• Aucun résultat trouvé

Les caractéristiques des produits laitiers mises en avant par les laiteries sénégalaises

Encadré 3 – Modes de consommation et situations d’usage des produits laitiers dans les villes

2.1. Les caractéristiques des produits laitiers mises en avant par les laiteries sénégalaises

Nous avons identifié les caractéristiques de qualité pertinentes qui sont mises en avant par les laiteries dans la communication aux consommateurs. Évidemment, toutes les laiteries n’insistent pas sur les mêmes caractéristiques de la qualité. Au contraire, chacune d’entre elles prend soin de communiquer aux consommateurs et d’insister plus ou moins intensément sur certaines parmi les caractéristiques de la qualité identifiées. Ces dernières sont listées47 et décrites ci-après, ainsi que les instruments de normalisation mis en place par les transformateurs afin d’assurer la crédibilité de leur stratégie de qualité.

2.1.1. Les propriétés organoleptiques des produits

Les goûts des consommateurs sénégalais ne sont pas tous les mêmes. Certains préfèrent un yaourt plus épais que d’autres, plus aromatisé, plus granuleux, plus blanc, plus gras, etc. Afin de donner un aperçu de cette diversité dans les préférences organoleptiques, nous reportons ci-dessous un extrait d’un focus group effectué auprès des consommateurs, qui discutent à propos des caractéristiques des produits laitiers sénégalais :

Intervieweur (S) : « Il faut que vous me disiez quels sont les produits que vous préférez parmi ceux-ci [exposés devant les interviewés] »

[…]

Interviewé 3 (I3) : « Moi je préfère ça, Ardo. Ouhhh c’est bon ! » […]

Interviewé 1 (I1) : « Moi, je consomme Vitalait, quoi » […]

Interviewé 2 (I2) : « Je préfère Dolima. […] Parce que Dolima c’est… c’est bon quoi ! Et puis oui, c’est délicieux. Et puis, comment dirais-je… »

Interviewé 4 (I4) : « C’est un peu concentré, hein ? »

I2 : « Non, pas concentré… C’est un peu thiossane [traditionnel]. […] Pour moi, quoi »

[…]

I4 : « Pour moi c’est Ardo, Ardo en sachet. […] Parce que c’est assez sucré aussi, et c’est un peu concentré aussi. C’est plus facile à avaler »

[…]

S : « Mais sinon, parmi Halib, Vitalait et Laicran, quel est le meilleur selon vous ? »

[…]

I3 : « Halib c’est bon, Vitalait c’est bon, mais Laicran c’est le meilleur. […] Il a un goût… »

I2 : « Il y a une différence, quoi »

I4 : « Et il n’y a pas de graines aussi, hein. Parce que le Vitalait tu sens aussi des graines, parfois, je sais pas si c’est le stockage qui… »

I2 : « Si je le mets dans l’eau bouillie, ça peut avoir des graines. Mais si c’est Laicran, il n’y aura pas de graines »

I4 : « C’est plus facile à dissoudre que les autres, quoi […]. [Mais] moi je préfère Halib… Bon, si c’était à classer je prendrai d’abord Laicran, ensuite Halib et en dernier Vitalait »

[…]

S : « Et pourquoi entre Jaboot et Ardo, vous préférez Ardo ? » […]

I2 : « Moi, j’ai goûté les deux mais Ardo est plus délicieux. […] C’est le goût. […] Je crois qu’Ardo est plus sucré »

I3 : « Ardo est plus sucré et plus concentré. Jaboot c’est un peu léger, quoi » I2 : « C’est comme le lait caillé [non pasteurisé] » (entretien 18.1, Volume II).

Ces différences dans les préférences de consommation trouvent leur reflet dans les différences organoleptiques des produits présents sur le marché (Figure 18). En effet, les transformateurs ne sont pas isolés du bassin de consommation, au contraire ils connaissent les goûts des consommateurs puisqu’ils ressortent de la même société, reçoivent des feedbacks de la part des revendeurs à propos des préférences de consommation et mènent parfois des enquêtes de marché. Chaque laiterie adapte donc les propriétés organoleptiques de ses produits suivant le(s) segment(s) de marché visé(s). Les transformateurs ont la possibilité de jouer sur plusieurs paramètres : le goût (sucré ou non sucré, acide ou doux) ; le parfum (aromatisé ou nature) ; la texture (épais ou liquide, granuleux ou lisse) ; l’aspect visuel (blanc ou avec colorants) ; la teneur

en matière grasse (gras ou maigre). Ces propriétés ne sont pas forcément affichées sur des supports physiques (emballage, matériel publicitaire, site internet), mais ne sont explicitées parfois qu’oralement par les employés des laiteries et ensuite transmises par le « bouche-à-oreille » au sein du bassin de consommation. Cela est valable surtout pour les laiteries de petite taille qui travaillent dans un contexte local.

