• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I. L'INFLATION PÉNALE

S ECTION 2 L A PÉNALISATION DE LA NÉGATION DU CONSENTEMENT

M. M ALAURIE V IGNAL

735 Une interdiction similaire existe en droit bancaire depuis la loi du 11 décembre 2001 (dite loi

MURCEF). L'article L. 312-1-2, I-1 du Code monétaire et financier interdit aux banques « la vente ou

offre de vente de produits ou de prestations de services groupés sauf lorsque les produits ou prestations de services inclus dans l'offre groupée peuvent être achetés individuellement ou lorsqu'ils sont indissociables ».

736 S'il s'agit traditionnellement d'articles liés en raison de leur faible valeur, comme les yaourts ou les bouteilles de bières, la question se pose également pour des articles d'une valeur bien plus importante, comme la vente d'un ordinateur accompagné de ses logiciels d'exploitation (sur ce point, voy. L. MAZEAU, « Offres conjointes et pratiques commerciales déloyales. L'exemple des ventes liées

d'ordinateurs et de logiciels », Revue Lamy Droit des Affaires 2012, n° 4046).

737 La sanction est une contravention de cinquième classe (article R. 121-13, 2° du Code de la consommation).

service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit » 738. À l'inverse, l'infraction n'est pas constituée si le consommateur

dispose de la liberté de séparer les produits 739. L'incrimination a évolué pour ne viser que

les rapports de consommation, l'interdiction ayant été abrogée entre professionnels par la loi du 1er juillet 1996 740. Il s'agit pourtant d'une incrimination dont la finalité est davantage

la protection de la concurrence 741.

Cette dépénalisation, incontestable, ne possède qu'une portée limitée. On ne saurait en déduire une véritable tendance à la dépénalisation du forçage du consentement, celle-ci étant directement due à l'influence du droit de l'Union européenne. D'autant qu'une telle dépénalisation s'inscrit à contre-courant d'une tendance certaine à une pénalisation massive du forçage du consentement.

2. Une pénalisation massive

150. L'apparition, à partir du milieu du XIXème siècle, d'une société moderne de

consommation a entraîné de nouvelles inégalités, de nouvelles dépendances et de nouvelles vulnérabilités. Les incriminations initiales d'extorsion et de chantage furent alors largement inadaptées à la répression des abus qui en résultèrent. La réaction du législateur, pourtant, a été tardive. Elle s'est construite depuis quelques décennies autour des différents abus de faiblesse (a). Plus récemment, la pénalisation s'est également centrée autour des pratiques commerciales agressives (b).

738 On soulignera la rédaction maladroite de cet article : à la lettre, il « pourrait en effet conduire à des absurdités, comme par exemple obliger les commerçants à vendre les allumettes une par une » (J. CALAIS-AULOY, Propositions pour un code de la consommation, préf. M. ROCARD, av.-propos V. NEIERTZ, La

documentation française, coll. Rapports officiels, 1990, p. 46). Adde, plus général, PH. STOFFEL-MUNCK,

« L'infraction de vente liée à la dérive... Observations sur les malfaçons du droit de la consommation »,

JCP G 2009, 84.

739 En ce sens, la vente d'un ordinateur prééquipé d'un logiciel d'exploitation sur un site Internet ne constitue pas une pratique commerciale déloyale lorsque la possibilité est offerte d'acquérir le même ordinateur dépourvu de tout logiciel sur un autre site lié : voy. Civ. 1ère, 12 juillet 2012 ; Bull. civ. I, n° 170 ; Gaz. Pal. 2012, jur. p. 2799, chron. S. PIEDELIÈVRE ; LPA 15 août 2012, n° 163,

obs. V. LEGRAND ; D. 2012, p. 1951, obs. X. DELPECH, et p. 2354, obs. C. LE STANC ; JCP E 2012, 1531,

note É. BAZIN. Mais il faut sans doute considérer que le professionnel doit délivrer au consommateur

une information sur l'existence d'alternatives à l'achat groupé (rappr. Civ. 1ère, 6 octobre 2011 ;

Bull. civ. I, n° 160 ; D. 2011, p. 2464, obs. X. DELPECH, et p. 2968, obs. Y. PICOD ; D. 2012, p. 842,

obs. N. SAUPHANOR-BROUILLAUD ; Contrats concurrence consommation 2012, comm. n° 31, note

G. RAYMOND ; RDC 2012, p. 941, obs. R. OLLARD).

740 À moins que cela ne caractérise un abus de position dominante (article L. 420-2 du Code de commerce).

