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« Belzébuth378 », la chanson-incipit de Dehors novembre, annonce dès le départ la dualité de l’album; son contexte de désenchantement et son utopicité renouvelée. La pièce surprend d’abord par sa longueur (plus de neuf minutes), Les Colocs ayant plutôt l’habitude des chansons populaires relativement courtes et facilement mémorisables. Ainsi, « Belzébuth » offre une véritable épopée aux auditeurs, sur des accords d’autant plus complexes, eux aussi inhabituels : « Du chuchotement confidentiel, aux mots criés exprimant le désespoir, en passant par les onomatopées qui concluent la chanson sur une musique tzigane, la chanson des Colocs nous entraîne dans un tourbillon d’émotions379 » ponctué par la clarinette et le saxophone. Le titre nominal de la pièce comporte une dimension exotique, voire mythique, encore jamais vue. En effet, jusqu’à présent l’auditeur a connu « Dédé », la « p’tite Julie », « Pierrette » et « Hého », mais Belzébuth ? À qui ou à quoi réfère ce nom dans l’imaginaire québécois, sinon dans celui des Colocs ? S’il renvoie, dans le Nouveau Testament, à celui qu’on désigne comme le « prince des démons », il est aussi traduit dans certaines cultures comme le « maître » ou le « seigneur des mouches »380. « Belzébuth »

376 Jean Leloup, « La chambre », tirée de l’album Les fourmis, op. cit., piste 8. 377 Michèle Riot-Sarcey et Paul Aron, art. cit., p. 790.

378 Les Colocs, « Belzébuth », tirée de l’album Dehors novembre, op. cit., piste 1, 9:26 minutes. Voir l’annexe

A pour l’intégralité des paroles. L’espace manque ici pour dire tout ce qui serait pertinent de dire à propos de cette pièce-opéra des Colocs, c’est pourquoi nous nous en tiendrons à notre angle d’approche, au risque de glisser rapidement sur certains passages.

379 Julie Ledoux, op. cit., f. 92.

380 André Paul, « Béelzébul ou Belzébuth », dans Encyclopaedia Universalis, [en ligne].

caractériserait ainsi un personnage pernicieux et souverain. De surcroît, pour nous, il est déjà annonciateur du dénouement de la chanson des Colocs : sa représentation de « prince des mouches » lui attribue des ailes et donc la capacité de voler. Surtout, Belzébuth caractérise un personnage inhumain. Dès les premiers couplets, un champ lexical animal (« maître », « griffes », « instincts de chasseur ») introduit la nature du protagoniste de la chanson : « Je peux tout voir dans la noirceur / Je suis un chat c’est bien normal ». Le chat Belzébuth cherche principalement à s’évader d’un « appart’ tranquille » de « bourgeois » où il étouffe du manque de liberté. Il s’y sent piégé, aliéné, « emprisonné dans [sa] p’tite tête » – comme pouvait l’être le protagoniste de « La chambre » citée précédemment. On l’a même baptisé à son insu : « Comme ça mon nom c’est Belzébuth / Personnellement j’trouve ça épais ». Par conséquent, ce que la chanson raconte, sous la forme d’une allégorie bien ficelée, est sa poursuite du bonheur, qui passe inexorablement par celle de la liberté. Cette quête n’est pas sans péripéties ni embûches; Belzébuth doit entre autres mourir et, finalement, renaître sous la forme d’un oiseau. En effet, au même titre que le désenchantement cohabite avec l’utopicité sur Dehors novembre, la mort semble toujours s’y accompagner d’une renaissance. Le personnage mourant de la pièce « Dehors novembre », par exemple, ne semble pas en douter : « J’vas r’commencer mon autre vie d’la même façon ».

