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CHAPITRE 1 LA RESTRUCTURATION DE L‟ÉCONOMIE : UNE PERSPECTIVE DE LONG

2. Quelles implications sur le niveau de vie ?

Le changement structurel a eu des répercussions importantes sur les conditions de vie et de travail. Tout d‟abord, les conditions du marché du travail qui prévalent aujourd‟hui sont bien différentes de celles que l‟on connaissait pendant la période d‟après-guerre. La période actuelle est marquée par la recherche d‟avantages compétitifs qui se traduit par la rationalisation des processus de production dans les entreprises ce qui entraîne fréquemment des pertes d‟emploi et une plus faible création d‟emplois qu‟auparavant. Comme voie de conséquence les taux de chômage sont plus élevés que ceux connus dans les décennies suivant la guerre (Figure 2).

Figure 2. Taux de chômage dans les pays de l'OCDE, 1970-2005 (%)

5.8 7.8 7.7 3.0 6.5 5.9 6.1 5.2 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 Taux de c hôma ge

Notes : De 1970 à 1985 : 20 pays de l’OCDE ; 1990 : 24 pays de l’OCDE ; 1995 : 25 pays de l’OCDE. Source : D’après les statistiques de l'OCDE

Les facteurs qui facilitaient le redéploiement du travail rendu nécessaire par le progrès technologique ou l‟ouverture des économies pendant l‟après-guerre fonctionnent moins bien aujourd‟hui. Du fait d‟une croissance plus lente, les possibilités d‟obtenir un travail équivalent rapidement lorsque l‟on perd le sien ne sont plus les mêmes que par le passé. Les emplois qui sont créés aujourd‟hui sont souvent bien différents que ceux qui sont perdus, des emplois spécialisés ou

techniquement avancés remplaçant des emplois de type peu qualifié. Par conséquent, une partie plus grande des effectifs mis en disponibilité ont du mal à se reclasser. Également, les conditions de travail dans les emplois nouvellement créés sont souvent d‟un niveau moindre que ceux des emplois détruits. À ces problèmes s‟ajoutent des difficultés sociales liées à la perte de statut, de revenu, de bénéfices et à leur concentration géographique selon le cas.

Ainsi, l‟évolution de la somme des emplois créés et détruits n‟a pas les mêmes implications pour la main-d‟œuvre. Ce changement dans la dynamique du marché du travail a entraîné des modifications de comportement sur le marché du travail. Puisque que perdre son emploi n‟a pas la même implication quand la croissance est faible que lorsqu‟elle est forte, l‟attitude face au risque s‟est modifiée. Dans un contexte d‟incertitude, les travailleurs sont devenus plus réticents à perdre leur emploi pour en chercher un autre. Au cours des années 1970 et 1980, ces modifications ont contribué à réduire la mobilité du travail et, par une plus grande mobilisation syndicale, à rendre le marché du travail plus rigide (OCDE, 1987). Ce comportement est reflété encore aujourd‟hui par le retrait par le gouvernement français, à la suite de démonstrations d‟opposition populaire, du projet Contrat première embauche (CPE) devant flexibiliser le marché du travail des jeunes, ainsi que par les sondages d‟opinion (en France mais aussi dans d‟autres pays) montrant l‟attrait majoritaire que représentent, pour les jeunes diplômés, les postes de la fonction publique réputés pour leur sécurité d‟emploi.

De manière plus générale, le changement structurel a influencé les conditions de vie via son impact direct sur la vitesse d‟accroissement de la prospérité. Les aléas de la conjoncture, la dynamique du marché du travail et les modifications induites sur la qualité de vie ont des implications plus ou moins importantes selon que la société voit sa prospérité s‟accroître au non. La difficulté d‟acquérir un logement, d‟offrir une éducation satisfaisante à ses enfants, les problèmes sociaux, la fermeture d‟une grande entreprise qui générait d‟importantes retombées pour le milieu local, ont des impacts plus ou moins grands sur la population selon qu‟ils peuvent être ou non absorbés par l‟augmentation rapide du niveau de vie. Un niveau de vie croissant rapidement peut permettre davantage de solutions alternatives face à une même situation. Un revenu individuel croissant rapidement permettra de compenser les dépenses supplémentaires (par exemple, pour un déménagement ou l‟acquisition d‟une voiture) associées à une décision devant permettre de compenser les inconvénients associés à une situation nouvelle. À l‟opposé, la stagnation du niveau de vie a pour effet de rendre pénible les obstacles auxquels il est plus difficile d‟échapper.

Les cas d‟externalités négatives peuvent poser des problèmes particuliers en cas de stagnation du niveau de vie. L‟installation d‟une entreprise occasionnant des nuisances ou un changement de norme

ou de zonage entraînant des modifications environnementales prend une ampleur différente selon que l‟économie est dans une phase d‟accroissement rapide de sa prospérité ou non, non seulement parce que les individus ont plus de latitude pour prendre eux-mêmes les dispositions qui s‟imposent (par exemple, changer de lieu de vie ou de travail), mais parce que les possibilités de compensation sont plus limitées. Dans une situation où le revenu individuel augmente rapidement, non seulement la compensation requise par une externalité peut apparaître peu déterminante, mais la richesse créée peut faciliter la redistribution des bénéfices. Dans un cas de stagnation, la situation est inverse et chaque impact sur la qualité de vie est plus facilement remarqué et contesté, et peut demander compensation. Davantage de problèmes à résoudre pour la société sera ainsi le résultat d‟une stagnation du niveau de vie.

