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Le génitif et les morphèmes casuels qui s’y agglutinent 1. Les valeurs du génitif

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 88-91)

VERSION FRANÇAISE

4. Conclusions de l’analyse linguistique

4.3. Le système casuel

4.3.1. Le génitif et les morphèmes casuels qui s’y agglutinent 1. Les valeurs du génitif

En nous basant sur des preuves textuelles, nous avons développé l’hypothèse —déjà esquissée par Azkarate & Altuna (2011) — selon laquelle l’ancien génitif basque pouvait exprimer une série de valeurs parmi lesquels nous comptons entre autres la possession, l’expérimentation, la bénéfaction (ou maléfaction), la cause, le motif, la durée et la réception. Cette polysémie du génitif est habituelle dans les langues indoeuropéennes (Nikiforidou 1991).

Suite à la grammaticalisation d’un groupe de postpositions, durant le Moyen Âge, quelques nouveaux marqueurs casuels émergèrent en basque. Le premier d’entre eux fût probablement le comitatif -(r)eki(n), ajouté à l’ancien suffixe de génitif -(r)e, sans n final. Puis le motivatif -(r)(en)gati(k) qui, selon Michelena, serait un calque des langues romanes (gén. + causā / por causa de → gai ‘chose’ + ti(k) [suffixe perlatif]) (FHV 92). Finalement, les plus récents des suffixes casuels formés sur la base du génitif semblent avoir été les marques de bénéfactif -(a)rentzat & -(a)rentako, dont les éléments -tzat et -tako peuvent toujours être utilisés à leur propre titre comme des suffixes pour le cas nommé « prolatif » dans la tradition de la bascologie.

La consolidation des nouveaux suffixes casuels eut comme conséquence logique la restriction sémantique de l’ancien génitif basque aux valeurs connues aujourd’hui, fondamentalement celles plus étroitement associées à l’idée de possession. Malgré tout, l’ancien génitif ne perdit pas subitement la capacité d’exprimer ses anciennes valeurs. Suivant le concept sémantique

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de catégorie radiale (cf. Benvenuto & Pompeo 2012: 156), le suffixe nu de génitif aurait d’abord cessé d’exprimer les valeurs les plus distantes du core meaning.

A cet égard, l’évolution du bénéfactif nous a paru la plus remarquable parmi les nouveaux suffixes casuels. En Basque Archaïque (XVe et XVIe siècles), même si les nouveaux suffixes -(a)rentzat & -(a)rentako sont déjà bien enracinés dans la langue, le témoignage du suffixe de génitif nu avec signification bénéfactive est général ; dans les siècles suivants on ne le relève que dans les parlers aquitains, et de plus en plus limité à l’extrémité orientale — même aujourd’hui il en reste quelques usages fossilisés comme kaka hire ‘merde pour toi’, dont hire est la forme de génitif du pronom de 2e personne—. En ce qui concerne les nouveaux suffixes de bénéfactif, le corpus du souletin historique montre clairement que l’option naturelle y est -(a)rentako ; quant au suffixe -(a)rentzat, lui aussi est connu, mais uniquement chez les écrivains les plus réceptifs à l’influence de la tradition littéraire labourdine.

4.3.1.2. Le motivatif

Nous avons démontré que les textes souletins conservent certains vestiges de l’époque où le morphème de génitif exprimait naturellement les valeurs du motivatif (cause et motif). Etant donné que la marque casuelle -(r)(en)gati(k) est ancienne —car elle est un trait commun de la langue—, le fait que nous ayons relevé des exemples « productifs » de l’usage ancien jusqu’au XIXe siècle —hors les fossiles indiqués par Azkarate & Altuna (2001 : 108) — peut être considéré comme un archaïsme exceptionnel.

En ce qui concerne le suffixe spécifique de motivatif, les données du corpus montrent qu’en souletin l’utilisation de -gati(k) se tient à la distribution ancienne jusqu’à une époque récente : avec les substantifs au singulier, elle est directement attachée à l’absolutif (gizonagati(k)

‘pour / à cause de l’homme’), tandis qu’avec les substantifs au pluriel et les démonstratifs (sing. + plu.) elle suit le supposé « génitif archaïque » sans n, ce qui donne la séquence -egati(k) (gizonegati(k) ‘pour / à cause des hommes’). A partir de certaines asymétries jusqu’à présent non expliquées, nous avons argumenté que le prétendu « génitif archaïque » de la séquence -egati(k) n’est que le e qui émerge dans la déclinaison et d’une manière plus claire dans le paradigme des démonstratifs. Ce e a été défini comme épenthèse ; récemment Lakarra (2016) l’a analysé comme le vestige d’un morphème d’origine proto-basque qui serait devenu une sorte de marqueur de base de dérivation.