Dans les pages qui suivent, nous observerons le rapport du protagoniste à l’espace et, plus précisément, les déplacements spatiaux que lui commande sa quête. Celle-ci le mènera d’abord de l’appartement vers la ruelle, puis vers le ciel. Ces trois lieux découpent la chanson en trois grands épisodes. Chaque fois, le changement de lieu est annoncé, comme nous le verrons, par un changement rythmique – ce qui nous suffit à justifier notre découpage. Au passage, nous relèverons les traces du désenchantement de Belzébuth, mais aussi celles laissées par l’utopicité qui motive sa quête. Les critères que Pierre Popovic associe à cette dernière dans son essai de sociocritique sur Les Misérables nous permettront de mieux l’appréhender. Popovic retrace en effet l’utopicité dans la socialité des textes selon que ceux-ci présentent l’une ou plusieurs des caractéristiques suivantes : « retrouvailles d’un état d’innocence perdue projetées dans une société idéale future; promesse de passage à l’acte; distanciation cognitive; déplacement spatial et temporel; dominante prophétique et prospective; manie des chiffres et des mesures; anticipation d’incompréhension381 ». Nous pouvons en observer quelques-uns dans la chanson « Belzébuth » et nous prendrons soin de les rappeler au cours de l’analyse par l’utilisation de l’italique.

Durant les deux premiers couplets, sous le mode descriptif, le « je » cantologique nous met en contexte : il vient d’emménager dans l’appartement de ses nouveaux maîtres, un espace où il

trouve confort, tranquillité et de bons soins, mais où « c’est pas encore le bonheur ». Ses maîtres semblent issus d’un milieu aisé, « bien nanti », ce qui amène Belzébuth à poser instantanément le jugement : « Qui c’est qui peut ben vivre icitte / Ça doit être un couple de bourgeois ». En effet, très rapidement, il prend conscience de son incompatibilité avec ce milieu : « C’est pas ma place c’est évident / Ça va finir par me tuer / Le look, l’odeur, l’air ambiant / M’enlève le goût de respirer ». Le dernier euphémisme laisse entendre qu’il pourrait éventuellement y perdre toute envie de vivre, avalé par le désenchantement. Les jugements qu’il pose éclairent en outre sa désillusion : il nous dit déjà que « la vie facile » du « couple de bourgeois » correspond davantage à ce qu’il entend par une vie « plate à mort » qu’à la définition qu’il se fait du bonheur. S’il veut accéder à ce dernier, il devra donc quitter l’appartement, qui apparaît dès lors comme un lieu transitoire : « De toute façon c’est plate à mort / C’te maison-là c’t’une salle d’attente / Maudit qu’ça l’air le fun dehors / Montrez-moi d’quoi qui va m’surprendre ». Ainsi, le plan d’évasion de Belzébuth se profile très tôt, dès la quatrième strophe : « Les poissons rouges c’est du sushi / Faut qu’j’en mange un avant qu’j’m’en aille ». En outre, jusqu’alors, les quatre premières strophes étaient caractérisées par l’absence d’accompagnement musical. André Fortin, a cappella, suivait une rythmique approximative en profitant des nombreux points d’orgue382 de la partition. Maintenant que la fuite est envisagée, par contre, la clarinette entre en scène. La musique semble ainsi chercher à devenir le vecteur de la liberté qui fait pourtant défaut au personnage emprisonné. Comme la musique à valeur festive tranchait parfois avec les problématiques sérieuses des textes des deux premiers albums des Colocs, la musique apparaît maintenant comme un baume à la désillusion des textes de Dehors novembre, d’où par exemple les solos ad lib sur « Tellement longtemps » et l’optimisme créatif sur « Le répondeur ». Sur « Belzébuth », la musique devient ainsi la meilleure avenue pour le protagoniste afin de retrouver une certaine liberté – un certain bonheur. Cela deviendra de plus en plus vrai au fil de la chanson.

