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La confirmation de la nature du préjudice avec le nouveau Code pénal.

CHAPITRE I. L'INFLATION PÉNALE

S ECTION 1 L A PÉNALISATION DE LA TROMPERIE DU CONSENTEMENT

63. La confirmation de la nature du préjudice avec le nouveau Code pénal.

Depuis 1994, l'incrimination d'escroquerie vise une remise frauduleusement obtenue de la victime « à son préjudice ou au préjudice d'un tiers ». Cela a évidemment imposé l'existence d'un préjudice ; mais, au-delà, cela a également posé la question de sa nature, et du maintien de la jurisprudence antérieure 313. La question a en réalité été posée avec une acuité toute

particulière à la suite de deux arrêts immédiatement antérieurs et postérieurs à la réforme, qui ont paru remettre en cause la solution traditionnelle, en exigeant un préjudice de nature

308 A. VALOTEAU, La théorie des vices du consentement et le droit pénal, th. préc., n° 305 ; R. OLLARD, La protection

pénale du patrimoine, th. préc., n° 801.

309 Crim., 29 décembre 1949 ; JCP G 1950, II, 5582, note A. C. Dans le même sens, voy. Crim., 25 octobre 1967 ; Bull. crim., n° 269.

310 R. OLLARD, La protection pénale du patrimoine, th. préc., n° 803.

311 Crim., 6 mars 1957 ; préc.

312 Mais il était toutefois précisé que l'escroquerie devait avoir porté sur « tout ou partie de la fortune d'autrui ».

patrimoniale 314. Une partie de la doctrine a alors logiquement annoncé l'abandon de la

solution jurisprudentielle au profit, selon l'expression de Mme MASCALA, d'un « renouveau d'une conception patrimoniale de l'escroquerie » 315. Mais peut-être la portée des deux

arrêts doit-elle être relativisée 316. Au-delà, M. OLLARD s'était interrogé sur leur

signification, pour se demander « si ce n'est pas en réalité au prix d'une maladresse rédactionnelle que la décision de relaxe fut fondée sur ''l'absence de tout préjudice'' » 317.

Quoiqu'il en soit, on remarquera leur isolement, la jurisprudence ayant repris sa solution traditionnelle juste avant l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal 318, comme de manière

plus récente 319.

Il n'y a dans le retour à la solution traditionnelle rien de surprenant car en réalité, la nouvelle rédaction de l'incrimination, loin d'impliquer un préjudice pécuniaire, nous semble au contraire conforter la solution antérieure d'une incrimination entièrement tournée vers la protection de l'intégrité du consentement contractuel ainsi que du droit de propriété. En effet si un préjudice est exigé, il n'est nullement précisé que le préjudice doive être de nature patrimoniale 320. Le législateur n'a manifestement pas entendu distinguer entre préjudices

matériel et moral ; or, comme on le sait bien, ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus 321.

Ce serait ajouter au texte une condition qu'il ne contient pas, en contrariété avec le principe d'interprétation stricte de la loi pénale. Aussi, l'admission du préjudice moral paraît-elle

314 Crim., 3 avril 1991 ; Bull. crim., n° 155 ; D. 1991, somm. p. 275, obs. G. AZIBERT ; D. 1992, p. 400, note

C. MASCALA ; RSC 1992, p. 579, obs. P. BOUZAT ; Crim., 26 octobre 1994 ; Bull. crim., n° 341 ; D. 1995,

somm. p. 187, obs. F. JULIEN-LAFERRIÈRE ; RSC 1995, p. 583, obs. R. OTTENHOF, et p. 593,

obs. J.-P. DELMAS SAINT-HILAIRE (dans une affaire d'escroquerie par le mariage, dans laquelle la chambre

criminelle a jugé que « la remise par l'administration d'un titre de séjour, fût-ce à la suite de manœuvres frauduleuses, ne porte pas atteinte à la fortune d'autrui », et ne constitue donc pas l'infraction).

315 C. MASCALA, note précitée sous Crim., 3 avril 1991, spéc. p. 402. Dans le même sens,

voy. V. WESTER-OUISSE, Convention et juridiction pénale, th. préc., n° 48 et s.

316 Outre qu'il s'agit d'un arrêt de rejet qui, par hypothèse, ne permet pas aux juges de la chambre criminelle d'exprimer directement leur avis, la cour d'appel n'était saisie que par la partie civile ce qui peut expliquer l'accent mis sur le préjudice, justifiant l'admission de la partie civile (E. PALVADEAU, Le contrat

en droit pénal, th. préc., n° 249 ; R. OLLARD, La protection pénale du patrimoine, th. préc., n° 822 et s.).

317 R. OLLARD, La protection pénale du patrimoine, th. préc., n° 828 et 831.

318 Crim., 15 juin 1992 ; Bull. crim., n° 234 ; Droit pénal 1992, comm. n° 282, obs. M. VÉRON.

319 Crim., 9 septembre 2009 ; inédit, pourvoi n° 09-80431 : un notaire établit frauduleusement des chèques destinés à prouver que la situation financière d'un club était saine et lui permettait de se maintenir en première division du championnat de France de rugby. Aucun préjudice patrimonial n'a été constaté, l'escroquerie a pourtant été retenue.

320 En ce sens, J. PRADEL et M. DANTI-JUAN, Droit pénal spécial, op. cit., n° 890 : la chambre criminelle

« pourrait concilier son ancienne jurisprudence avec la lettre du Nouveau Code en indiquant que, pour la victime, le seul fait d'avoir été privée de sa liberté de consentir constitue un préjudice. Il n'y aurait alors à peu près rien de changé... ».

321 Où la loi ne distingue pas il ne faut pas distinguer (H. ROLAND et L. BOYER, Adages du Droit Français,

naturelle 322. Et ce d'autant plus que le nouveau texte vise une escroquerie commise au

préjudice d'une personne, terme plus neutre que l'ancien qui visait « tout ou partie de la fortune d'autrui » 323 - qui renvoyait sans doute plus facilement au préjudice économique.

Un autre argument a parfois été invoqué par la doctrine, justement à propos de la disparition de l'exigence d'une atteinte à la fortune d'autrui, ce qui semblait commander la remise de l'instrumentum et du negotium 324. Or, depuis 1994, le législateur se satisfait de

l'obtention du simple « consentement à un acte opérant obligation ou décharge », et n'exige plus la remise de l'acte lui-même. Ceci a été présenté comme un argument renforçant la solution traditionnelle. En effet, « au moment de l'obtention du consentement, l'exécution de l'acte juridique en cause est future et donc, par nature, incertaine » 325. Aussi

« reconnaître comme suffisante la remise du negotium met l'accent uniquement sur le consentement de la victime indépendamment de ses suites » 326, et, notamment, de ses

conséquences sur le patrimoine économique de la victime.

64. La difficulté de l'hypothèse d'une escroquerie commise « au préjudice d'un