• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 – Démarche de recherche

3.4 Analyse et codage

3.4.1 Quelques notions sur l’analyse qualitative

Parmi les treize entrevues réalisées, les cinq premières ont été retranscrites intégralement, afin de réaliser une écoute analytique de l’enregistrement. Cette préanalyse permet entre autres de repérer les pistes de recherche intéressantes, la confrontation de nos idées de départ, le repérage de récurrences, etc. Elle permet ainsi d’orienter mon attention et par la même occasion de construire une grille analytique permettant d’objectiver mes données (Van Campenhoudt et Quivy, 2011). Quatre autres entretiens, sélectionnés par leur pertinence et la qualité des échanges, ont ensuite été retranscrits quasi intégralement37. Trois entrevues ont été retranscrites de manière partielle, notamment à cause de la répétition de propos déjà évoqués dans les entrevues précédentes, mais également parce que les échanges étaient de moins bonne qualité. Enfin, une entrevue n’a pas du tout été retranscrite, dû à la fois à la récurrence des propos et à la pauvreté des échanges.

Les données discursives construites dans les entretiens réalisés auprès des personnes répondantes ont été analysées afin de faire émerger des logiques sociales et rendre compte de mon objet de recherche, soit le rapport au travail. Pour résumer rapidement, le moment de l’analyse correspond au « chiasme épistémologique » (Hamel, 2010a), c’est-à-dire dans lequel le chercheur opère un changement entre la connaissance de sens commun (savoirs locaux, indigènes) à la connaissance sociologique en ayant recours à des concepts et théories. Ainsi, l’analyse, entreprise centrale dans un travail de recherche scientifique, vise d’abord l’« adéquation empirique » recherchée des sciences sociales ancrée dans leurs données, soit « l’adéquation entre le réel de référence pris comme objet et les interprétations et théorisations

37 Les passages non retranscrits étaient ceux qui n’étaient plus utiles pour répondre aux objectifs de

recherche. Si certaines questions visant à cerner le travail concrètement réalisé au quotidien étaient utiles pour comprendre la réalité du travail de ces individus, les réponses sont rapidement devenues répétitives et perdaient de leur intérêt à la retranscription. Également, les questions plus spécifiques portant sur le milieu de la santé sont devenues obsolètes, car j’ai réalisé qu’elles ne répondaient pas adéquatement aux objectifs de recherche, comme mentionné un peu plus tôt.

70

qu’en propose le chercheur. » (Olivier de Sardan, 2008 : 9, soulignage retiré). Toute la difficulté réside donc dans la rigueur de cette analyse, tout en faisant attention à ne pas faire « violence » aux données par des interprétations erronées, qu’elles soient « surinterprétées » ou « sous- interprétées » (Ibid. : 259).

L’analyse des données construites sera l’occasion de faire confronter à la fois les savoirs locaux de mes informateurs à la théorie construite dans le même mouvement. Mon attention comme chercheur sera double dans l’analyse discursive : « [le chercheur] peut s’intéresser soit aux faits objectifs qui sont visés par les propos, soit aux conditions de production de la vérité » (Kaufmann, 2011 : 64). En d’autres mots, cela correspond au « récit de pratiques » objectivées ainsi qu’au sens et aux représentations subjectives du travail.

Pour ce faire, il a fallu orienter mon analyse autour des récurrences propices à faire émerger les logiques sociales communes permettant la construction idéal-typique d’un ou de plusieurs ethos. Il fallait également prendre en compte les « cas négatifs », soit les cas qui semblent isolés de mon corpus, pouvant faire émerger des pistes de recherches dans le futur ou encore reformuler ma théorie. Cela dit, si les sociologues qualitatifs suggèrent d’atteindre un point de saturation comme fin de terrain, c’est-à-dire lorsque les entretiens ne produisent plus de nouvelles connaissances, il demeure difficile d’atteindre ce point de saturation dans le cadre d’un mémoire de maîtrise (Bertaux, 2016; Kaufmann, 2011).

L’analyse des données a été réalisé principalement à l’aide du logiciel Atlas.TI, développé à la suite de l’émergence de la « Grounded Theory » (Hamel, 2010b), notamment parce que le logiciel permet de construire des concepts à partir des données, grâce aux fonctions de codage, de classage des données et d’analyse transversale d’entretiens retranscrits. Pour le sociologue Jacques Hamel, l’intérêt du logiciel réside non pas tant dans la facilitation de l’analyse des données, mais bien dans l’explicitation obligatoire des étapes de l’analyse, trop souvent négligées par les thésards et étudiants de maîtrise ayant recours aux principes de la « théorisation ancrée ». En effet, selon le chercheur, l’un des problèmes de la théorisation ancrée et plus largement des méthodes qualitatives réside dans le raccourci intellectuel réalisé dans les étapes de recherche : puisque les concepts et théories étaient construits à partir même

71

des données, il semblait futile pour les étudiants d’en expliciter les étapes d’élaboration analytique. L’intérêt du logiciel est justement de forcer le chercheur à expliciter chaque étape de la conversion des connaissances de sens commun construites dans l’entretien aux connaissances sociologiques à la suite de l’analyse. Pour Pierre Bourdieu, l’étape de l’analyse des données ou le « chiasme épistémologique », correspond ainsi à trois étapes imbriquées dans un même moment, soit « décrire, comprendre et expliquer » (Hamel, 2010a et 2010b). Cela dit, si les processus cognitifs à l’œuvre dans cette triade analytique sont difficilement séparables, le logiciel Atlas.TI

« permet d’observer, voire de déterminer exactement toutes les opérations mentales de l’analyste quand il s’évertue à décrire et à interpréter les données qui sont l’objet d’analyse et à les intégrer au cadre de la connaissance sociologique qui, on l’a noté, s’établit sur le registre de la pensée formelle que représente la théorie. » (Hamel, 2010b : 174)

Brièvement, si le logiciel d’analyse est utile sur l’angle pratique de l’analyse des données retranscrites par le recours à divers outils, il est aussi particulièrement pertinent dans l’explicitation des étapes cognitives en jeu lors de l’analyse. Le logiciel n’a donc pas réalisé le travail à ma place : c’est mon intervention dans les données, la rigueur de mon analyse et l’usage adéquat de concepts et théories qui m’auront permis d’avancer et de réaliser un travail de recherche de qualité.