La première occurrence du refrain – nous l’entendrons trois fois en tout – précise le projet d’évasion, de l’appartement vers la ruelle :

Ah! Demain dimanche, un autre jour j’m’en fous J’irai, j’irai dans la ruelle

J’irai là où mon cœur m’appelle Y’est pas question que j’passe ma vie Emprisonné dans ma p’tite tête Je suis un félin insoumis J’tiens mordicus à bien paraître

C’est « là où [s]on cœur [l]’appelle », car ce lieu est associé à la femelle qui fait battre son cœur depuis qu’il l’a aperçue : « Sur mon balcon j’ai vu une chatte / J’l’ai surnommée Élizabeth / Élisabeth et Belzébuth / Dans mes oreilles le beat est bon383 ». Belzébuth est persuadé qu’elle est son âme-sœur, d’où le surnom qu’il lui donne, aux mêmes syllabes et consonnes que le sien. De plus, pour le personnage qui a de l’animal bien davantage l’insoumission (« Je suis un félin insoumis ») que la domesticité, la « ruelle » est un lieu chargé d’utopicité; un lieu où vivre libre et indépendant. Le refrain de « Belzébuth » engage ainsi le protagoniste par une promesse de passage à l’acte, celui de fuir les bourgeois qui l’étouffent, « demain », « dimanche » ou « un autre jour », pour un lieu plus à l’image de ses désirs – plus utopique. Au cours du troisième couplet, la pression monte; Belzébuth se sent de plus en plus oppressé. Lorsque ses maîtres parlent de l’amener chez le « vétérinaire » afin de le dégriffer et de le castrer, il est effrayé à l’idée de ne plus pouvoir rêver, ni à Élizabeth, ni à sa liberté, ni à connaître un jour le bonheur. La perspective d’ainsi mourir vivant finit de le convaincre de s’évader pour de bon :

Ça y est, ça y’est j’ai tout compris Y’essayent de m’enterrer vivant Fuis Belzébuth, let’s go c’est l’temps

Et sauve qui peut, et sauve qui peut, et sauve ta vie

La fuite devient de plus en plus urgente, ce que font sentir les répétitions impératives, puisque sa vie même est en jeu. À ce moment, la chanson évolue de façon radicale; son chapitre initial se clôt par un premier déplacement spatial, mouvement qui porte en outre les traces de l’utopicité telle que définie par Pierre Popovic. Sur le plan du récit, nous migrons ainsi de l’appartement vers la ruelle. Sur le plan musical, l’entrée de la section rythmique (basse et percussions) accompagne ce changement de cadre spatial, tandis que le chanteur retrouve une interprétation davantage près du parler.

Dès qu’il rejoint la ruelle, Belzébuth semble pouvoir aspirer à retrouver un état d’innocence perdue. À celui qui avouait plus tôt être « chimiquement fait pour la fête », cette dernière apparaît en effet à nouveau possible :

La ruelle qui m’attend, moi j’fais mon scénario Dans un travelling avant à travers les poubelles C’est l’party, c’est la nuite et c’est un bon départ Me v’là qui crie action et la musique démarre

L’isotopie cinématographique de cet extrait met en scène un Belzébuth en contrôle, libre de faire ses propres choix, d’écrire son propre « scénario ». La partition, d’ailleurs, lui obéit : un court solo

de saxophone est inséré à la suite du vers « Me v’là qui crie action et la musique démarre ». Même si la « ruelle » est souvent associée à un cul-de-sac, à la saleté et aux sans-abri, pour Belzébuth elle est le lieu de l’insoumission et du libre-arbitre. Il croit alors toucher à la liberté, conditionnelle à son bonheur, mais c’est avant qu’un nouveau personnage fasse son apparition : le « colonel ». Ce nom que Belzébuth donne à ce « gros matou perché » lui sied, puisqu’il fait régner la loi dans la ruelle : « ici c’est pas pareil, c’est moi qui fais la loi », « partout sur mon chemin / un matou téméraire est un matou de moins ». À un chat « frais débarqué dans la réalité » de la ruelle, le colonel défend ainsi de défier la hiérarchie déjà établie et qui le pose comme dominant, supérieur. Dès lors, Belzébuth comprend qu’une nouvelle autorité lui est imposée et sa vision utopique de la ruelle déchante. Le discours du colonel est transcrit en italique dans le livret de paroles, de manière à distinguer sa voix de celle du « je » cantologique. Plus encore, la partition passe également, à ce moment de la chanson, de la mesure binaire à la mesure ternaire – comme sur « Tassez-vous de d’là » –, qui caractérisera tout le passage dans la ruelle. Cette nouvelle rythmique octroie au colonel un débit de paroles différent, débit que Belzébuth assimilera peu à peu. Ce dernier devient d’autant plus une menace pour le colonel, et l’ordre hiérarchique que celui-ci maintient dans la ruelle, qu’il a « encore des couilles au cul » et « encore des griffes aux pattes ». Ces appareils, qui apparaissaient comme des avantages aux yeux du colonel, deviennent néanmoins la dernière faiblesse de Belzébuth. Son désir le mène en effet vers Élisabeth, sans se douter qu’elle appartient au colonel : « Nos deux cœurs qui ronronnent et dans un moment de folie / L’extase c’est merveilleux pour tous les insoumis ». Cet extrait permet d’établir encore une fois une corrélation, du point de vue du « je » cantologique, entre l’insoumission et le bonheur. Toutefois, la témérité et les pulsions de Belzébuth lui valent de se retrouver à nouveau emprisonné, cette fois dans la ruelle : « Cinquante chats enragés envahissent le hangar / Tous les fauves d’la ruelle veulent me trancher le cou […] Au nord, au sud, à l’est, à l’ouest / Impossible de s’enfuir, aucune porte de sortie ». Il constate, en énumérant les points cardinaux, que cette fois il n’y a plus d’issue : l’affrontement sera fatal.

