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La protection du droit de propriété déduite de la restriction aux seuls biens susceptibles d'appropriation En restreignant le détournement punissable aux seuls biens

CHAPITRE I. L'INFLATION PÉNALE

S ECTION 1 L A PÉNALISATION DE LA TROMPERIE DU CONSENTEMENT

78. La protection du droit de propriété déduite de la restriction aux seuls biens susceptibles d'appropriation En restreignant le détournement punissable aux seuls biens

susceptibles d'appropriation, la jurisprudence semble rapprocher davantage l'abus de confiance de la protection du seul droit de propriété, à l'exclusion de la confiance 365. Cette restriction

360 C. MASCALA, « Abus de confiance », Répertoire pénal Dalloz 2003, n° 2.

361 Le détournement englobe aujourd'hui la dissipation, qui était une autre forme d'abus de confiance sous l'empire de l'ancien Code pénal.

362 J. LÉAUTÉ, « Le rôle de la théorie civiliste de la possession dans la jurisprudence relative au vol, à

l'escroquerie et à l'abus de confiance », in La Chambre criminelle et sa jurisprudence, Recueil d'études en hommage

à la mémoire de Maurice Patin, Cujas, p. 223 et s., spéc. p. 227.

363 La notion de détournement se distingue en cela difficilement de l'élément intentionnel : voy. infra, n° 80. 364 Crim., 2 décembre 1911 ; D. P. 1912, I, p. 343 ; Crim., 15 mai 1968 ; D. 1968, jur. p. 594 ; Crim., 9 avril

1973 ; D. 1975, jur. p. 257, note M. DELMAS-MARTY ; Crim., 10 mai 1989 ; Droit pénal 1989,

comm. n° 17, obs. M. VÉRON.

365 En ce sens, V. MALABAT, note sous Crim., 20 octobre 2004 ; RPDP 2005, p. 239 et s. ; R. OLLARD, « Du

sens de l'évolution de l'abus de confiance : la propriété, toutes les propriétés mais rien que la propriété »,

est intervenue à la suite du phénomène de dématérialisation de l'abus de confiance 366. Ce

phénomène fut initié par un arrêt du 14 novembre 2000 dans lequel la chambre criminelle de la Cour de cassation posait à titre de principe que « les dispositions de l'article 314-1 du Code pénal s'appliquent à un bien quelconque et non pas seulement à un bien corporel » 367, ce qui a donné lieu à une riche jurisprudence 368. Ce n'est qu'assez

récemment, par un arrêt remarqué du 16 novembre 2011 369, que la Cour de cassation est

venue opérer une précision fondamentale, à savoir que les dispositions de l'article 314-1 du Code pénal relatif à l'abus de confiance ne s'appliquent à un bien quelconque qu'à condition qu'il soit « susceptible d'appropriation ». Il s'agissait en l'espèce du détournement de la clientèle d'une société. La clientèle est certes un bien patrimonial 370, pouvant d'ailleurs

être cédée à titre onéreux depuis une jurisprudence célèbre du 7 novembre 2000 371. Mais

on déduit de l'arrêt de 2011 que la clientèle n'en constitue pas pour autant un bien appropriable 372, seules les informations relatives à la clientèle le sont 373. La décision de 2011

les biens non susceptibles d'appropriation ?

366 G. BEAUSSONIE, La prise en compte de la dématérialisation des biens par le droit pénal, Contribution à l'étude de la

protection pénale de la propriété, préf. B. DE LAMY, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 532, 2012,

n° 175 et s.

367 Crim., 14 novembre 2000 ; Bull. crim., n° 338 ; D. 2001, p. 1423, note B. DE LAMY ; Droit pénal 2001,

comm. n° 28, note M. VÉRON, et chron. n° 16, obs. S. JACOPIN ; RTD civ. 2001, p. 912, obs. TH. REVET ;

RSC 2001, p. 386, obs. R. OTTENHOF ; RTD com. 2001, p. 526, obs. B. BOULOC.

