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1.1 La maladie des vierges

1.2.6 La puberté : un temps d’action

Par ailleurs, la fermeture qui caractérise la condition virginale du corps féminin n’est pas tout à fait compatible avec notre perception actuelle de l’hymen (comme membrane intra-utérine). Sissa souligne que la gynécologie hippocratique perçoit l’utérus comme un espace fermé, clos, qui n’a pas nécessairement un bouchon vaginal. Dans un autre texte que produit Giulia Sissa, il y a chez ces figures de vierges inachevées, des « femmes que leur conduite a fixées dans un état de non-clôture140. » Nous avons vu plus haut que le corps de la fille vierge « connaît une fermeture qui lui est propre et qui                                                                                                                

139 Yvonne Knibiehler, op. cit., p. 137.

140 Giulia Sissa, Le corps virginal. La virginité féminine en Grèce ancienne, préface de Nicole

définit sa fonction principale. […] Il n’existe pas d’hymen141 », certes chez les Grecs anciens, mais le corps d’une femme scelle l’avenir en ce qu’il est considéré avoir été ensemencé par l’homme si aucun liquide ne sort après l’éjaculation dans le vagin de la femme. Dans cette téléonomie énoncée du le destin de la femme,

[…] se fixe une valorisation de la maternité qui, dans la littérature médicale, avait déjà la force du précepte hygiénique. La conception du mariage comme telos, quand elle est traduite dans le domaine du corps et fondée sur une métaphysique de la matière et de la forme, précise son implication essentielle. […] La fin, l’accomplissement du gamos est dans son fruit, dans l’avènement d’une grossesse qui donne un sens à l’union des sexes et à l’existence même de la différence sexuelle142.

Je vois ici plus qu’un débat sur la nature anatomique de l’utérus de la fille. L’idée qui retient mon attention est le caractère anxiogène de son corps pubère. L’impératif d’agir rapidement pour accélérer le devenir femme laisse croire que le passage de la parthénos à la gynè reflète un intervalle temporel de très courte durée. C’est une véritable course pour faire advenir un telos de peur que les symptômes virginaux (folie, nécrophilie, mélancolie, jacasserie, suicide) ne perdurent trop longtemps dans la Cité. La puberté signale un temps d’action, un temps qui n’est pas celui de l’attente choisie : le potentiel qui se présente chez la parthénos pubère est donc celui de la souillure sanguine, de la léthargie, du délire, voire du suicide. Elle ne serait pas innocente, pure, délicate comme le laisse entendre la Nausicaa d’Homère, la parthenike d’Hésiode, ou encore les innombrables parthénoi qu’on retrouve dans les rites sacrificiels des œuvres                                                                                                                

141 Giulia Sissa, Le corps virginal, op. cit., p. 181.

tragiques (Iphigénie, par exemple). Il faut que ce moment de passage à la femme (mère et épouse) soit temporaire, oui. Il faut de façon plus pressante que le temps ne se dilate pas, que l’entre-deux n’existe pas. Il faut que le corps de la fille se matérialise spontanément, rapidement, dans un corps docile : la menstruation, la relation sexuelle hétéronormative, la grossesse et l’enfantement.

Comme on l’a mentionné plus haut, dans la médecine aujourd’hui, l’hymen est une structure arrondie ayant une membrane muqueuse qui enveloppe la partie inférieure de l’orifice vaginal. Selon nombre de médecins occidentaux143, cette partie inférieure devient irrégulière après la pénétration vaginale144. Christianson et Eriksson rappellent que ce « fait » a rarement été remis en question. Sissa s’accorde également pour dire que la crédibilité sémiotique de l’hymen dépend du lien qui existe entre sexe et savoir. Ce lien dépend des discours entourant la sexualité féminine. L’épistémologie de la virginité est donc inscrite dans une histoire qui remet en question toute forme d’ontologie alors que la culture non médicale semble développer la teneur normative de l’hymen en ce qui a trait au passage de la fille au statut de femme, de mère et d’épouse. La structure complexe et hétérogène de la virginité occidentale concerne avant tout la possibilité de tester, d’analyser, et d’expérimenter sur le corps féminin. La médecine nous apprend que l’hymen en tant que barrière ou enveloppe n’existe pas de façon absolue145.

                                                                                                               

143 Monica Christianson et Carola Eriksson, loc. cit., p. 167-172.

144 Ibid., p. 167. Elles citent : S. Standring, Gray’s Anatomy : The Anatomical Basis of Medicine

and Surgery, 39e édition, Londres, Churchill-Livingstone, 2005, p. 1356.

À l’époque d’Hippocrate, l’hymen n’était pas un signe probant pour tester ou prouver la défloration. Sissa écrit :

Greeks were content to count upon a different kind of sign. What bears testimony to the heterosexual activity of a woman is pregnancy. This transformation of the body was much more reliable that a fractured tissue, much more stable than an ephemeral stain of blood146.

La virginité était une condition éphémère qui était plutôt définie par le négatif ; ce qui comptait pour preuve indubitable était la grossesse : la trace visible de l’insémination. Perdre sa virginité à l’époque de l’Antiquité grecque voulait dire perdre une condition physique générale147. Cette condition n’était pas

dépendante de la présence de l’hymen, parce l’hymen, tel qu’on le conçoit aujourd’hui, n’existait pas à cette époque. La parthénia d’une fille ne pouvait pas être rattachée à une structure membranaire comme nous la connaissons aujourd’hui. Selon Hippocrate, il n’y a rien de tangible dans le vagin d’une fille vierge qui peut être observé, reconnu comme une entité anatomique prouvant de façon indubitable une intégrité ou une rupture. L’hymen n’existait pas, si bien qu’il n’y a ni chez les Grecs, ni plus tard dans les travaux de Soranus d’Éphèse à Rome, d’organe sémiotique qui atteste d’un avant (présence d’un état intact) et d’un après (absence d’un état intact)148. Ainsi, Sissa précise que le terme parthénos ne pouvait être conçu au sein de la structure oppositionnelle mariée/non mariée. Plutôt, selon elle, être ou ne pas être vierge était synonymique avec « sexe versus pas de sexe »149.

                                                                                                               

146 Giulia Sissa, « The Hymen Is A Problem, Still », loc. cit., p. 72.

147 Ibid., p. 77.

148 Ibid.