Belzébuth succombe au colonel lorsque celui-ci sort « sa lame, sa seule griffe d’argent / Qui transperce [s]on âme et fait couler [s]on sang ». À ce moment fatidique, la voix d’André Fortin diminue d’intensité, jusqu’à chuchoter a cappella le dernier vers de l’extrait ci-dessous. Ce decrescendo prépare un nouveau changement rythmique, qui annonce du même coup un second déplacement spatial. Celui-ci mènera Belzébuth au troisième lieu important de la chanson, marquant pour nous le troisième et dernier épisode, c’est-à-dire le ciel. Malgré le retour de la mesure binaire, nous avons l’impression que tout va très vite depuis le coup fatal du colonel; c’est un véritable marathon contre le désenchantement :

Des kilomètres, des kilomètres, soif dans la gorge, mal dans les pattes Surtout surtout ne pas penser sinon mon cœur arrête de battre

Chu pris en feu, j’me sens renaître, je cours plus vite qu’le désespoir J’crie au secours de tout mon être que j’ai peur de jamais revoir Je sens je sens des ailes pousser, sur mes épaules et dans mon dos Métamorphose je t’attendais, moé c’est pu moé c’est un oiseau Je vais enfin pouvoir m’enfuir, exactement comme dans mon plan Y m’reste juste cinq secondes à vivre, j’ai déjà perdu trop de sang

Ce qui devait être la fin d’une vie marque bientôt un commencement : Belzébuth réalise enfin son plan initial d’évasion en effectuant la fuite ultime, celle de son corps. Il s’en libère, séparant son « âme » de son « sang », de façon à ce que sa mort lui donne l’occasion de renaître : « Métamorphose je t’attendais, moé c’est pu moé c’est un oiseau ». À travers l’allégorie des neuf vies d’un chat et de sa métamorphose, Les Colocs font montre d’une foi en une existence invisible, en une âme qui transcende la mort. En outre, nous observons dans ce dernier déplacement spatial un mouvement vertical non négligeable. En fin de parcours, l’âme de Belzébuth quitte effectivement le sol pour s’élever vers le ciel. Cette ascension lui permet ainsi de réinvestir un lieu associé à la spiritualité et déserté par la société désenchantée. En termes de lieu, le ciel correspond donc davantage à la nouvelle utopicité lisible sur Dehors novembre que la ruelle, et ce puisqu’il incarne l’envers du désenchantement – toujours entendu au sens de Marcel Gauchet comme l’épuisement du règne de l’invisible. Il semble que la chanson tende, depuis le début, à cette élévation : ce qui anime Belzébuth est chanté chaque fois sur des notes plus aigües – plus hautes – tandis que ce qui mine son bonheur s’accompagne de notes plus graves.