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Quant à la variation morphologique du suffixe -gati(k), dans les textes souletins la distribution des options avec ou sans -k final ne permet de déduire aucune évolution sur le plan diachronique. Quoi qu’il en soit, le polymorphisme du motivatif est identique à celui du cas ablatif (-gati & -gatik face à -ti & -tik), ce qui renforce l’hypothèse selon laquelle le morphème de l’ancien perlatif -ti est à l’origine de la marque -gati(k).

Par ailleurs, depuis le XVIIe siècle les dialectes basques d’Aquitaine témoignent d’un changement dans l’expression du motif étroitement lié à la situation de contact linguistique.

Plus précisément, les suffixes de bénéfactif se sont étendus aux valeurs exprimées en français par la préposition pour (cf. Pikabea 1993 : 148-160), y compris l’expression du motif (cf. milesker liliendako ‘merci beaucoup pour les fleurs’). Par conséquence, l’usage du suffixe de motivatif -(r)(en)gati(k) s’est limité à la valeur causale (bere amaren heriotzagatik negar egiten du ‘[Il/elle] pleure à cause de la mort de sa mère’).

Tandis qu’en labourdin le processus est commencé au XVIIe siècle et accompli au XIXe (cf. Pikabea ibid.), pour le souletin notre étude a décrit une chronologie plus tardive d’un siècle et demi. Ce décalage entre les traditions labourdine et souletine indique un changement irradié dès les zones où le contact avec le français a été plus précoce (cf. § 3.4.4.5). De plus, en souletin le nouvel usage apparaît plutôt lié au morphème -(r)entzat —rappelons-nous, l’option de bénéfactif minoritaire dans le corpus du souletin et, en principe, « étrangère » aux parlers les plus orientaux— ; cela suggère une influence de type littéraire.

4.3.1.3. Le comitatif

Le comitatif clôt notre étude sur l’évolution des marques casuelles attachées au morphème de génitif. En tant que cas indépendant, le comitatif basque a très vraisemblablement substitué l’une des anciennes valeurs de l’instrumental ; en fait, en biscayen le morphème de comitatif est composé d’un élément -ga- plus la terminaison d’instrumental -z (katuagaz ‘avec le chat’).

Dans le reste des dialectes, y compris la partie orientale du biscayen, le suffixe de comitatif est -(r)ekin.

Plus intéressant pour nous, dans les variétés orientales le comitatif est un cas polymorphe dont la variation repose sur deux axes : d’une part, les suffixes avec ou sans n final ; d’autre part, les suffixes « courts » ou « longs », c.-à-d. -(r)eki(n) vs. -(r)ekila(n). Par rapport à la première dichotomie, et conformément à l’état de choses connu dans les dialectes orientaux, en souletin le suffixe de comitatif tend vers l’absence de -n.

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Quant à la compétition entre les morphèmes -(r)eki & -(r)ekila(n), les témoignages du dernier sont très minoritaires. Sur ce point, les résultats les plus prometteurs de notre étude concernent la distinction sémantique entre les deux morphèmes. En effet, l’état actuel de connaissance n’accorde aucune différence de valeur entre le suffixe -(r)eki(n) et son pair -(r)ekila(n). Pourtant, en partant des nuances décrites par Gavel (1929 : 26) et Lafitte (1944 § 142) —qui préconisaient pour le suffixe « allongé » -(r)ekila(n) la valeur originaire d’allatif liée à l’élément -la— nous avons relevé des traces d’une distinction ancienne sur la base du mouvement.

Plus précisément, nous avons argumenté que la valeur originaire du morphème -(r)ekila aurait impliqué un mouvement dans le sens de Gavel et Lafitte, c.-à-d. un mouvement d’allatif vers l’être ou l’objet accompagné (accompanee). Au fil du temps, cette valeur précise se serait étendue à toute sorte de mouvement en coparticipation avec l’ « accompagné ». Dans une dernière étape, le suffixe -(r)ekila(n) aurait perdu ses nuances sémantiques pour devenir allomorphe du morphème -(r)eki(n). Au-delà des vestiges textuels, nous nous sommes appuyés sur deux arguments. Premièrement, dans les textes orientaux la séquence -(r)ekila(n)ko (basque unifié -(r)ekiko) n’est presque jamais attestée sous la forme

« courte ». Qui plus est, sa valeur, qui comporte une idée abstraite de mouvement, peut être également exprimée par la séquence -(r)(en)gana(t)ko, construite à partir du morphème d’allatif réservé aux êtres intelligents, **-(r)(en)gango étant impossible. Deuxièmement, nous avons trouvé un parallèle pour la distinction entre les deux comitatifs. En effet, le système casuel du chhantyal, langue tibéto-birmane typologiquement très proche du basque, fait une distinction entre comitatif et comitatif-allatif (cf. Noonan, Bhulanja, Chhantyal & Pagliuca 1999: 3-4).

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