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Les détaillants de produits laitiers industriels

Chapitre II – Analyse des chaînes laitières industrielles sénégalaises selon l’approche Chaîne

Encadré 2 Les détaillants de produits laitiers industriels

Boutiques

Les boutiques sont des épiceries qui proposent de nombreux produits alimentaires et d’autres articles de première nécessité. Elles forment un dense réseau commercial : la distance qui les sépare les unes des autres est généralement moins de 200 mètres.

Supérettes

Les supérettes proposent une vaste gamme de produits laitiers, présentés dans un réfrigérateur. Répandues notamment en centre-ville, elles sont souvent gérées par des libanais et fréquentées par une clientèle aisée.

Supermarchés

Les supermarchés sont peu nombreux dans la ville de Dakar et pratiquement inexistants dans les autres villes sénégalaises. Ils jouissent, auprès des consommateurs, d’une excellente réputation, liée à des aspects de professionnalisme et hygiène. Ils sont néanmoins inaccessibles à une grande partie de la population urbaine, d’une part par les prix plus élevés, d’autre part par leur faible diffusion sur le territoire.

Néanmoins, cette souplesse contractuelle peut complexifier l’organisation interne des acteurs et, éventuellement, générer des froissements. Pour illustrer cette situation, nous reportons un extrait de l’entretien que nous avons eu avec le responsable de la distribution d’une laiterie de Dakar, se plaignant à cause de l’instabilité du comportement des revendeurs :

« Ils [les grossistes] n’aiment que la facilité, dagnou beugeu lou yombe. […] Tu sais moi je fais des commandes avant d’aller, par exemple demain je dois aller à Thiès, je fais mes commandes, pour savoir combien [de lait] je dois charger [dans la camionnette]. Par exemple à Touba j’appelle quelqu’un, il me dit ‘ba nga gnou, quand tu viens on va voir’, tu sais pas ce que tu vas charger ! […] Ou bien tu viens, il te donne un chèque de 15 jours, tu [le] mets [à la banque], ça sort impayé. Tu l’appelles, il te dit ‘souba nga diaar, souba ma diaar, souba ma diaar [passe demain, je passerai demain, je passerai demain]’. Franchement hein, c’est pas facile. Tu sais là-bas [à Touba]… la vie là-bas c’est des baol-baol [personnes qui aiment l’argent], si par exemple il [le grossiste] peut avoir 100 francs, c’est peu pour lui. S’il peut avoir 500, il accepte » (entretien 5.1, Volume II).

De manière générale, on peut affirmer que l’ensemble des revendeurs représente un maillon faible des chaînes de valeur. En effet, les revendeurs n’ont pas de compétences spécifiques à la commercialisation de produits laitiers, ni en général à celle de produits frais. Ils adoptent parfois des pratiques qui causent la détérioration des produits et des situations conflictuelles avec leurs fournisseurs, à savoir les transformateurs. Ils peuvent, par exemple, charger excessivement les réfrigérateurs ou les éteindre pendant la nuit afin d’économiser sur l’électricité, et ensuite se plaindre auprès des fournisseurs pour la mauvaise qualité des produits. C’est un problème qui est évoqué, entre autres, par le transformateur dont nous reportons le discours ci-après :

« Quand il y a des soucis sur le lait, quand ils [les revendeurs] viennent me présenter… […] ‘si vous avez des problèmes de durée du produit, donnez-moi encore, moi je veux savoir’. Au départ, beaucoup de gens [revendeurs] me ramenaient du lait qui gonflait dans les sachets. Le lait qui gonfle dans le sachet c’est… le lait caillé, par exemple. Quand ils me posent des problèmes je dis ‘voilà, c’est parce que vous avez éteint le frigo. Parce qu’on vous dit de conserver au frais, et si vous éteignez le frigo moi je ne peux pas être responsable de ça, vous êtes responsables. Quand tu tombes sur des sachets [gonflés] – je le dis – c’est parce que vous avez éteint le frigo’. Parce que moi chez moi, je peux mettre du lait au frais dans le frigo, puis le lendemain je le chauffe et je prends le petit déjeuner avec. […] Non, c’est ça le problème, parce

que les gens il faut qu’ils respectent quoi. On dit que ça c’est les normes, il faut respecter. Parce que la conservation de ce lait-là… parce que les textes sont clairs quoi ! c’est trois jours. La législation sur le lait, le lait pasteurisé c’est trois jours. Pas plus » (entretien 16.1, Volume II).

Il s’agit de comportements qui nuisent fortement à la crédibilité des produits laitiers industriels auprès des consommateurs. En effet, la compétitivité des chaînes de valeur dépend de l’articulation harmonieuse de tous les acteurs – la faiblesse d’un seul maillon peut compromettre la performance de tous les autres.

4. Conclusion du Chapitre II – L’approche des CGV : une théorie inachevée

de développement économique ?

La théorie des CGV représente une tentative de fédération des approches filière et, en même temps, un avancement important dans la modélisation théorique de ces approches. Si l’identification d’activités, acteurs et institutions en font un outil heuristique de nature descriptive, la dimension de la gouvernance confère à cette approche un caractère analytique, capable d’expliquer les phénomènes économiques mondiaux. L’ECT, la théorie des réseaux et les approches sur les capacités des firmes lui fournissent une base méthodologique solide.

Cette approche nous a permis d’identifier et analyser les chaînes laitières industrielles sénégalaises. Nous avons ainsi délimité une chaîne du lait en poudre et une autre du lait local, qui, loin d’être parfaitement étanchées, en réalité se croisent de sorte à constituer, à certains niveaux, une seule chaîne de valeur. Si en amont les deux chaînes sont bien distinctes et se développent sur des espaces géographiques et des laps de temps différents, dans le maillon intermédiaire elles commencent à empiéter l’une sur l’autre pour fusionner enfin au stade de la vente au détail.