Par ailleurs, de la même manière que pour le marché du travail, le changement de vitesse d‟accroissement de la prospérité modifie le comportement. L‟histoire suggère qu‟une croissance économique vigoureuse facilite la solution de problèmes, encourage la tolérance et favorise le développement de la démocratie. Au contraire, la stagnation est associée à l‟intolérance, aux luttes ethniques et encourage les mouvements aux tendances totalitaires. Ce phénomène, déjà évoqué au 18ième siècle par Adam Smith, peut être expliqué par le fait que le sentiment de bien-être est essentiellement relatif (Friedman, 2005). Les individus sont plus heureux lorsque leur bien-être augmente (ce qui peut être collectif), ou alors s‟ils sentent que leur bien-être augmente par rapport aux autres (ce qui est par définition individuel). Ainsi, si la croissance est forte et que les individus ressentent une amélioration de leur niveau de vie, ils auront moins tendance à se comparer au reste de la société. Du fait de cette amélioration du niveau de vie, l‟environnement économique et social sera moins une source de frustration ou une cause de problèmes. Si au contraire le niveau de vie stagne, les individus auront tendance à mesurer et comparer la situation des autres membres de la société. Les actions prises par d‟autres acteurs économiques et qui peuvent influencer cette comparaison prendront une couleur particulière et pourront être source de division et de friction sociale. Ainsi, diverses situations peuvent être source de problèmes à résoudre aujourd‟hui alors qu‟elles ne l‟auraient pas été dans un contexte où la croissance est plus élevée.

Au-delà, l‟évolution du niveau de vie cache des disparités importantes. Les maigres gains en termes de niveau de vie de la période actuelle apparaissent moins bien répartis qu‟auparavant. Les inégalités de salaires qui s‟étaient stabilisés pendant la période d‟après-guerre se sont accrues, en particulier depuis les années 1980. Aux États-Unis, les 5% les plus riches ont vu leur revenu moyen disponible doubler de 1980 à 2001 pendant que les 20% les plus pauvres ont vu leur revenu rester le

même4. Ces données, qui reflètent une redistribution de la richesse moins active que par le passé, suggèrent que les contraintes posés sur les possibilité d‟augmentation du bien-être sont plus sévères pour une partie importante de la population que ce que les moyennes nationales laissent supposer.

Différentes mesures ont été créées pour tenir compte de ces disparités dans une approximation statistique du bien-être. En effet, le produit intérieur brut ne représente qu‟une approximation imparfaite du bien-être. Cette mesure ne tient pas compte de la consommation de ressources non renouvelables, qui fait peser l‟accroissement du bien-être actuel sur celui du bien-être futur, des loisirs, qui sont eux-mêmes une source de bien-être, et de la dépréciation des actifs, pour ne mentionner que ces aspects. L‟une des faiblesses principales de la mesure est certainement de ne pas faire tenir compte de la répartition des revenus. Une société où une partie importante de la population vit dans un grand état de pauvreté devrait voir son bien-être être inférieur à une société où la pauvreté est absente mais avec la même production nationale. Les tentatives de remédier à cette situation ont montré que les critères retenus pouvaient modifier l‟ordre des pays mais que les différentes estimations restaient dans une grande mesure corrélées. La mesure du PIB reste dans l‟ensemble une approximation utile du bien-être, bien qu‟on puisse la compléter par d‟autres indicateurs (OCDE, 2006).

Plus précisément, on pourra le mieux estimer l‟évolution du niveau de vie en mesurant la croissance de la productivité. La productivité indique la valeur de la production créée par unité de facteur de production (par travailleur ou mieux, par heure travaillée), et donc la capacité pour l‟économie de créer de la richesse. La croissance de la productivité, principalement le fait du progrès technologique et de l‟amélioration des processus de production, détermine donc la capacité d‟augmenter la rémunération du travail, ce qui influence directement le niveau de vie des travailleurs. Certes, la croissance de la productivité est fortement corrélée avec la croissance de la production nationale, les gains de productivité représentant la source principale de croissance, comme nous l‟avons suggéré plus haut dans ce chapitre. De plus de 4 % qu‟elle était pendant la période 1950-1973 elle est passée à environ 2 % par la suite. Ainsi, le niveau de vie augmentait deux fois plus rapidement pendant la période d‟après-guerre que pendant la période actuelle.

En résumé, les changements structurels survenus depuis les années 1970 ont vu la création de problèmes nouveaux : d‟abord sur le marché du travail, puisque la perte d‟un emploi n‟a plus la même implication pour le travailleur, et dans la vie économique ou sociale, où les fluctuations économique et leurs effets pouvaient être absorbés plus facilement sans avoir recours à une compensation et sans nécessairement devenir un problème à régler pour la société. Le frein qui a été appliqué à

l‟amélioration du niveau de vie a également entraîné des modifications de comportement qui, combinées aux inégalités croissantes, ont pu contribuer à amplifier les problèmes soulevés et à les rendre plus complexes.