368 Voy., entre autres exemples, ceux de l'utilisation de l'ordinateur et de la connexion Internet, mises à disposition au titre de l'activité professionnelle, pour visiter des sites pornographiques (Crim., 19 mai 2004 ; Bull. crim., n° 126 ; D. 2004, somm. p. 2748, obs. B. DE LAMY ; Communication commerce électronique

2004, comm. n° 39, note A. LEPAGE ; RSC 2004, p. 824, obs. B. BOULOC), d'un détournement de projet

de borne informatique par un salarié (Crim., 22 septembre 2004 ; Bull. crim., n° 218 ; D. 2005, p. 411, note B. DE LAMY, et p. 962, obs. J. RAYNARD ; JCP G 2005, II, 10034, note A. MENDOZA-CAMINADE ;

Droit pénal 2004, comm. n° 179, obs. M. VÉRON ; AJ Pénal 2005, p. 22, obs. J. LEBLOIS-HAPPE ; RSC

2005, p. 852, obs. R. OTTENHOF ; RTD civ. 2005, p. 164, obs. TH. REVET ; RTD com. 2005, p. 179,

obs. B. BOULOC) ou encore de l'emploi de salarié d'une association à des fins personnelles par son

directeur qui réalise un détournement de fonds (Crim., 20 octobre 2004 ; Bull. crim., n° 248 ; D. 2005, p. 411, note B. DE LAMY ; AJ Pénal 2005, p. 70, obs. J. COSTE ; RTD com. 2005, p. 427, obs. B. BOULOC ;

RPDP 2005, p. 239, note V. MALABAT).

369 Crim., 16 novembre 2011 ; Bull. crim., n° 233 ; Gaz. Pal. 2012, jur. p. 300, note E. DREYER ; D. 2011,

p. 2935, obs. M. LÉNA ; D. 2012, p. 137, note G. BEAUSSONIE, et pan. p. 1704, obs. C. MASCALA ; JCP G

2012, 322, note S. DETRAZ ; AJ Pénal 2012, p. 163, note J. LASSERRE-CAPDEVILLE ; Droit pénal 2012,

comm. n° 1, obs. M. VÉRON ; RPDP 2011, p. 914, obs. V. MALABAT ; RSC 2012, p. 169,

obs. J. FRANCILLON ; RDC 2012, p. 551, obs. R. OLLARD.

370 Voy. les références citées par R. OLLARD, « Du sens de l'évolution de l'abus de confiance : la propriété,

toutes les propriétés mais rien que la propriété », art. préc., n° 28.

371 À condition que soit préservée la liberté de choix des clients, voy. Civ. 1ère, 7 novembre 2000 ;

JCP E 2001, p. 149, note G. LOISEAU ; Defrénois 2001, 37338, note R. LIBCHABER ; RTD civ. 2001, p. 168,

note TH. REVET.

372 Comp., plus nuancé, G. BEAUSSONIE, note préc. sous Crim., 16 novembre 2011, spéc. p. 139 : « au-delà

d'une indéniable consécration de la protection pénale de l'information, ce que la chambre criminelle de la Cour de cassation réprime, en réalité, est un authentique détournement de clientèle ».

373 Ce qui n'est pas sans reposer, par comparaison, « la ''vieille question neuve'' du vol d'information » (J. DEVEZE, « À propos de l'évolution des ''délits contre les biens'' », in Libre droit, mélanges en l'honneur de

permet en cela de rattacher la clientèle aux créances qui avaient sans doute 374

antérieurement été également exclues par la Cour de cassation du domaine de l'abus de confiance, n'étant pas considérées comme des biens appropriables. En effet, dans un arrêt du 1er décembre 2010 375, la Cour de cassation a affirmé que le détournement constitutif

d'abus de confiance ne pouvait porter que sur l'instrumentum - le support du contrat - , et non le seul negotium - son contenu. Les créances en tant que telles sont donc exclues du champ de l'abus de confiance, relevant d'un droit personnel et, selon l'analyse classique tout du moins, non d'un droit de propriété 376. Quoique la Cour de cassation soit restée vague

sur ce point, on peut enfin se demander si ce n'est pas cette condition d'un bien susceptible d'appropriation qui justifie l'exclusion de principe des immeubles 377 du domaine de l'abus

de confiance 378.