741 M. PÉDAMON, « La réglementation des ventes avec primes : entre droit de la consommation et droit de la

a. Les abus de faiblesse

151. Il est possible d'abuser de l'état d'ignorance ou de faiblesse d'une autre personne

pour tromper ou forcer son consentement - l'accent ne sera ici mis que sur cette dernière hypothèse. Dès 1972, certains abus de faiblesse commis envers des consommateurs ont été incriminés (i). L'incrimination plus générale d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse n'a vu le jour qu'à l'occasion de la réforme du Code pénal en 1992 (ii). C'est également à cette occasion que le législateur a entendu réprimer les formes d'esclavage moderne qui ont pu apparaître en France, résultant de différents abus de vulnérabilité contraires à la dignité de la personne (iii).

i. L'incrimination consumériste d'abus de faiblesse

152. La pénalisation des atteintes au consentement par l'abus de faiblesse. Dans

sa version initiale, reprise à l'article L. 122-8 du Code de la consommation, le délit d'abus de faiblesse ne pouvait être commis qu'à l'occasion de démarchages à domicile. Les articles L. 122-9 et L. 122-10 du même Code, issus de la loi du 18 janvier 1992, étendirent le domaine de l'abus de faiblesse largement au-delà de cette seule hypothèse : sont concernés les démarchages par téléphone, les transactions hors des lieux de vente ou encore les transactions conclues dans une situation d'urgence ayant mis la victime dans l'impossibilité de faire jouer la concurrence. L'abus de faiblesse ne saurait être caractérisé hors les cas prévus par la loi, par exemple lorsque c'est la victime qui sollicite le professionnel 742. Une

fois que l'on se situe dans l'un de ces cadres, le délit suppose encore, à titre de condition préalable, la faiblesse ou l'ignorance de la victime 743. Cette vulnérabilité s'apprécie, non pas

objectivement, par exemple par référence à l'âge avancé de la victime 744, mais

concrètement, lorsque « les circonstances montrent que cette personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire, ou font apparaître qu'elle a été soumise à une contrainte » 745. Il faut, enfin, que l'abus ait conduit la victime à « souscrire des

engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit », selon l'article

742 CA Montpellier, 20 mai 2010, cité par É. BAZIN, « Un an de droit pénal de la consommation (avril

2010 - avril 2011) », Droit pénal 2011, chron. n° 4, n° 5.

743 Comp. avec la vulnérabilité telle qu'entendue dans l'incrimination du Code pénal, infra, n° 154.

744 CA Paris, 11 avril 2012 ; Juris-Data n° 2012-012075 ; CA Toulouse, 11 octobre 2012 ; Juris-Data n° 2012-024820.

L. 122-8 du Code de la consommation. L'article L. 122-10 est plus précis, envisageant l'hypothèse de remises « sans contreparties réelles, des sommes en numéraire ou par virement, des chèques bancaires ou postaux, des ordres de paiement par carte bancaire ou carte de crédit, ou bien des valeurs mobilières au sens de l'article 529 du Code civil ».

153. La protection indirecte de l'intégrité du consentement par l'abus de faiblesse. Ces dernières exigences relatives à l'acte obtenu, permettent de rattacher

l'incrimination à la protection du patrimoine, davantage que du consentement contractuel. Il est certain qu'une atteinte au consentement sera réalisée : la victime est trompée ou contrainte par l'abus. Les engagements au comptant ou à crédit permettent en outre de rattacher ces atteintes au champ contractuel. Mais cette limitation démontre bien que la raison d'être de l'incrimination est d'interdire l'atteinte au patrimoine de la victime. L'abus de faiblesse n'est réprimé que si une atteinte au patrimoine en résulte. Autrement dit, les atteintes au consentement ne sont réprimées qu'en tant que moyen de réalisation de l'abus, la finalité étant la protection du patrimoine des consommateurs. Curieusement, la solution apparaît inversée lorsqu'il s'agit d'étudier l'incrimination plus générale d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse, davantage tournée vers la protection de la liberté de décision.

ii. L'incrimination générale d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse

154. La double incrimination de l'abus de faiblesse. Si les abus de faiblesse commis

dans certains rapports de consommation sont réprimés depuis 1972, il a fallu attendre le nouveau Code pénal pour que l'incrimination d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse soit créée. De façon très regrettable, la répression de ces deux incriminations diffère pourtant largement. Les peines 746 et les modalités de poursuites 747 de l'abus de

faiblesse consumériste sont en effet considérablement plus sévères. Et en application du

746 Cinq ans d'emprisonnement et 9 000 euros d'amende (peines principales au demeurant disproportionnées l'une par rapport à l'autre), contre trois ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende pour l'incrimination du Code pénal. Toutefois, le projet de loi n° 213 relatif à la consommation adopté par le Sénat le 13 septembre 2013 prévoit un alignement des sanctions du délit consumériste sur celles prévues par le Code pénal (sur quoi, voy. infra, n° 366).

