• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : Présentation et analyse des résultats

4.1 Présentation des idéaux-types

4.1.3 Le familial

4.1.3.1 La situation d’entretien avec Alain

Le premier entretien présenté est celui d’Alain, 52 ans, travaillant pour la même entreprise depuis près de 28 ans. Recruté grâce à une connaissance personnelle, je l’ai rencontré à son domicile de Laval un samedi matin où nous avons discuté confortablement dans ses sofas de cuir

93

au demi-sous-sol de la demeure. Ayant grandi avec un grand-père et un père médecin, un « milieu où la santé était importante », il a rapidement en contact avec le milieu pharmaceutique. Avant l’âge de 17 ans, il travaillait l’été à la clinique de son père situé dans le centre-ville de Montréal pour l’aider dans ses tâches administratives. Il voyait donc fréquemment les représentant.es pharmaceutiques, car « [s]on père était très proche de la compagnie pour laquelle [il] travaille. Il a fait beaucoup de recherches cliniques pour eux autres, ce qui [lui] a permis de connaître le représentant, de voir ce qu’il faisait. Ça m’a influencé me dit- il : "wow c’est une bonne industrie" ».

S’orientant plutôt vers l’administration des affaires à l’université avec une spécialisation en finance, il a ensuite étudié un an en économie « parce qu’[il] ne trouvai[t] pas d’emploi ». Il s’est alors trouvé un poste de représentant de conseil pour une firme de services financiers payés « uniquement à la commission », qu’il a occupé un an. Il a ensuite quitté ce poste, car il « n’avai[t] aucun salaire de base » et que « c’[était] assez difficile de dire bon : "Comment je vais m’établir" ». En faisant référence à s’établir financièrement et à l’idée de pouvoir fonder une famille, Alain m’indique dès le départ qu’il « vi[vait] moins bien avec cette instabilité-là, [ç]a crée un peu d’anxiété tout ça » et qu’il recherchait donc une stabilité d’emploi et de rémunération, car « tu ne sais jamais comment à la fin de chaque mois tu vas avoir. Est-ce que tu vas être capable de subvenir aux besoins de ta famille? » Pour lui, le milieu pharmaceutique était une manière d’atteindre cette stabilité non seulement par la rémunération qui est majoritairement constituée par un salaire de base annuel, mais également parce que la « santé, les médicaments, il n’y a pas vraiment de récession là-dedans […] c’est toujours un milieu qui est quand même assez stable, tout le monde aura besoin toujours besoin de médicaments pour [se] soigner ». Alain recherche donc avant toute chose une stabilité d’emploi et une rémunération garantie, les bonus lui apparaissent ainsi comme secondaires :

« De savoir que j’ai un salaire de base comme beaucoup de gens qui permet de prévoir l’avenir, quand tu veux t’acheter une maison, versus à la commission où est-ce que tu as des variations durant l’année. Des fois tu fais des années de fou puis d’autres années, tu fais moins. J’avais de la misère à vivre avec cette fluctuation-là. Donc, je cherchais quelque chose vraiment qui me permettait d’avoir un salaire de base plus une prime au rendement. Mais un salaire de base plus important par rapport à bon, si je réussis bien, je vais faire un peu plus. Ça me permettait de bien vivre. » (Alain)

94

Alain me raconte également que l’industrie pharmaceutique est très intéressante sur le plan de la rémunération, « les salaires sont excellents, les avantages sociaux sont bons, les voitures sont fournies, le gaz est payé, le dîner est payé » et que « les gens quand ils entrent dans cette industrie-là, c’est rare qu’ils en ressortent ». Alain se satisfait particulièrement des avantages sociaux « ils couvrent à 100% les médicaments, peu importe que tu aies n’importe quelle maladie. […] [et] on a tous les avantages : assurance vie, invalidité, plan de pension aussi » et les avantages pécuniaires. En somme, il ne désire pas bouger ou changer d’emploi, car il est bien dans son travail et que celui-ci permet à sa famille de vivre.

Sans que cela soit un objectif de carrière, on a offert à Alain la possibilité d’avoir une promotion au sein de la compagnie pour laquelle il travaille parce que ses patrons « valorisaient beaucoup, beaucoup, beaucoup son travail » et l’ont ainsi « influencé à avoir un poste supérieur ». Il a finalement « tent[é] sa chance ». Ses tâches consistaient à interagir avec le siège social à Toronto dans l’équipe marketing, un endroit où il n’avait néanmoins aucun « intérêt à déménager […] puis à vivre là » comme certains de ses collègues « qui vont faire des mouvements pour des promotions ». Force lui a été de constater que cette expérience, loin du « terrain », ne lui plaisait pas du tout. Le travail était trop stressant pour lui et ne correspondait pas à ses aspirations professionnelles, celles-ci consistant grosso modo à « faire [s]a petite affaire ». Alain affirme en outre qu’après un an dans ce nouveau poste il a « fait un genre de burn out », qu’il s’est senti « brûlé », qu’il « sentai[t] une pression » et qu’il ne se « voyait pas là », notamment parce que « gérer des programmes » et « engager quelqu’un puis le mettre à la porte, j’ai ben de la misère à faire ça ». Avec le recul, Alain s’est donc désisté de cette promotion, car après une remise en question, il s’est véritablement recentré sur ce qui le rendait heureux, c’est-à-dire, être sur le « terrain, de jouer dehors, d’aller voir mes clients » entre autres parce que cela lui permet de ne pas avoir de « misère à dormir le soir ». Bref, il se satisfait de son poste de représentant, car il a « un bon traitement donc […] un bon équilibre dans ma vie», car « j’ai fait ça toute ma vie ». Poursuivant sur ce qui le rend heureux dans son travail au quotidien, il ajoute qu’il a atteint un « équilibre formidable et c’est pourquoi j’adore ce poste-là tant que ça ». S’il souligne l’importante autonomie dont il peut jouir, il sait quand même qu’il doit « rendre des comptes »