Les concepts de la théorie de la gouvernance nous ont aidée à mettre en exergue les caractéristiques des relations verticales ainsi que de celles horizontales. Nous avons constaté que, au sein de la chaîne du lait en poudre, le pouvoir que détiennent les fournisseurs vis-à-vis des laiteries (découlant de leur taille et réputation) est atténué par la possibilité, pour les laiteries, de changer aisément de fournisseur – pratique qui dans les faits est fréquemment

adoptée. Le facteur prix joue un rôle déterminant dans le choix des fournisseurs : l’aspect purement marchand est crucial dans les relations. La coordination horizontale n’est pas spécialement exploitée par les acteurs. Lorsque les fournisseurs sont locaux (grossistes), la relation d’approvisionnement des laiteries peut se superposer à une relation amicale où l’identité des parties importe. Cela équivaut à dire que l’ampleur du segment amont de la chaîne, à savoir le marché international du lait en poudre, se réduit in fine à une relation personnelle entre un grossiste et une laiterie, comme si la chaîne de valeur prenait la forme d’un entonnoir. Dans la chaîne du lait local, les rapports de pouvoir résultent de l’interférence entre une logique « marchande » et une autre « amicale » – interférence qui contribue à assouplir le pouvoir de pilotage des laiteries. L’aspect relationnel a ici une valeur primordiale en tant que repère de coordination au sein des transactions verticales ainsi que des relations horizontales. On a pu en outre constater que la dépendance des laiteries vis-à-vis des producteurs mène à la mise en place d’incitations visant à fidéliser les fournisseurs.

Par rapport à l’aval des chaînes étudiées, l’analyse effectuée dans ce chapitre a révélé que les détaillants représentent un maillon faible. Ces acteurs adoptent souvent des pratiques négligentes et/ou frauduleuses qui détériorent la qualité des produits. In fine, les consommateurs sont méfiants à l’égard des petits commerces – qui en Afrique de l’Ouest sont identifiés par le terme « boutiques » (cf. Encadré 2 en page 41) – et s’orientent de plus en plus vers des revendeurs considérés comme plus « sérieux », tels que les supérettes ou les supermarchés. Or, il est clair que les efforts déployés par transformateurs et producteurs pour assurer la qualité des produits laitiers (cf. Chapitres IV et V) demeureront vains tant qu’ils ne seront pas conjugués à l’amélioration des compétences des revendeurs. Les chaînes laitières industrielles sont des entités très jeunes dans le contexte économique sénégalais. Elles se doivent d’assurer leur crédibilité, auprès des consommateurs, de l’amont jusqu’à l’aval en vue de proposer des produits compétitifs face aux importations. La compétitivité systémique d’une chaîne de valeur dans son ensemble est plus importante que l’obtention de la compétitivité à chaque maillon, comme la théorie de la gouvernance des CGV le met justement en évidence (Kaplinsky et Morris, 2001 chap. 3).

En conclusion, l’approche des CGV nous a offert la possibilité d’apprécier les institutions de gouvernance régissant les deux chaînes de valeur étudiées et la manière dont les acteurs

sénégalais sont intégrés au sein du secteur laitier national et international. Néanmoins, force est de reconnaître que la théorie de la gouvernance des CGV est un projet d’élaboration théorique naissant, que Sun et Zhang (2009 p. 32) définissent comme « une théorie embryonnaire du développement ». En effet, les chercheurs de ce domaine n’ont pas encore eu plusieurs décennies pour présenter, publier et débattre de leurs résultats – bien qu’abondants – issus des études de cas, afin de parfaire le modèle conceptuel de la théorie. Le même concept de « gouvernance » nécessite d’être affiné davantage, les acceptions qui y sont attribuées n’étant pas toujours cohérentes les unes avec les autres (cf. section 2.4 dans ce chapitre). Les variables expliquant le choix entre modes alternatifs de gouvernance – que nous approfondirons dans le Chapitre V – ne donnent pas une représentation complète des caractéristiques et des conséquences des chaînes globales. En effet, ces variables se concentrent sur les caractéristiques des partenaires économiques et de leurs relations29, mais négligent les caractéristiques de l’environnement – telles que le niveau d’incertitude – et celles des actifs impliqués dans les transactions30. Les défaillances méthodologiques font que, comme le souligne Sturgeon (2008 p. 27), la théorie de la gouvernance ne peut pas être élevée au statut de « théorie achevée du développement économique ». Dans l’objectif de faire la lumière sur les mécanismes organisationnels mis en place au sein des chaînes de valeur étudiées, nous chercherons à remédier à ces défaillances en consolidant le fondement théorique de cette thèse grâce à un autre outil théorique – l’économie des coûts de transactions, que nous traiterons dans le chapitre suivant.

29 Anticipons ici que les variables de la théorie de la gouvernance des CGV expliquant les choix organisationnels des acteurs sont les suivantes : i) la complexité des transaction ; ii) la codifiabilité de l’information ; et iii) les compétence des fournisseurs. Pour des raisons liées à l’organisation de cet exposé, nous reportons l’explication de ces variables à la section 1.2 du Chapitre V en page 211.

30 C’est pourquoi, toujours dans le Chapitre V, nous couplerons les variables de la théorie de la gouvernance des CGV avec celles de l’ECT.

Chapitre III – Mobiliser l’Économie des Coûts de Transaction pour