747 L'article L. 122-11 du Code de la consommation permet d'appliquer les dispositions des articles L. 450-1 à L. 450-3 et L. 450-8 du Code de commerce relatifs aux constatations et poursuites des infractions en matière de concurrence. Les associations de consommateurs sont par ailleurs recevables à se constituer parties civiles pour les abus de faiblesse consuméristes (article L. 421-1 du Code de la consommation).

principe Speciala generalibus derogant, c'est cette dernière incrimination qui devrait s'appliquer lorsque les deux textes sont applicables 748.

Alors que sous l'empire du Code pénal de 1810, seul l'abus des besoins, faiblesses ou passions d'un mineur était réprimé 749, le législateur saisit l'occasion de la réforme du Code

pénal en 1992 pour généraliser l'incrimination. Celle-ci, déplacée depuis à l'article 223-15-2 du Code pénal, sanctionne l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse d'une personne mineure ou vulnérable, pour la conduire 750 « à un acte ou à une

abstention qui lui sont gravement préjudiciables ». Notons que la « particulière vulnérabilité » de la victime est ici entendue de façon bien plus précise qu'en matière consumériste 751, quoiqu'elle soit en pratique souvent déduite de l'acte obtenu 752.

Concrètement, l'abus, évidemment intentionnel 753, résulte de « l'exercice de pressions

graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer [le jugement de la victime] » 754. De

sorte que l'article 223-15-2 peut être présenté comme un instrument de pénalisation des atteintes au consentement contractuel. En réalité, cette incrimination apparaît même comme protégeant désormais à titre principal la liberté de décision.

748 J. PRADEL et M. DANTI-JUAN, Droit pénal spécial, op. cit., n° 148.

749 L'article 406 de l'ancien Code pénal réprimait « quiconque aura abusé des besoins, des faiblesses ou des passions d'un mineur, pour lui faire souscrire, à son préjudice, des obligations, quittances ou décharges, pour prêt d'argent ou de choses mobilières, ou d'effets de commerce ou de tous autres effets obligatoires ». L'ancienne incrimination paraissait donc entièrement tournée vers la protection du patrimoine (en ce sens, R. OLLARD, La protection pénale du patrimoine, th. préc., n° 84).

750 Ce qui semble laisser entendre que l'infraction est formelle (comp., plus nuancée, E. LAJUS-THIZON,

L'abus en droit pénal, th. préc., n° 178 et n° 378).

751 Selon l'article 223-15-2 du Code pénal, la vulnérabilité de la personne peut résulter de son âge, maladie, infirmité, déficience physique ou psychique ou de son état de grossesse, lorsque ces circonstances sont apparentes ou connues de l'auteur de l'abus de faiblesse. Le délit sera également constitué en cas de vulnérabilité extrinsèque, en présence d'une « personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement ».

752 Par exemple, le montant exorbitant d'un chèque par rapport au patrimoine de la victime démontre sa particulière vulnérabilité (Crim., 8 février 2012 ; inédit, pourvoi n° 11-81162 ; Gaz. Pal. 2012, jur. p. 2222, chron. E. DREYER ; Droit pénal 2012, comm. n° 65, note M. VÉRON ; RDC 2012, p. 1330,

obs. R. OLLARD).

753 L'intention « doit s'apprécier au regard de l'état de particulière vulnérabilité au moment où est accompli l'acte gravement préjudiciable à la personne » (Crim., 26 mai 2009 ; D. 2009, p. 1830, obs. A. DARSONVILLE ; JCP G 2009, 261, note PH. SALVAGE ; Droit pénal 2009, comm. n° 118,

obs. M. VÉRON ; AJ Pénal 2009, p. 357, obs. J. LASSERRE-CAPDEVILLE ; Contrats concurrence consommation

2009, comm. n° 297, note G. RAYMOND ; RSC 2009, p. 594, obs. Y. MAYAUD ; RPDP 2009, p. 855,

obs. J.-C. SAINT-PAU).

155. La protection principale de la liberté de décision déduite de la place de l'incrimination dans le Code. Un premier indice - mais dont on sait qu'il faut se

méfier 755 - , est tiré de la place de l'incrimination dans le Code. Initialement positionné

parmi les infractions contre le patrimoine - conformément à sa ratio legis 756 - , le délit a en

effet déserté, depuis la loi du 12 juin 2001 757, le Livre troisième du Code pour s'installer

dans celui consacré à la protection de la personne. Cette migration de l'incrimination, d'une partie du Code vers une autre, a souvent été interprétée par la doctrine comme démontrant la mutation de l'intérêt protégé 758, du patrimoine vers la liberté de décision. Mais, avant

toute autre chose, cette mutation de la valeur protégée se déduit du contenu de l'incrimination.

