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De la publicisation à l’organisation de services récréatifs : processus de régulation et l’intentionnalité des producteurs

Encadré 3 Le choix d’un vecteur de paiement en Evaluation Contingente 2.3.2.2.2 Limites

3. L’organisation sociale

3.3. Approche sociologique : la publicisation de la forêt en questions

3.3.2. De la publicisation à l’organisation de services récréatifs : processus de régulation et l’intentionnalité des producteurs

La vocation multifonctionnelle des espaces forestiers aujourd’hui reconnue par les autorités publiques pose de facto la question de la régulation de chaque fonction. Interroger la régulation de la fonction récréative en termes de service incline à identifier plusieurs types d’acteurs impliqués : les bénéficiaires et les producteurs en premier lieu, puis les autorités publiques (en précisant lesquelles) en second lieu qui joueraient le rôle de médiation entre une demande peu organisée et des producteurs dispersés et pour partie privés. Si les forêts sont le lieu de pratiques récréatives, elles le sont pour les habitants de proximité (chapitre 4, et (Dehez et Lyser 2008a)) : ainsi, 60% des personnes qui fréquentent une forêt le font sur leur commune62. Mais de nombreux visiteurs n’habitent pas forcément ces communes et sont souvent, à l’image de l’ensemble de la population française, des citadins comme les enquêtes sur les temps de trajet et les distances moyennes de déplacement tendent à le montrer. La distance moyenne parcourue s’élève à 27 km aller-retour, soit un temps de trajet de 47 mn63. Cela explique sans doute en partie pourquoi, aujourd’hui, les propriétaires « locaux » déclarent ne pas connaître les personnes qui fréquentent leurs forêts. Soit parce que ces personnes résident sur un autre territoire, soit parce qu’elles sont

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Selon certains (Barthod et Reunala 2003), cette redéfinition des missions ne va pas de soi et nécessite de réexaminer les procédures d’information, de consultation et d’association du public sur les choix d’aménagements forestiers

62 A l’échelle de la Région Aquitaine, près de 60% des usagers fréquentent les forêts de leur commune. Ce taux

varie selon les départements, avec un minimum (41,7%) dans le Lot et Garonne et un maximum (72,9%) dans les Landes mais, dans l’ensemble, on montre que la commune de résidence et la commune sur laquelle se trouve la forêt sont statistiquement liées. La commune constitue bien un territoire pertinent.

63 Cf. la chapitre 4. Voir aussi (ONF 2004a).

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arrivées avec l’urbanisation de certaines zones rurales, dans les deux cas cependant elles ne sont pas intégrées aux réseaux d’interconnaissance locaux. Dès lors l’ajustement des pratiques ne peut plus se faire par des relations interpersonnelles et des discussions dans des réseaux de relations locales. A la suite d’un travail sur la prise en compte du paysage par les agriculteurs en Dordogne dans un contexte de publicisation des espaces agricoles (Candau et Deuffic 2006), on peut reprendre ici l’hypothèse d’une évolution du processus de régulation qui résulterait notamment de la publicisation des espaces forestiers par la fonction récréative : on passerait d’une régulation locale à une régulation publique des pratiques de récréation. Ce faisant, chaque massif forestier (pouvant appartenir à différentes personnes, pas toujours identifiées) devient moins un bien collectif au sein d’un territoire qu’un bien public a priori disponible pour un collectif plus abstrait, le public potentiel. Dans cette perspective, un bien collectif fonctionne comme un espace d’action en commun pour les membres qui s’identifient à un collectif aux frontières plus ou moins précises (l’ensemble des propriétaires pour des actions comme la lutte contre l’incendie, les habitants de la commune ou d’un quartier pour la promenade). Par contre, un bien public fonctionnerait comme un espace ouvert accessible à n’importe quel citoyen, et pourquoi pas à tout humain. On pourrait y voir le passage d’une régulation autonome à une régulation de

contrôle pour reprendre la catégorisation établie par (Reynaud 2003) lors de ses travaux sur la

normativité ordinaire dans l’entreprise. Lors d’une régulation autonome, les personnes créent collectivement des règles qu’ils appliquent à eux-mêmes, tandis que des règles (qui peuvent être les mêmes) imposées à d’autres répond d’une régulation de contrôle.

Mais force est de constater que la production d’un bien public revêt quelques particularités étrangères à la production de règles dans une entreprise, et notamment la mise en place de processus d’exclusion vis-à-vis du bien résultant paradoxalement de sa régulation en tant que bien public. Si la biodiversité par exemple est aujourd’hui reconnue pour être un bien commun global en tant que gisement potentiel pour les générations futures (gisement génétique), c’est avant tout une vision occidentale qui néglige les valeurs d’usage pour les populations qui vivent à son contact, notamment au sud, « entraînant en quelque sorte la délocalisation du ‘bien’ et la

confiscation internationale du ‘commun’ » (Constantin 2000). Vision renchérie par Smouts : « les pays industrialisés s’intéressaient, eux, à la dimension ‘libre accès’ de la notion de bien commun de l’humanité, il s’agissait pour eux d’assurer à leur groupes pharmaceutiques et à leurs

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laboratoires de recherche un accès continu aux richesses biologiques et ressources génétiques se trouvant dans les pays tropicaux. » (Smouts 2000).

Une des questions ici résiderait donc dans l’identification des collectifs de bénéficiaires potentiels des services récréatifs mis en place, et aux éventuels processus de privatisation ou d’exclusion. L’intérêt général est-il organisé pour répondre à quelques intérêts particuliers ? Au nom de quelles valeurs certains usages sont ils préférables à certains autres ? Du côté de la production, on pourrait aussi s’interroger sur le point de vue des propriétaires et des gestionnaires des espaces forestiers interpellés par cette ouverture plus forte des forêts : selon leur conception de la forêt (patrimoine, production…), selon leur statut (public, privé), selon leurs pratiques sylvicoles mais aussi selon leurs réseaux professionnels voire les systèmes d’acteurs locaux… dans quelle mesure et sous quelles conditions les forestiers envisagent-ils de laisser leurs forêts ouvertes pour des pratiques de récréation ?

Pour autant, notre analyse ici ne va traiter ni de l’évolution des processus de régulation ni de l’intentionnalité des forestiers vis-à-vis de la production de services récréatifs. Nous allons

aborder une question en amont, celle de la production de discours où se construit un référentiel (Jobert et Muller, 1987) qui rendrait socialement acceptable l’idée que la fonction de production revêt une importance équivalente à la fonction écologique ou récréative.

3.3.3. Du bien public à la notion d’espace public : la dimension politique de la