Figure 18 – Exemple de publicité d’une laiterie, mettant l’accent sur la variété de l’offre du point de vue organoleptique (produits nature, sucrés, fruités, maigres…)

Pour notre démonstration, nous avons décidé de regrouper toutes les propriétés organoleptiques sous une seule catégorie – voire une seule caractéristique de qualité « propriétés organoleptiques » – parce qu’elles sont sujettes à un même type de normalisation. En d’autres termes, le cahier des charges qui assure la crédibilité de la signalisation des propriétés organoleptiques est le même quelle que soit la propriété organoleptique en question – par exemple, un personnel spécialisé est requis indépendamment du fait qu’on veuille obtenir un yaourt épais ou liquide. Deux maillons de la chaîne de valeur sont concernés par le cahier des charges concernant cette caractéristique de qualité. D’une part, au niveau de la transformation, les laiteries prennent soin à ce que leur personnel ait les compétences nécessaires pour

contrôler la qualité organoleptique des produits et à ce que l’équipement (instruments de mesure de la qualité, ingrédients utilisés) permette d’atteindre les propriétés désirées. D’autre part, au niveau de l’approvisionnement, les transactions avec les fournisseurs influent de manière importante. Les différents types (voire marques) de lait ne sont pas utilisés de manière indiscriminée, mais sont sélectionnés sur la base de leurs propriétés organoleptiques et de la réputation attachée à la marque. C’est ce qu’explicite, par exemple, le gérant d’une laiterie à propos de sa stratégie de qualité :

« Moi je travaille avec le lait LP [marque de lait en poudre], c’est le meilleur lait sur le marché. Il est onctueux… vous savez, le sénégalais ce qu’il cherche de son lait c’est qu’il soit un peu… un peu comme ça, regardez, un peu épais. Quand vous inclinez le verre le lait doit rester, ne doit pas descendre rapidement. Parce que quand on fait le laax [bouillie à base de mil et lait caillé] ou d’autres choses, le lait ne doit pas se disperser, doit rester là… ne doit pas aller des côtés. Mais pour ça il faut la bonne recette, ce n’est pas facile. Vous voyez, quand j’ai fait les formations on m’a dit que le lait doit être… enfin, quand vous mettez une tasse de lait en poudre, il faut mettre 7 tasses d’eau. Mais moi je ne respecte pas ça, je fais moins, sinon le lait devient trop liquide, comme de l’eau. Ça je l’ai appris par l’expérience, j’ai fait des tentatives, beaucoup de tentatives » (entretien 13.2, Volume II).

Les exigences des laiteries en termes de propriétés organoleptiques déterminent également l’utilisation exclusive ou combinée de lait local et lait en poudre, comme le souligne parfaitement un extrait de l’entretien avec le responsable de la transformation d’une laiterie de Dakar :

« S’il y a une chose [à laquelle on fait attention], c’est la texture qu’on va avoir. Avec le lait cru seulement, on ne peut pas avoir cette texture. Le sénégalais aime du lait qui est un peu consistant, ce qui fait du coup qu’avec du lait cru 100% on ne pourra pas avoir cette texture. […] Donc d’habitude on met 25% de lait cru, c’est tout juste pour obtenir la texture que je recherche. Le lait vient seulement pour apporter le goût de crème. L’avantage du lait en poudre est que c’est toujours… ça permet de garder cette exigence des sénégalais, les sénégalais ne veulent pas le lait qui est très liquide. Quand ils font le laax

d’habitude, ils veulent que le lait soit un peu consistant » (entretien 10.1, Volume II).

Nous aurons l’opportunité d’approfondir le sujet de la complémentarité de lait local et lait en poudre dans le Chapitre VI.