé au gascon, et l’espagnol aussi a joué un certain rôle (Peillen 1986b), sans oublier la place historique du latin. En conséquence, même si dans les siècles passés une partie significative de la population s’est tenue bascophone monolingue, les Souletins ont conformé une communauté plurilingue, dont les manifestations sont clairement percevables dans la littérature populaire, où il n’est inhabituel de trouver des passages bilingues ou plurilingues (Urkizu 2002 ; Padilla-Moyano 2017a).

Nous voudrions conclure cette section avec les paroles de Maister au sujet de la naturalité de ce jeu des langues :

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Besthalte escolan dabiltçan haurrec uduri da abantalla haur jardiexiren diela, uscararen iracourten ikhasten dielaric, hala noula latia eta francesa ikhasten beitutie, hanitcheç ehignerago gogouan etchekiren dutiela catichiman eracousten çaitcen eguia saintiac, eta Jincouaren laidoriouen canticouac; erregentec eracouxi deikeyenian bere lengouagiaren hagn laster iracourten, noula bestetan trebatcen beitutie. (Maister 1757: ix-x)

= Par ailleurs, il semblerait que les enfants qui fréquentent l’école obtiendront cet avantage lors qu’ils apprennent à lire le basque de la même manière qi’ils apprennent le latin et le français ; que beaucoup d’entre eux retiendront plus facilement les saintes vérités que leur sont enseignées dans le catéchisme, et les cantiques de louange de Dieu, quant les maîtres leur enseigneront à lire leur langue ainsi que s’exercent sur les autres.

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