95

et qu’il est « obligé d’avoir atteint [s]es objectifs de vente ». Tout compte fait, il s’en accommode, car il estime que cela lui permet de conserver du temps pour sa vie familiale :

« J’ai des obligations, mais je suis maître de mon horaire et ça, c’est l’affaire la plus… la plus importante pour moi […] [c’est que] [j]’ai beaucoup de temps pour mes enfants. C’est certain que mon patron ne sait pas tout ce que je fais toutes les minutes du jour. […] Je ne vis pas très bien avec un patron qui me respire dans le dos. […] Donc, je gère mes affaires, mais je suis responsable et je sais que j’ai des objectifs à vendre… à atteindre. J’ai des comptes à rendre puis je m’assure de les… de travailler à la hauteur des attentes de la compagnie, mais je garde mon équilibre, c’est-à-dire que je peux prendre soin de mes enfants, je peux étudier avec eux autres, je peux aller les chercher à l’école. Pour moi, c’est de l’or en barre cette liberté-là. » (Alain)

Au sujet de l’équilibre de vie et de la conciliation travail-famille, Alain souligne une importante différence générationnelle en comparant le travail de son père et le travail des médecins qu’il côtoie dans le cadre de son travail. Il constate que les médecins valorisent aussi la conciliation travail famille et que cela rend son travail plus ardu : « les jeunes recherchent beaucoup la qualité de vie, équilibre, vie de famille », ce qu’il explique surtout par la féminisation de la profession médicale, car « l’équilibre est souvent plus important pour [les femmes médecins] parce qu’elles ont des enfants puis elles veulent subvenir aux besoins de leurs enfants. » Ainsi, contrairement à son père qui travaillait de nombreuses heures, « les jeunes ne veulent plus travailler 80 heures par semaine ». Bien qu’il parle exclusivement des médecins dans ce cas-ci, son témoignage jusqu’ici nous indique une différence générationnelle dans le rapport au travail qui traversait l’ensemble des métiers et qui serait lié à la plus grande place qu’occupent les femmes sur le marché du travail.

Interrogé finalement à propos de comment il envisage la fin de sa carrière, il indique qu’il va « finir [s]a carrière comme représentant » dans la même entreprise en réitérant qu’il a de nombreux avantages sociaux qui lui permettent de « garder les assurances familiales à prix abordable » et de profiter de « 6 semaines de vacances », car « tout ça accumulé, c’est important ». Cela dit, il entrevoit la possibilité de perdre son poste à la suite d’une restructuration ou d’un rachat de compagnie, mais il estime qu’avec les années d’ancienneté qu’il a accumulé, il est à l’aise avec cette situation, car l’industrie devra lui payer ce qu’on appelle communément dans le milieu un « package » de départ, équivalent à environ un mois de salaire

96

par année travaillée pour une durée maximale de 2 ans46. En fait, non seulement il est confortable avec la situation, il semble plus ou moins espérer que cette situation se produise afin de pouvoir rapidement prendre sa retraite. En somme, « sachant ça, je me dis [que] je ne partirais pas parce que si jamais ils me veulent me laisser partir, je le sais que j’ai quelque part quelque chose comme 18 à 24 mois de salaire qui va être versé qui va être une assurance de plus pour moi et ma famille ».

Pour terminer, comme je l’ai évoqué un peu plus tôt, Alain a un sentiment de redevabilité élevé et détient une apparente désinvolture pour un emploi qu’il perçoit comme assez instrumental. Ainsi, sa réputation se manifeste également à travers son employeur : « Il faut que je la vive [cette réputation]. Je la vis moi-même […] il ne faut pas que j’encourage mes clients à utiliser mon produit hors indication pour en vendre plus parce que s’il y a un problème qui arrive […] moi je perds mon emploi. » Cela dit, sa propre réputation ne semble pas être vécue comme un atout sur le marché du travail de l’industrie pharmaceutique, mais comme une relation de confiance avec son employeur, car « quand tu es connu dans une compagnie, tu as bâti une réputation à travers les années, une réputation qui te suit. Si tu changes de compagnie, c’est à rebâtir ». Alain préfère alors respecter les règles imposées par l’industrie pharmaceutique, car

« la réputation d’une compagnie prend des dizaines d’années à bâtir. Ça ne prend rien qu’une journée à perdre. Je ne voudrais pas être la cause de ça. […] je ne mettrai pas en péril la réputation de la compagnie […] j’ai toujours quand même des objectifs de vente pis une certaine pression par rapport aux ventes, mais je vais jouer dans la zone sécure. » (Alain)

En somme, Alain est un individu qui recherche avant tout la stabilité d’emploi et la sécurité financière pour subvenir aux besoins de sa famille. Recherchant l’équilibre travail-famille, son travail lui permet de passer beaucoup de temps avec sa famille et peut organiser son horaire de travail en fonction des activités familiales. N’ayant pas initialement d’intérêt à gravir les échelons de sa compagnie, il l’a quand même fait par encouragement de ses patrons, mais a rapidement réalisé que ce n’était pas pour lui. Ayant une existence confortable, Alain fait attention à bien faire son travail pour ne pas perdre ce niveau de confort en étant redevable envers son

97

employeur et en faisant attention à sa propre réputation, mais surtout à celle de l’entreprise pour laquelle il travaille et qui l’a bien servie.