156. La protection principale de la liberté de décision déduite du contenu de l'incrimination. La seule obtention de l'acte ou de l'abstention 759 suffit à consommer le

délit, ce qui montre que l'on tient avant tout compte de l'altération du consentement 760. En

effet, il n'est nullement précisé que cet acte doive être de nature patrimoniale. Or, on sait que l'interprétation stricte de la loi pénale interdit de rajouter une condition à un texte qui n'en contient pas. Les actes juridiques patrimoniaux 761 comme non-patrimoniaux 762

tombent donc dans le champ d'application du délit. Plus encore, l'acte n'a pas à être un acte juridique, le texte s'abstenant de cette précision. Pourrait donc constituer un abus de faiblesse le fait de conduire une personne à un acte d'auto-mutilation, au refus de certains

755 Voy. supra, n° 43.

756 Sur laquelle, voy. M.-L. IZORCHE, « La genèse du délit d'abus de faiblesse », in C. LAZERGES (dir.),

Réflexions sur le nouveau Code pénal, A. Pedone, 1995, p. 107 et s.

757 Loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales.

758 Voy. par ex., E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., n° 149 ; X. PIN, Le consentement en matière pénale,

th. préc., n° 66.

759 Soit un acte, soit une abstention : la mise au pluriel qui suit (« qui lui sont gravement préjudiciables ») semble résulter d'une faute d'accord de la part du législateur.

760 Dans le cas d'un abus provoquant la conclusion d'un contrat, le consentement de la victime est vicié. Toutefois, et comme le remarque régulièrement la doctrine, il existe de réelles « discordances entre la théorie des vices du consentement et le délit d'abus de faiblesse, qu'il s'agisse de l'admission du dolus

bonus, de l'existence d'une obligation d'information à la charge du cocontractant de la personne

vulnérable, ou du moyen de remédier à l'irrecevabilité des erreurs indifférentes » (A. DADOUN, La nullité

du contrat et le droit pénal, th. préc., n° 86).

761 Par exemple un contrat de vente (Crim., 12 janvier 2000 ; Bull. crim., n° 15 ; D. 2001, jur. p. 813, note J.-Y. MARÉCHAL ; Droit pénal 2000, comm. n° 69, obs. M. VÉRON ; RSC 2000, p. 614,

obs. R. OTTENHOF).

762 Un testament par exemple, dont le contenu serait la reconnaissance d'un lien de filiation ou l'organisation des funérailles. En revanche, les contrats comportent par nature un aspect patrimonial, puisqu'en cas d'inexécution de l'obligation, le patrimoine du débiteur est engagé (voy. sur ce point, ce qui a déjà été dit à propos de l'escroquerie, supra, n° 71).

soins ou à une relation sexuelle 763 : il n'est pas inutile ici de rappeler que la loi du 12 juin

2001 avait pour objectif la lutte contre les dérives des mouvements sectaires. Ce n'est donc pas le patrimoine qui paraît être protégé par l'incrimination. Ce n'est pas davantage la liberté du consentement contractuel, puisque tous les actes et abstentions, quelle que soit leur nature, sont envisagés. Comme en matière d'extorsion 764, c'est donc plus largement la

liberté de décision de la personne que l'incrimination protège 765.

Il est vrai que l'incrimination précise ensuite que cet acte ou cette abstention doit être « gravement préjudiciables [sic] » à la victime de l'abus. Mais cette exigence n'est pas de nature à remettre en cause ce qui vient d'être dit. En premier lieu, selon la jurisprudence, « si l'article 313-4 [aujourd'hui 223-15-2] du Code pénal prévoit que l'acte obtenu de la victime doit être de nature à lui causer un grave préjudice, il n'exige pas que cet acte soit valable, ni que le dommage se soit réalisé » 766. Mais surtout, l'évolution de la nature du

préjudice doit ici encore être remarquée. Le préjudice sera, certes, le plus souvent de nature pécuniaire. Mais en l'absence de précision du texte, et au regard de la nature des actes et abstentions punissables, tous les types de préjudices doivent en réalité être admis : corporels ou moraux notamment 767. Cela a conduit la Cour de cassation à caractériser un

préjudice du seul fait de l'atteinte portée à la liberté du consentement. Dans les affaires en cause 768, la victime avait été conduite à rédiger un testament qui, par hypothèse, ne lui

cause aucun préjudice direct ni personnel 769. Mais, selon la Cour, « pour une personne

vulnérable, l'acte de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne qui l'a obligée à cette disposition, constitue un acte gravement préjudiciable au sens […] de l'article 223-15-2 ». Autrement dit, « Il suffit donc d'établir que le bénéficiaire du testament