Certes, au moment de la métamorphose de Belzébuth, la chanson endosse une aura d’invraisemblance : cette transformation ne peut être que d’ordre imaginaire. Cela nous rappelle le caractère irréalisable intrinsèque à l’utopie. Le « je » cantologique anticipe par conséquent le sentiment d’incompréhension d’Élisabeth : « J’pense à ma belle Élysabeth / A doit se demander c’que j’ai fait ». Associé à la liberté, l’espace aérien de l’oiseau apparaît désormais hautement confortable en comparaison de la prison terrestre du chat : « Pour ma neuvième et dernière vie/ J’avais mérité le confort / J’ai ben fait de partir plus tôt / Mon cœur préfère la vie d’oiseau ». En effet, la maison fermée des bourgeois ne pouvait procurer le bien-être au protagoniste comme les cieux où il est libre de voler :

Tous les jours dimanches, j’peux voyager partout Aussi longtemps qu’j’aurai des ailes

J’irai là où mon cœur m’appelle […] J’goûte au bonheur, chu pas pressé

De cette façon, à sa troisième occurrence, le refrain est modifié, actualisé, puisque sa prophétie se concrétise : le bonheur n’est plus un état futur et lointain, il est enfin à portée de mains pour Belzébuth. Celui-ci semble cette fois, dans ce nouvel espace utopique, retrouver réellement un état d’innocence perdu, ce que suggère la longue séquence instrumentale finale, sur laquelle André Fortin fredonne de plus en plus rapidement, comme en transe. Dès lors, « pas question [qu’il] redescende », son ancienne vie lui apparaît comme une « banlieue morte ». En somme, bien plus qu’à la société de laquelle il se détache en s’envolant dans le ciel, le bonheur de Belzébuth est lié à la liberté, la spiritualité et l’imaginaire. Par corrélation donc, dans le monde désenchanté dans lequel évoluent Les Colocs, le bonheur demeurerait un idéal impossible à atteindre, de l’ordre de l’utopie.

En définitive, les constantes thématiques et formelles de Dehors novembre le distinguent bel et bien des deux premiers albums des Colocs : les auditeurs n’en terminent pas l’écoute avec le même sentiment. Marqué plutôt par le sceau de la désillusion et du pessimisme, ce dernier opus incarne un point de rupture pour Les Colocs, autrefois d’invétérés fêtards à l’espérance intarissable. Après analyse, il devient plus facile d’attribuer ce changement de posture en fin de décennie 1990 à un contexte socioéconomique particulier davantage qu’à une décision uniquement artistique. Il nous semble aussi que ce même contexte rend l’engagement des Colocs plus difficile : parce que la société capitaliste contemporaine est aussi une société désenchantée, et que ce désenchantement trouve son propre écho dans la désillusion des Colocs. Si par exemple, dans l’imaginaire social, l’homme apparaît enrichi par le progrès et le système capitaliste qu’il a mis en place, dans les chansons de Dehors novembre, c’est plutôt une « image appauvrie, réductrice de l’humain que la science économique s’attache à promouvoir, en liant profit et bonheur384 ». Vivre uniquement pour l’argent, voilà ce qui semble causer la véritable misère du point de vue des Colocs. Par conséquent, une nouvelle forme de pauvreté, plus humaine et morale, motive désormais leur discours critique. Dans un premier temps, ceux-ci constatent chez les individus une détresse psychologique liée au désenchantement propre à leur temps. Ils mesurent ainsi l’urgence de briser la solitude de ces individus, d’où l’appel aux secours de « Tassez-vous de d’là », chanson qui se démarque sur le plan de l’engagement par son effet conatif chez les auditeurs. Puis, en quête perpétuelle du bonheur, Les Colocs se mettent à rêver d’un endroit où le capitalisme n’aurait pas encore souillé la beauté, le sacré et l’imaginaire. À l’instar de Raymond Trousson, nous constatons ainsi que, dans le contexte de désenchantement, même « l’utopie moderne prend conscience que le ²bonheur² collectif ne s’obtient qu’aux dépens de l’individu, que la technique transforme l’être en robot […] »; elle

démontre donc par « le tragique la nécessité urgente d’un humanisme »385. En outre, la quête du