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Chacun se pose la question. Quand on la pose aux chercheurs, on constate qu'ils ont encore fort peu à dire. La plupart des études disponibles concernent des cas particuliers et des périodes initiales, exploratoires. Elles ne peuvent donc livrer des résultats qu'on pourrait extrapoler à des situations ultérieures, plus banalisées. De plus, ce genre de recherches manque crûment en Suisse; à l'étranger, elles sont le plus souvent effectuées dans des industries ou, plus rarement, dans des services organisés à des échelles bien plus larges que ce qu'on connaît en Suisse. Parmi les premières études empit'i.­

ques suisses sur le travail a,rec les nouvelles technologies figurent celles effectuées dans le cadre du Programme ''Vie au travail" du Fonds National de la Recherche Scientifique: Bieri, Dürrenberger & Jaeger 1985; Muggli & Zinkel 1985; Ruch &

Troy 1986; Troy, Baitsch & Katz 1986; la perception de ces technologies et de leur impact est étudiée par le GRISO C 1 986.

Finalement, ces études concernent quasi exclusivement le travail avec des équipements basés sur l'informatique. En fait, il est intéressant de constater qu'on entend par l'appellation de "nouvelles technologies" uniquement ce genre d'équipe­

ment, alors que d'autres technologies, nouvelles elles aussi, viendront influencer les différents aspects du travail de

multiples façons tout aussi dignes d'être étudiées. Pensons, par exemple, au développement de nouveaux matériaux, au génie biologique et plus particulièrement génétique, aux emplois de procédés nucléaires ou basés sur le laser.

Ces remarques signa.lent les limites qu'il convient d'avoir à l'esprit quand on essaie, comme nous allons le faire, d'anticiper quelques conséquences probables de l'implantation des nouvelles technologies dans le monde du travail.

Bornons-nous à six éléments, sans prétendre être complet:

1. Sous l'influence des nouvelles technologies, le travail risque fort de devenir plus abstrait. Davantage que jusqu'à maintenant, la manipulation directe d'objets physiques sera remplacée par la manipulation de symboles et d'informations; dans une certaine mesure, plus limitée peut-être, il en sera de même pour des travaux de service qui pourraient voir diminuer la proportion du travail relationnel direct, le face-à-face au client cédant le pas à des activités "multiplicatrices" touchant plus de destinataires, mais nécessitant des supports techniques.

2. Les systèmes employés par les nouvelles technologies changent rapidement, la longévité des matériels comme des logiciels diminue. Peut-être y aura-t-il un point de saturation à cette évolution, mais il ne pointe pas encore à l'horizon. La maîtrise physique et mentale de l'outil sera donc de moins en moins un acquis durable.

3. Ces systèmes sont des machines transclassiques, leur fonctionnement n'étant en large partie plus directement incorporé à leur structure matérielle. Leur emploi potentiel est donc beaucoup plus wi.iversel, flexible et moins limité à wi.e application particulière que ne le sont les savoir-faire professionnels conventi01mels.

4. Davantage que dans les automates mécaniques conven­

tionnels, une partie importante des connaissances professionnelles peut être intégrée dans ces systèmes.

Pour donner un exemple peut--être caricatural: on peut imaginer qu'un bon système expert médical pourrait être utilisé par des infirmières, une partie importante des connaissances professionnelles des médecins concernant le

diagnostic et le traitement étant intégrée au système.

5. Le travail informatisé permet wie dissociation plus prononcée des fonctions d'exécution et de surveillance que les technologies et les principes d'organisation conventionnels. On peut, parfois aussi on doit largement travailler seul, éventuellement à domicile, sans que cela diminue les possibilités de surveillance par une instance centrale.

6. L'informatisation risque d'accélérer plutôt que de rompre l'intensification du travail, tout en diminuant les risques d'accidents physiques. Il faut donc s'attendre à un déplacement des symptômes négatifs aux niveaux psycho-somatique et psycho-social où ils sont souvent plus diffus, plus dissociés de leur origine, moins faciles à reconnaître et plus difficiles à traiter.

Après cette énumération, ajoutons une remarque à l'égard de ceux qui se plaisent à pianoter eux-mêmes sur un ordinateur personnel ou qui en profitent dans leur travail. Les changements indiqués pourraient leur paraître exagérément négatifs par rapport au bénéfice ou au plaisir qu'ils en tirent.

L'un ne contredit pas l'autre. Cette réflexion concerne l'introduction des techniques informatisées au monde du travail dans la période actuelle et à venir. Dans ce contexte concret, elle se fait avant tout sous le signe de la rationalisation et de la substitution du travail par le capital investi, donc dans une situation où existe une forte pression dans le sens de la rentabilisation et de l'amortissement rapide.

Mais il est évident qu'ici interviennent des choix et qu'il ne s'agit nullement d'un processus déterminé aveuglément par une sorte de loi naturelle de l'évolution technique. Nous y reviendrons.

Les changements évoqués toucheront non seulement la nature du travail au niveau du vécu individuel, mais aussi l'organisation et les conditions qui lui donneront son cadre plus ou moins obligé. Qu'il suffise de mentioIU1er le degré d'au­

tonomie dans l'organisation spatiale, temporelle et logique que laisse le système choisi; ou le degré de coopération humaine, de compétition, de solitude qui sera engendré par l'aména-­

gement physique et social qui entoure et sous-tend le travail.