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Chapitre I – L’arbitrage entre lait local et lait en poudre dans le cadre de l’approvisionnement

Encadré 1 – Les acteurs de la transformation du lait en poudre

3. L’essor des minilaiteries dans les villes secondaires

3.4. Quelles retombées sur les producteurs locaux ?

Les minilaiteries, loin de se limiter à jouer un rôle d’acteurs économiques, s’affirment également en tant qu’acteurs sociaux (Corniaux et al., 2014). D’ailleurs, l’ambition qui a inspiré leur installation était à l’origine la lutte contre la pauvreté en milieu rural par la diversification de l’activité agricole. Néanmoins, les responsables des minilaiteries ne se sont pas bornés à offrir un débouché aux éleveurs. Les exigences de sécurisation de l’approvisionnement les ont poussés à mettre en place un ensemble de mesures d’accompagnement destinées aux fournisseurs. Ces mesures servent à la fois les intérêts des producteurs et ceux des transformateurs, en éliminant certains éléments de friction au sein de la filière et induisant de nouveaux comportements et de nouvelles pratiques d’intensification chez les éleveurs.

Parmi les services offerts aux producteurs par les minilaiteries, un des plus intéressants est la fourniture à crédit d’aliment de bétail pendant la saison sèche (Dieye, 2003 ; Grégoire, 2010). En effet, afin de fidéliser leurs fournisseurs et leur donner les moyens de régulariser leur production, les transformateurs vendent souvent à crédit aux producteurs des compléments alimentaires pour les animaux : graine de coton, fane d’arachide, niébé fourrager, paille de riz, son de mil, tige de maïs, herbe sèche… Les producteurs s’engagent à rembourser cet emprunt progressivement et en nature par la fourniture du lait. Cette transaction se révèle être très coûteuse pour les transformateurs, qui empruntent par crédit auprès des institutions financières pour l’achat de grandes quantités d’aliment de bétail et qui sont en même temps exposés à de forts risques de non-remboursement de la part des fournisseurs – il peut arriver que ces derniers ne tiennent pas leurs engagements et délaissent l’approvisionnement. Toutefois, les pratiques frauduleuses ne représentent que des exceptions, puisque l’enjeu pour les producteurs est grand : la possibilité de se refournir en aliment de bétail les met à l’abri du haut taux de mortalité bovine en saison sèche et réduit de ce fait leur vulnérabilité face à l’aléa climatique.

Grâce à l’activité des minilaiteries, la qualité sanitaire du lait s’améliore tout au long de la chaîne (Corniaux et al., 2005). S’il est vrai que les consommateurs ont accès à des produits plus hygiéniques grâce aux techniques appliquées au niveau des transformateurs, il est aussi vrai que la qualité du lait est améliorée déjà en amont au niveau des producteurs. Ces derniers sont en effet suivis par les laiteries par rapport à des aspects zootechniques (dépistage des mammites), aux techniques de manipulation du lait pendant la traite et le transport (nettoyage des récipients, mouillage du lait) et aux délais à respecter dans l’échange d’un produit si périssable.

Mais l’intérêt des producteurs locaux réside surtout dans la sécurisation des revenus dégagés par la vente du lait (Dieye, 2003 ; Grégoire, 2010). Lorsqu’ils ne sont pas en lien avec une laiterie, les producteurs écoulent leur production excédentaire sous forme de lait cru caillé sur le marché « informel » (marchés de quartier ou de village, coins de rue, bords de la route…). Ces transactions sont risquées parce que l’écoulement de la production entière n’est pas toujours garanti et les prix peuvent varier sensiblement selon la saison – avantageux en saison sèche par rapport au prix proposé par les laiteries, mais très faibles en saison des pluies lorsque l’offre en

lait est excédentaire. Au contraire, les transactions avec une laiterie représentent pour les producteurs un débouché certain permettant de régler la scolarité des enfants, payer les frais de santé et les dépenses alimentaires, augmenter la production agricole (grâce à l’achat d’intrants phytosanitaires et la valorisation du fumier) et, dans certains cas, même d’épargner.

Si les retombées positives pour la réduction de la vulnérabilité des producteurs locaux sont indéniables, il n’en va pas de même pour l’impact économique effectif de ces minilaiteries sur l’économie nationale (Corniaux et al., 2005). En effet, les quantités de lait qui entrent dans ce circuit de commercialisation demeurent faibles (7% selon Duteurtre, 2007). Dans la région de Saint Louis, Corniaux et al. (2005) supputent que, sur une production régionale de l’ordre de 15 à 20 000 tonnes par an, ce n’est qu’une quantité d’à peine 10 tonnes qui est collectée par les sept minilaiteries de la zone12. En revanche, ces chiffres sont plus prometteurs au sud du Sénégal, dans les zones périurbaines de Kolda, Tambacounda et Vélingara, où la partie du lait produit qui est vendue aux laiteries atteint presque 95% en saison sèche (Dieye et al., 2003).

Un aspect très controversé de l’impact des minilaiteries sur les populations rurales concerne l’inclusion des catégories sociales les plus vulnérables. C’est d’ailleurs là une faiblesse de tout projet de développement. Comme le souligne Chauveaux (1997 p. 30), « les innovations orientées vers les groupes vulnérables sont soumises à une série de filtres imposés par l’économie politique de la pauvreté et de l’exclusion ». Les minilaiteries nécessitent en effet un approvisionnement régulier et de qualité sur le plan sanitaire. Or, ces exigences excluent dans les faits les producteurs transhumants et nomades, qui ne peuvent garantir la régularité de la fourniture en lait sur l’année, et ceux très éloignés des centres urbains, qui n’ont pas les moyens de livrer leur production dans les bons délais (Corniaux et al., 2005). D’autres catégories vulnérables exclues, voire pénalisées, par ce nouveau circuit de commercialisation sont celles qui étaient traditionnellement chargées de la gestion du lait : les bergers et les femmes. Avec l’arrivée des laiteries et la croissance du revenu du lait, on assiste à une redistribution des flux laitiers au sein des concessions d’élevage (id.). Des bergers et des femmes, la gestion du lait passe maintenant, du moins en partie, aux propriétaires des troupeaux, c’est-à-dire aux chefs de concession. Grégoire (2010) observe par exemple une diminution de l’indépendance des femmes dans les zones de production en haute Casamance.

12 Soulignons, toutefois, que la situation a considérablement évolué pendant la dernière décennie, notamment grâce à l’installation, dans cette zone, de La Laiterie du Berger.