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Le marché lucratif de l’industrie pharmaceutique

Chapitre 2 – L’industrie pharmaceutique et le travail des

2.1 Le marché lucratif de l’industrie pharmaceutique

L’industrie pharmaceutique ou l’industrie de la santé plus largement, s’est véritablement érigée en marché lucratif au milieu du 20e siècle, notamment par les avancées technologiques créant beaucoup d’attentes sur vertus curatives des médicaments. Cependant, les nouvelles découvertes en pharmacologie ont rapidement décliné vers la fin du 20e siècle et seraient finalement très marginales aujourd’hui. On note ainsi une importante baisse des avancées thérapeutiques, incluant les nouveaux produits pharmaceutiques mis sur le marché. Dans une étude réalisée en France en 2008, on rapporte que sur 120 nouveaux produits, 6 fournissaient une avancée thérapeutique contre 105 qui n’en fournissaient pas (Gagnon, 2011). L’une de mes personnes répondantes a d’ailleurs avancé un mot à ce sujet :

« Aujourd'hui […] de la vraie innovation pure dans le pharma, il y en a de moins en moins. Les belles années sont derrière. Maintenant on est plus dans des combinaisons de molécules. […] on est dans trouver des nouvelles indications à certaines molécules ».

Il est alors légitime de s’interroger sur l’explosion des coûts dans le secteur de la santé, notamment en ce qui a trait aux produits pharmaceutiques. Au Québec, les dépenses publiques

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pour les médicaments en dollars courants sont passées de 45,4 M$ en 1975 à 3 753,4M$ en 201615 (ICIS, 2018), une augmentation de 1 344%. Dans le budget total de la santé publique, les médicaments représentaient 1,7% des dépenses en 1975 pour maintenant représenter 10,5% des dépenses assumées par le secteur public au Québec (ICIS, 2018). Dans le secteur privé, soit les coûts assumés par les assureurs privés ainsi que les particuliers, les dépenses en médicaments étaient de 243,3M$ en 1975 pour s’élever à 5 764,4M$ en 2016 (ICIS, 2018), soit une augmentation de 906%. La part des dépenses en médicaments parmi le total des dépenses en santé assumées par le privé a connu une faible augmentation, passant de 34,0% en 1975 à 37,2% en 201616 (ICIS, 2018).

Cette hausse des dépenses s’explique par divers facteurs : croissance des prix des médicaments dont le contrôle par le régime public serait déficient (Cambourieu et al., 2013); une « cartellisation » par la maximisation des brevets et le rachat d’entreprises par les grandes entreprises pharmaceutiques, nuisant à la concurrence dans les marchés (Gagnon, 2011); dépenses massives dans le secteur du marketing, supplantant largement les dépenses réalisées en recherche et développement. En effet, selon un échantillon de dix grandes entreprises pharmaceutiques aux États-Unis, une recherche a relevé qu’elles avaient dépensé 739 milliards de dollars entre 1996 et 2005 en comparaison à 288 milliards de dollars pour la recherche et le développement de nouveaux produits (Bonneville et Nahon-Serfaty, 2009).

Avec des innovations se faisant de plus en plus rares, ce changement de paradigme opéré par les entreprises de l’industrie pharmaceutique est lié à la financiarisation de l’économie capitaliste, celles-ci devant se rendre attrayantes pour le secteur financier et donc tenter de maximiser ses gains à court terme (Lexchin, 2018). Cela coïncide également avec l’échéance de nombreux brevets dans le milieu des années 2000 de médicaments « blockbuster », c’est-à-dire

15 Ces valeurs incluent les dépenses conjointes du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial au

Québec. Il est possible de consulter la part de dépense du gouvernement provincial uniquement dans les données du ICIS. Cependant, ces dernières ont été choisies afin de présenter dans sa globalité le portrait des dépenses publiques au Québec.

16 Il est intéressant de noter une importante chute de la part des dépenses en médicaments assumées par

le secteur privé à la suite de l’adoption de mesures graduelles sur la gratuité des médicaments au courant des années 1970. En effet, elle décroît graduellement jusqu’à atteindre 19,0% en 1980, que l’on peut possiblement associer à ces mesures.

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des médicaments générant plus de 1 milliard de dollars en chiffre d’affaires dont la source de profits provient de l’important volume de vente, ouvrant la porte à la production de générique et à une concurrence plus forte et ainsi à une baisse des prix (Geymond et Hébert, 2019). La stratégie de la production pharmaceutique s’est donc orientée plutôt vers la recherche, le développement et la vente de produits niches, dans le cas de maladies rares où la concurrence est faible et justifie des prix très élevés (Lexchin, 2018).

La recherche pharmaceutique ne cherche plus nécessairement à développer des produits utiles pour un maximum de patients, mais surtout de « sélectionner » un « petit nombre d’aires thérapeutiques » choisies pour leur « rentabilité supérieure à d’autres » notamment en ce qui a trait aux pathologies chroniques ou des traitements de longue durée (Geymond et Hébert, 2019).

Outre ce développement de produits spécifiques sélectionnés pour leur rentabilité, des chercheurs ont relevé cinq stratégies de marketing qui cherchent à augmenter la consommation de médicaments : 1) Construire des problèmes en pathologies médicales afin d’en offrir la solution; 2) Séparation de la maladie en multiples pathologies; 3) Ajout de valeur ajoutée en rendant certains médicaments sans ordonnance plus polyvalents en rendant la durée de vie de produit plus longue17; 4) Intérêt prononcé pour des maladies rares et graves justifiant du même coup des tarifs très élevés; 5) Saisir les « crises » de santé publique ou de problèmes de santé faisant l’objet d’une large couverture médiatique pour les convertir en opportunité d’offrir à son tour des produits « sans risque » en réponse à la crise d’origine18 (Bonneville et Nahon-Serfaty, 2009). En somme, l’industrie pharmaceutique cherche plutôt à maximiser sa rentabilité à court terme en nuisant à la concurrence par la maximisation de molécules brevetées et en se

17 On peut penser notamment aux produits à base d’acétaminophène se déclinant en multiples usages : fort, extra-

fort, jour/nuit, rhume, grippe, sinus, etc.

18 Les chercheurs expliquent une situation dans laquelle la thérapie hormonale substitutive (THS) s’est retrouvée en

situation de crise à la suite de la publication des résultats de l’étude Women’s Health Innitiative (WHI) faisant état des effets néfastes de la thérapie pour les femmes en ménopause. Alors que les THS connaissaient des baisses de vente et de prescriptions, de nouveaux médicaments sont entrés sur le marché afin de répondre à cette crise, mettant l’accent sur les bénéfices du traitement d’origine, mais surtout sur l’élimination de l’effet secondaire associé à la dangerosité et au risque. « L’étude WHI a eu comme effet une réorganisation du marché de la ménopause. D’abord, la visibilité du sujet a contribué à un « nouveau dialogue » entre médecins et femmes sur la nécessité de bien traiter cette « condition » féminine. Par ailleurs, les préparations « non hormonales » ont gagné du terrain en mettant en valeur une promesse de moindre toxicité. » (Bonneville et Nahon-Serfaty, 2009 : 71)

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distinguant de la concurrence d’une part en alliant marketing et promotion agressive et d’autre part en développant quelques produits rares dans un marché thérapeutique où la concurrence est plus faible.