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Pourquoi parler de bien public pour analyser les usages récréatifs en forêt ? Les enjeux de l’actuelle publicisation de la forêt

Encadré 3 Le choix d’un vecteur de paiement en Evaluation Contingente 2.3.2.2.2 Limites

3. L’organisation sociale

3.3. Approche sociologique : la publicisation de la forêt en questions

3.3.1. Pourquoi parler de bien public pour analyser les usages récréatifs en forêt ? Les enjeux de l’actuelle publicisation de la forêt

On l’a vu, la fréquentation des espaces boisés peut générer des conflits. Pour le moins provoque-t-elle des tensions qui sont la preuve d’une re-négociation des légitimations d’action des uns et des autres. Cette tendance est si importante qu’elle transcende le statut juridique de l’espace : même lorsqu’il est de statut privé l’espace forestier tend à être de plus en plus ouvert à des usagers non propriétaires qui viennent s’y promener, faire de la cueillette, pratiquer un sport... La diversification des usages a récemment été étudiée dans l’espace rural, ce qui a donné lieu à la notion de publicisation des campagnes qui revêt deux aspects : un aspect fonctionnel (Hervieu et Viard 1996, Perrier-Cornet 2002 et un aspect politique {Micoud, 2001 #435). Peut-on dès lors considérer la forêt comme un bien public ou un bien commun59 ?

En termes de propriété juridique, assurément pas. Mais on peut s’interroger sur son appropriation symbolique que dénote cette appropriation matérielle par les usages. Cette question se pose moins lorsque les loisirs sont organisés par le propriétaire forestier et donnent lieu à une transaction financière, comme c’est le cas pour les chasses privées ou certaines cueillettes de champignons car dès lors l’accès du bien privé est contrôlé pour n’être possible qu’à certains usages privés, pour une durée déterminée. Il en va autrement pour la plupart des usages récréatifs qui demeurent des pratiques libres et semblent faire fonctionner les espaces forestiers comme des espaces ouverts, accessibles à tous. Nous posons l’hypothèse générale que, dans l’imaginaire

collectif, la forêt serait appréhendée comme un bien public qui permet l’expression conjointe et simultanée de plusieurs usages, avec des agencements différents qui tiendraient compte du statut juridique de la propriété.

Chaque espace boisé appartient à quelqu’un, que ce soit l’État ou une autre collectivité sous le mode de la propriété privée ou de la propriété publique, ou que ce soit un individu ou une société sous le strict régime de la propriété privée. La forêt ne peut pas être considérée comme un bien public « pur » qui se caractérise en économie par la non-rivalité et la non-exclusion de son

59 qui serait la traduction de la notion de « commons » en anglais.

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usage60 (cf. supra). Pour autant, même dans ce cas, il est aujourd’hui régulièrement rappelé que les arbres sont des pièges à carbone, surtout dans leur phase de croissance. Tout espace boisé est donc d’intérêt général car il joue un rôle dans les grands équilibres écologiques. On retrouve ainsi une caractéristique du bien public : ce n’est pas le statut de sa propriété qui le dote de son caractère public, mais bien l’intérêt et les usages dont il est l’objet. De quel type de bien public pourrait-on a priori le rapprocher selon les deux caractéristiques de l’usage que sont l’exclusion et la non-rivalité ? Il n’y a pas de réponse unique dans la mesure où les usages encouragés ou permis peuvent différer selon le statut juridique de la propriété. Les forêts publiques de l’État ou appartenant à d’autres collectivités pourraient être considérées comme des « common pool

resources », c’est-à-dire des biens localisés en accès traditionnellement libre mais dont la

disponibilité peut se réduire sous l’effet de l’usage par un grand nombre de personnes. A moins de les considérer comme des biens de club ou des bien publics locaux, uniquement accessibles par les membres de la collectivité ? Vraisemblablement cela dépend aussi des usages considérés : en tant que piège à carbone, tout le monde en profite, mais en tant qu’approvisionnement possible pour le bois de chauffage, seuls les membres de la collectivité peuvent en bénéficier. Et qu’en est-il des forêts strictement privées qui elles aussi jouent un rôle écologique et qui sont fréquentées par des randonneurs ? A considérer les deux catégories de bien public précédemment évoquées, aucune ne conviendrait vraiment, et montre que cette discussion sémantique peut être un carcan si on s’y enferme car elle « jette plus de confusion que de lumière lorsqu’elle est

appliquée à des biens territorialement situés, soumis à des régimes de propriétés complexes »

