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L'identification délicate de la valeur sociale protégée « Si vous croyez avoir

III. LA PÉNALISATION « DES ATTEINTES AU CONSENTEMENT » 30 La notion de consentement La notion de consentement est loin d'être inconnue

43. L'identification délicate de la valeur sociale protégée « Si vous croyez avoir

compris, vous avez sûrement tort » : la formule qu'affectionnait J. LACAN vient naturellement à l'esprit, pour qui cherche à identifier la valeur protégée d'une incrimination. Celle-ci n'est en effet pas définie par le texte 220, ce qui en fait une des notions les plus

fuyantes du droit pénal 221, en rendant souvent insoluble la question de son

identification 222. À défaut de précision dans le texte, c'est dans l'intention du législateur, au

moment de l'adoption du texte, que l'on découvre en principe la ratio legis d'une incrimination. Cette intention se retrouve dans les travaux parlementaires 223, mais le

législateur peut également en laisser certaines traces, notamment dans la place d'une incrimination dans le Code 224. Mais en réalité, la recherche de l'intention du législateur est

le plus souvent inadaptée. En effet, les juges ont tendance à s'approprier les textes pour les adapter à la valeur sociale qu'ils entendent protéger, laquelle peut considérablement varier au fil des années. Ainsi en est-il, par exemple, de l'escroquerie ou de l'abus de confiance. Les deux incriminations ont été insérées dans le Code pénal en 1810 dans l'objectif incontestable de protection du patrimoine, ainsi que l'attestait - et l'atteste encore aujourd'hui - leur place dans le Code - depuis 1992 au sein du Titre premier « Des appropriations frauduleuse », du Livre Troisième « Des crimes et délits contre les biens ». Pourtant, sous l'influence de la jurisprudence, nous verrons que les deux incriminations ont

individu vers la lésion de sa volonté, au point de faire apparaître le droit pénal avant tout comme un instrument de protection du consentement des particuliers » (souligné par l'auteur).

220 O. DÉCIMA, L'identité des faits en matière pénale, préf. PH. CONTE, Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque de

Thèses, t. 74, 2008, n° 160 : « Politique, elle est imprécise, faut d'avoir été légalement définie : se situant en amont des textes, la valeur sociale est le fondement, la cause profonde de la norme pénale, mais elle n'en est pas l'expression positive ».

221 Malgré les éclairages d'une thèse récente consacrée à ce sujet : M. LACAZE, Réflexions sur le concept de bien

juridique protégé par le droit pénal, préf. A. D'HAUTEVILLE, LGDJ, coll. Fondation Varenne, 2011.

222 Voy. à ce titre, les avertissements de M. ROBERT : « L'introduction trop récente de la notion d'intérêt

protégé dans le droit français explique ces incertitudes : on sait qu'elle existe, mais on n'en connaît pas encore les genres, espèces et variétés » (J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, coll. Thémis, 6ème éd.,

2005, p. 284).

223 Les juges tiennent parfois le même raisonnement : voy. par ex., TGI Toulouse, 30 octobre 1995 ;

D. 1996, jur. p. 101, note D. MAYER et J.-F. CHASSAING : « Face à une imprécision de la loi pénale, il

convient de l'interpréter à la lueur des principes généraux du droit et des débats parlementaires qui en ont précédé le vote ».

évolué, pour s'attacher désormais également et peut-être prioritairement à la protection de l'intégrité ou de la bonne foi contractuelle 225.

Partant, et ainsi que l'écrivait J. CARBONNIER, « Ce qui importe, ce n'est pas la place

d'une incrimination dans le Code, c'est sa définition » 226. Si, par exemple, un préjudice

pécuniaire est exigé, il est possible d'en déduire la protection du patrimoine. Si les composantes d'une incrimination induisent nécessairement l'altération du consentement, il en découlera logiquement que l'intégrité du consentement est une valeur sociale protégée. Mais il faut encore tenir compte de deux facteurs de complication.

En premier lieu, il est illusoire de croire « qu'à chaque incrimination corresponde un bien juridique unique » 227. Au contraire, lorsque nous conclurons à la protection du

consentement contractuel, cette protection coïncidera souvent avec d'autres valeurs, en particulier le patrimoine ou, plus souvent, le droit de propriété 228. Il s'agit alors de textes

d'incrimination qualifiés par la doctrine de « pluri-offensifs » 229, pour souligner le fait qu'ils

protègent plusieurs valeurs sociales. En second lieu, le contenu de l'incrimination ne permet d'identifier sa valeur protégée que lorsque l'infraction est matérielle, c'est-à-dire lorsque le seuil de l'illicite fixé par le législateur correspond à l'atteinte à la valeur protégée 230. En

revanche, lorsque l'infraction est formelle, la consommation intervient indépendamment de toute atteinte effective à la valeur protégée. Dans ce dernier cas, identifier la valeur protégée devient pratiquement impossible. Or, il n'est pas précisé dans l'incrimination si celle-ci est formelle ou matérielle. Pour le savoir, il faut comparer son contenu avec... sa valeur protégée : bref, l'observateur a la désagréable impression de tourner en rond.

225 Voy. infra, n° 54 et s.

226 J. CARBONNIER, « Du sens de la répression applicable aux complices », JCP G 1952, I, 1034.

227 M. LACAZE, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, th. préc., n° 313 : « Classer les

incriminations du droit positif à l'aide du critère du bien juridique protégé suppose qu'à chaque incrimination corresponde un bien juridique unique ; or, il ne fait aucun doute qu'il n'en est rien ». 228 Mais aussi bien d'autres valeurs très spécifiques, comme la lutte contre l'endettement (voy. par exemple

la sanction pénale en cas de méconnaissance de la rétractation ou réflexion de l'acquéreur immobilier (article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation), instituée par la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles).

229 E. DREYER, Droit pénal général, LexisNexis, coll. Manuel, 2ème éd., 2012, n° 149 ; X. PIN, Droit pénal

général, Dalloz, coll. Cours Dalloz, 5ème éd., 2012, n° 240. L'expression semble avoir été utilisée pour la

première fois par A. VITU, Droit pénal spécial, t. 1, Cujas, coll. Traité de droit criminel, 1ère éd., 1982,

n° 22.

230 C'est-à-dire, pour reprendre les expressions de MM. CONTE et MAISTRE DU CHAMBON, lorsque les

résultats légal et juridique coïncident (PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, op. cit.,

On conclura donc sur cette question avec la phrase de M. ROBERT : « la désignation des

intérêts protégés est hasardeuse, imprécise, parfois arbitraire » 231. Or, évidemment, en droit

pénal, l'intuition ne saurait remplacer la réflexion. La question des intérêts protégés par les incriminations composant la pénalisation des atteintes au consentement contractuel ne sera donc traitée que lorsque des éléments pertinents permettront de la trancher.

Quoique particulièrement délicate, cette question illustre la place que la pénalisation est susceptible d'accorder au consentement contractuel. En tout état de cause, que les atteintes au consentement soient le moyen ou la finalité de la pénalisation, l'intervention du droit pénal en cette matière peut surprendre. Est-elle utile, alors que le contrat dispose d'un juge naturel, le juge civil ? Est-elle légitime, alors que la pénalisation répond à des finalités très particulières ? C'est poser la question, délicate, de la justification de la pénalisation des atteintes au consentement contractuel.