763 En ce sens, R. OLLARD, La protection pénale du patrimoine, th. préc., n° 87.

764 Voy. supra, n° 144.

765 En ce sens, PH. SALVAGE, « Abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse », J.-Cl. Pénal Code,

Art. 223-15-2 à 223-15-4, fasc. 20, 2011, n° 27 ; E. LAJUS-THIZON, L'abus en droit pénal, th. préc., n° 369

(parlant d' « atteinte à la liberté de consentir »). 766 Crim., 12 janvier 2000 ; préc.

767 J. PRADEL et M. DANTI-JUAN, Droit pénal spécial, op. cit., n° 150.

768 Crim., 15 novembre 2005 ; inédit, pourvoi n° 04-86051 ; JCP G 2006, II, 10057, note J.-Y. MARÉCHAL ;

Contrats concurrence consommation 2006, comm. n° 52, obs. G. RAYMOND ; Droit pénal 2006, comm. n° 29,

obs. M. VÉRON ; RSC 2006, p. 833, obs. R. OTTENHOF. Dans le même sens, Crim., 21 octobre 2008 ;

Bull. crim., n° 210 ; D. 2008, AJ p. 2942 ; D. 2009, p. 911, note G. ROUJOUDE BOUBÉE ; Droit pénal 2009,

comm. n° 12, note M. VÉRON ; RPDP 2008, p. 877, obs. V. MALABAT ; RSC 2009, p. 100, obs. Y. MAYAUD ;

Crim., 5 septembre 2012 ; inédit, pourvoi n° 11-84483 ; RDC 2013, obs. R. OLLARD.

769 Le préjudice des héritiers n'a pas à être pris en compte, le texte exigeant, du point de vue de la victime, un acte qui « lui » soit gravement préjudiciable. Voy. L. SAENKO, « L'abus de faiblesse et le testament »,

a ''conduit'' la personne vulnérable à tester en sa faveur » 770. On ne peut qu'y voir une

nouvelle illustration de la résistance du droit pénal au préjudice 771 : comme en matière

d'escroquerie ou d'abus de confiance, le préjudice est « un élément résiduel du délit d'abus de faiblesse » 772. Continuant cette voie, il est possible d'interpréter l'exigence d'un acte ou

d'une abstention gravement préjudiciable comme un indice de l'atteinte portée au consentement de la victime 773, seule exigence réelle de l'incrimination 774.

C'est ainsi la liberté de décision qui fonde l'incrimination, laquelle apparaît remarquable au sein de la pénalisation des atteintes au consentement contractuel. L'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse est complété par deux incriminations qui lui sont contemporaines. Il s'agit des incriminations d'abus de vulnérabilité qui, bien que pouvant aboutir à la sanction d'une atteinte au consentement contractuel, semblent entièrement tournées vers la protection de la dignité des personnes.

iii. Les incriminations d'abus de vulnérabilité

157. Présentation des incriminations. Les articles 225-13 et 225-14 du Code pénal

incriminent également certains abus dont peuvent être l'objet des personnes « dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur » 775 - état qui

constitue une sorte de condition préalable des infractions. L'article 225-13 réprime 776 le fait

d'obtenir d'une telle personne la fourniture de services non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli. L'article 225-14 vise quant à lui sa soumission à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine. En luttant contre ces formes d'esclavage moderne du fait des employeurs sans scrupules ou des marchands de sommeil 777, le législateur vise

770 M. VÉRON, note précitée sous Crim., 21 octobre 2008.

771 Y. MAYAUD, « La résistance du droit pénal au préjudice », art. préc.

772 J.-Y. MARÉCHAL, note précitée sous Crim., 15 novembre 2005.

773 E. DREYER, Droit pénal spécial, op. cit., n° 989.

774 Voy., déjà, CA Versailles, 9 mars 2005 ; Juris-Data n° 2005-272775 : la rédaction d'un testament a causé à la victime un préjudice moral résultant de « l'atteinte ainsi causée à la liberté de son consentement ». 775 J. PRADEL et M. DANTI-JUAN, Droit pénal spécial, op. cit., n° 447 et 449.

776 Les peines sont identiques pour les deux incriminations : cinq années d'emprisonnement et 150 000