(Smouts 2000). Plus que chercher une définition stable à ce bien, on s’attachera plutôt à analyser

le processus actuel de publicisation des espaces forestiers qui tient à leurs usages par des personnes qui n’en sont ni propriétaires ni gestionnaires, dont certains sont qualifiés d’intérêt général. En retour, cette analyse permettra peut-être d’identifier des critères de

définition.

Les espaces boisés sont depuis longtemps voire depuis toujours, le lieu de pratiques diversifiées, y compris récréatives. Ce qui semble aujourd’hui en jeu cependant, c’est la

hiérarchisation des différentes pratiques, et la remise en cause au niveau symbolique de la

60 L’atmosphère serait l’exemple type de bien public pur, mais peut être exceptionnel dans la mesure où son

usage est obligatoire et que de surcroît elle n’appartient à personne.

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suprématie de l’activité sylvicole, y compris sur les espaces de propriété privée. Ceci peut se

lire dans les politiques publiques forestières et, en premier lieu dans l’article 1 de la loi n° 2001- 602 du 9 juillet 2001 d'orientation sur la forêt qui met sur le même plan les différentes fonctions de la forêt : « La mise en valeur et la protection des forêts sont reconnues d'intérêt général. La

politique forestière prend en compte les fonctions économique, environnementale et sociale des forêts et participe à l'aménagement du territoire, en vue d'un développement durable. Elle a pour objet d'assurer la gestion durable des forêts et de leurs ressources naturelles, de développer la qualification des emplois en vue de leur pérennisation, de renforcer la compétitivité de la filière de production forestière, de récolte et de valorisation du bois et des autres produits forestiers et de satisfaire les demandes sociales relatives à la forêt ». Cette requalification des fonctions

prioritaires de la forêt n’est pas nouvelle : dans le statut de « forêt de protection » instauré au XIXème siècle qui concernait les zones montagneuses ou littorales, la préservation de l’état boisé primait sur la fonction de production. De même, dans les « séries artistiques » créées dans la deuxième moitié du XIXème siècle, la priorité était donnée à la fonction paysagère. Ce qui change aujourd’hui, c’est l’ampleur et la généralisation des remises en cause, au moins sur le plan symbolique, des fonctions prioritaires dévolues à la forêt. (Kennedy, Thomas et al. 2001) constatent ainsi que, dans la plupart des pays occidentaux, la vente et la transformation des produits ligneux n’est plus la seule source de richesse économique de certaines zones rurales qui vivent aussi des services offerts par le secteur tertiaire en matière de tourisme, d’activités récréatives, de cadre de vie et d’aménités environnementales. Cette interrogation sur le rôle de la forêt dans l’espace rural et sur les impacts environnementaux des modèles de développement forestier dits « intensifs » est souvent portée par un ensemble d’acteurs, pour la plupart non forestiers qui n’hésitent pas à remettre en cause le monopole de compétence des acteurs traditionnels de la forêt et de leurs instances représentatives (Kennedy, Thomas et al. 2001, Barthod et Reunala 2003). Ceci s’accompagne d’une évolution du rôle des administrations forestières : l’objectif n’est plus de maximiser la production forestière mais de fournir aux communautés rurales les moyens de s’adapter à des changements socioéconomiques en tirant profit des autres dimensions de la forêt (amélioration de la qualité et augmentation de la valeur ajoutée des produits bois, développement des activités récréatives, amélioration du cadre de

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vie…)61. Ce seraient avant tout les forestiers (individuels ainsi que leurs organisations professionnelles et techniques) qui se trouvent interpelés, face à une appropriation symbolique de leurs espaces par une diversité d’usagers. Cette requalification pour la fourniture de bien public suppose l’action de l’Etat (voire d’une autre autorité publique) ou le mécanisme d’une action collective pour définir les normes et les finalités cadrant l’usage de ces biens.

3.3.2. De la publicisation à l’organisation de services récréatifs : processus de